Casajuana José, Anarin

 
 

José Casajuana — Anarin

Dimanche 31 mars 2019

 

 
 
 
 

 

En salutation au soleil de Saint-Martin, la délicieuse Marie-Rose, depuis ce jardin qui exalte de ferveurs printanières. Je voudrais, Marie-Rose, que nous nous souvenions de José Casajuana, le petit tailleur de Périgueux, que, par l’intermédiaire de mon vieil ami, Jacques Grégoire[1], anarchiste, adepte de l’Espéranto… j’avais rencontré au début de ma trentaine, à la fin des années 70, ayant été troublé par son recueil publié aux Nouvelles Éditions Debresse.

 

Autant son ami Jacques était dans ses propos enveloppant, souple, autant José par la vigueur de son verbe m’avait impressionné, intrigué et même apeuré. Je n’étais pas, de toute évidence, encore prêt à comprendre le credo anarchiste ! Pour autant et sans avoir cherché à le rencontrer davantage, il m’avait définitivement conquis. C’était donc cela un Homme, un de ces rares lucides qui ne transigent pas avec la flétrissure élégamment ordonnée du monde. José assumait à prix coûtant sa magnifique clairvoyance.

 

José ou Anarin nous laisse, dédiées à sa fille Violette, des pensées d’une si grande acuité, qu’elles sont immortelles. Lui, le Républicain Espagnol, réfugié chez nous, à Périgueux, vivant dans un grand dénuement, doté d’une sagesse troublante derrière son aiguille et ses ciseaux.

 

     
     
 
     
     

 

Bernard Deson[2], sur son blog [https://www.paperblog.fr/users/bdeson/] nous livre ses souvenirs : « Est-ce parce qu’il exerça le métier de tailleur pour hommes que José Casajuana put prendre la juste mesure de ses contemporains ? Homme d’exil, cet anarchiste a fui l’Espagne de 1936, constatant avec effarement que les idées tuent. Son premier contact avec la France aurait pu le détourner de notre culture et de notre langue : les camps de concentration de Léon Blum n’avaient rien à envier à ceux de Mussolini ou à ceux de Franco. Au contraire, devenu tailleur, l’exilé consacrera tous ses instants de liberté à l’étude de la littérature française. En 1970, il publiera à compte d’auteur un opuscule sobrement intitulé Pensées sous le pseudonyme d’Anarin. Étiemble en dira le plus grand bien vantant ses qualités de peintre de l’âme humaine. En 1979, j’en fis l’heureuse découverte dans un rayon de la bibliothèque de l’I.U.T. Michel de Montaigne.[3] »

 

Bernard Deson va enfin découvrir, en 1985, par l’entremise de sa sœur Marie-Hélène, qui est cet Anarin et ils vont se rencontrer : « Nous prîmes langue et nous rencontrâmes au café Gambetta, brasserie au-dessus de laquelle José Casajuana occupait un minuscule appartement. Sans qu’il n’en dise mot, j’avais deviné que cet homme vivait dