Le frileux bicentenaire de Jacques OFFENBACH en France

 
 
 

 

Le frileux bicentenaire de la naissance de Jacques Offenbach (1819-2019) en France

Samedi 22, mardi 25 juin 2019

 

 

 
 
 
Jacques Offenbach © José Corréa, 2019
 
 

 

 

 

 

J’aurais aimé dire ma satisfaction de voir surgir un enregistrement d’une des quatre-vingt-dix œuvres méconnues du maître. Je dirais « Que nenni », le ministère de la Culture a cru bon d’occulter ce bicentenaire. Honte à eux qui sans doute se sont trop reconnus caricaturés dans ce corpus assez souvent railleur. Le bourgeois n’aime pas que l’on souligne, même sur le rythme incisif d’une mélodie inoubliable, son ridicule, sa boursouflure.

 

Quel compositeur caractérise mieux l’esprit français que ce juif allemand né à Cologne un 20 juin 1819 ? Offenbach est joué depuis 1855 un peu partout sur la planète, il fut la coqueluche de tout un monde qui allait des palais aux chaumières par des arrangements des thèmes de ses œuvres pour les bals et les guinguettes. Le succès de ses grands opéras bouffes ne se dément pas, même si certains titres ont plus les faveurs des metteurs en scène qui d’ailleurs n’hésitent pas à y ajouter bien souvent leurs marques hirsutes et grotesques qu’ils croient vaniteusement d’un génie égal ou supérieur à cet homme de théâtre accompli.

 

Voici une vexation que je ne pourrai effacer, avec patience, par le prochain centenaire !

 

C’est sans aucun doute de lui que me vient mon amour pour la musique. Vers 12 ans, chez les parents de mon camarade Bertrand Kervazo, si je pouvais écouter ébloui, la si gracieuse Caroline, sa maman, détailler à ravir certains couplets de La Périchole ou de La Belle Hélène (elle avait été cantatrice avant son mariage avec Albert), les écoutes essentielles furent les symphonies de Beethoven et quelques pages symphoniques de Brahms, Dvorak et Liszt.

 

Ce musicien facétieux, pour autant romantique me fut révélé par les dessins animés de Walt Disney qui usaient musicalement de certains thèmes du maestro. J’entrais littéralement en transe dès les premières mesures de ces notes qui courraient, s’envolaient… Puis je pus acquérir, avec le soutien financier de mon grand-père, un disque vinyle 25 cm avec cette Gaîté Parisienne[1] assez peu d’Offenbach. Un amour fou vous dis-je ! Et une soif invincible d’en connaître toujours plus.

 

La musique d’Offenbach est un véritable antidote contre la morosité, l’abattement, les tristesses de la vie. Elle devient vite irremplaçable et devrait être remboursée par la Sécurité Sociale, tant elle est tonifiante, stimulante, euphorisante ! Elle a été la compagne d’une adolescence chétive et perplexe.

 

Ce goût, que certains n’hésitent pas à contester, n’a pas le moins du monde entravé ma passion pour l’univers musical de quelques grands musiciens au rang desquels je mets en premier Gustav Mahler suivi de Franz Schubert, Robert Schumann, Jean Sibelius, Bohuslav Martinů, Darius Milhaud… La musique française demeure aussi un important centre d’intérêt comme l’association Les Amis de la musique française, que j’ai fondée en 2001, avec quelques amis, le laisse supposer.

 

Les partisans de la réincarnation m’ont fait, tout au long des années, des suggestions étonnantes à propos de mon émotion inexplicable à l’écoute de cette musique. Mon contentement devant leurs assertions n’a jamais été aussi démesuré que celui que j’observais chez eux.

 

Le nouveau directeur de la maison de disques Opera Rara (l’ancien avait tant réalisé pour le compositeur : Robinson Crusoé, Vert-Vert, deux compilations en quatre CD d’airs extraits d’œuvres peu fréquentées), a simplement annulé les projets offenbachiens qui étaient de premier ordre. C’est une lourde malchance au temps du bicentenaire !

 

Le Palazetto Bru Zane a amalgamé son hommage à Offenbach avec un hommage à son rival et ami Hervé, né en 1825 ! et avec certains de ses successeurs : Lecocq et Planquette, comme si tout ce petit monde était d’égale grandeur. De plus ce n’est guère élégant de minorer un bicentenaire en proposant une telle salade !

 

Nous sommes assurés que la reprise à l’Opéra-Comique, le 20 juin 2019, de Madame Favart (un des derniers ouvrages du maestro, créé fin 1878) trouve enfin tout le succès que cette œuvre en demi-teinte mérite. La recréation de Barkouf, en début d’année 2019, son premier opéra comique qui fut un échec retentissant en 1860, n’a pas fait l’objet d’un enregistrement que le succès de sa reprise aurait justifié de par la grande originalité de cette partition. Le Palazzetto Bru Zane vient d’éditer une Périchole, déjà enregistrée dans de somptueuses distributions. Marc Minkowski est effectivement un chef offenbachien idéal et respectueux de la partition, mais une intégrale de Barbe-Bleue aurait été plus judicieuse, nécessaire et bienvenue. Dimanche soir[2], nous avons eu à entendre sur les ondes de France Musique, la diffusion d’une captation de Maître Péronilla de mars 1878, donné le 1er juin 2019, en concert, au Théâtre des Champs-É֤lysées, à Paris, sous l’égide du Palazzeto Bru Zane. Grand moment que cette reprise dans d’excellentes conditions d’une œuvre rare dont je possédais un enregistrement Radio France des années 1970, moins complet. Ce qui prouve avec ces deux créations de la même année 1878, Maître Péronilla et Madame Favard à l’Opéra Comique (toujours avec le soutien du Palazzetto Bru Zane), que le maestro très affaibli physiquement, était toujours hautement inspiré. Ce que confirment les partitions de La Fille du Tambour Major qui connut un retentissant succès, en 1879, puis Belle Lurette (création du 30 octobre 1880, le compositeur étant mort le 5 octobre), et celle Les Contes d’Hoffmann dont la création eut lieu le 2 février 1881. Même si j’ai enregistré la diffusion de Maître Péronilla, il y aurait nécessité d’un enregistrement sur CD avec les habituelles études que propose utilement le Palazzetto Bru Zane.

 

Deux disques sont à signaler plus particulièrement en l’absence d’une intégrale d’une œuvre non enregistrée du compositeur. Un récital et un disque d’Ouvertures, et pièces symphoniques au programme assez innovant puisqu’on y trouve des pages d’œuvres regrettablement peu visitées : Les Bavards, Les Bergers, Le Roi Carotte, Geneviève de Brabant, Monsieur et Madame Denis, La Créole, La Princesse de Trébizonde, Madame Favart, L’Île de Tulipatan.

     
     
 
     
     

 

On nous annonce un second enregistrement CPO avec le ballet « Le Royaume de Neptune » qu’Offenbach composa pour la reprise en opéra bouffe féerie en 4 actes et douze tableaux d’Orphée aux Enfers, le 14 août 1874.

 

Le récital de Julie Devos chez Alpha-Classics, intitulé Offenbach Colorature sous la direction de Laurent Campellone (autre publication sous l’égide du Palazzeto Bru Zane) nous révèle trois pages du très décrié Boule-de-neige (opéra bouffe en 3 actes de fin 1871) qui méritent bien mieux que ce que l’on en a eu dit. Deux valses peu connues, absolument superbes émaillent ce récital, « Conduisez-moi vers celui que j’adore » de l’opéra comique de 1867, Robinson Crusoé et « J’entends, Ma Belle » de l’acte Un mari à la porte (1859). Ce disque est un pur joyau de l’art du compositeur.

     
     
 
     
     

On notera aussi la parution de plusieurs enregistrements d’œuvres pour violoncelle, instrument dont Offenbach était un virtuose.

 

Deux ouvrages sont d’un apport intéressant et de qualité. Jean-Claude Yon a réuni et présenté les lettres du compositeur au Figaro, et quelques-uns de ses propos, M. Offenbach nous écrit, ouvrage édité par Actes Sud/ Palazetto Bru Zane. Le compositeur écrivait parfaitement le français et possédait un humour légendaire. Par exemple alors qu’il s’apprêtait, en 1876, à partir pour l’Amérique afin de s’y refaire une santé financière et où il rencontra un succès monumental, un de ses confrères connaissant ses difficultés lui dit avec un accent de faux intérêt :

 

«  ‒ Vous avez tort, mon cher, de vous exposer à de telles fatigues, car enfin vous n’êtes pas un colosse !

‒ Oh ! fit Offenbach en souriant, rassurez-vous, j’ai une santé si délicate que je n’ai pas même la force d’être malade ! »

 

     
     
 
     
     

 

Le second ouvrage imposant, publié par Symétrie (avec le soutien de La Région Auvergne-Rhône-Alpes), est signé de Dominique Ghesquière. La Troupe de Jacques Offenbach est significative de la manière dont il travaillait avec ses acteurs-chanteurs. Il écrivait chaque page pour tel ténor, telle soprano… en mettant en exergue leurs talents bien spécifiques. Clés évidentes du succès de ses œuvres où chaque personnage était porté par une mélodie, des intonations propres à lui offrir un succès personnel confortant la réussite générale de la pièce.

 

Autre initiative du Palazzetto Bru Zane qui nous vaudra une publication, le colloque intitulé Offenbach, musicien européen, qui s’est déroulé à l’Opéra Comique à Paris les 21 et 22 juin derniers.

 

France Musique a salué cet anniversaire. Il convient de saluer cette juste et compensatrice initiative.

 

La plus grande espérance nous vient de l’action permanente, passionnée, méticuleuse du compositeur, chef d’orchestre, musicologue et grand spécialiste d’Offenbach, Jean-Christophe Keck. Depuis de nombreuses années, il s’évertue, par un travail de fourmi, à réaliser l’Offenbach Edition Keck (OEK), chez Boosey & Hawkes. Avec un esprit d’authenticité et de respect, il s’investit dans la publication des partitions complètes (y compris les ajouts que fit Offenbach pour les représentations de ses œuvres à l’étranger) et s’évertue à retrouver l’orchestration originelle du compositeur. Ainsi, même si, semble-il, il s’est vu évincé des manifestations du bicentenaire, son action à long terme, déjà hautement fondée, lui donne une prépondérance qui va persister en dépit de tous les aléas.

 

On le retrouve au théâtre de L’Odéon de Marseille, au Festival de Bruniquel qui cette année encore va se démarquer des éternelles redites avec La Princesse de Trébizonde (opéra bouffe en 3 actes de 1869) et dans bien d’autres manifestations en sa qualité de chef d’orchestre ou de conférencier… on ne dira jamais assez son implication miraculeuse qui porte ses fruits. Nous avons grâce à ses recherches et éditions des enregistrements de Die Rheinnixen (le grand opéra du maître) de trois opéras comiques Robinson Crusoé, Vert-Vert, Fantasio. Nous espérons Barkouf. Le retour en grâce de Fantasio est proprement hallucinant : le pire revers d’Offenbach, au début de l’année 1872, poursuit aujourd’hui, une trajectoire internationale éblouissante !

 

France Musique a salué ostensiblement cet anniversaire. Il convient de saluer cette juste et compensatrice initiative.

 

L’ami José Corréa aura réalisé pour moi le beau portrait de cet Offenbach des années 1878 et rédigé un texte sur ses pièces de jeunesse pour violoncelle et piano qu’il affectionne.

 
 
 
 

 

Sait-on jamais si d’heureuses surprises ne viendront pas nous consoler de ce manque d’enthousiasme officiel du pays d’adoption du compositeur, ce qui n’est pas le cas en Allemagne, où le compositeur est choyé ! ♦

 

[1] Gaîté Parisienne est un ballet composé sur des thèmes d’ouvrages d’Offenbach. En 1938, à la demande des Ballets russes de Monte-Carlo, le compositeur Manuel Rosenthal écrivit cette partition dont l’orchestration recherchée et moderne s’éloigne du style du compositeur de La Belle Hélène.

[2] Dimanche 23 juin 2019.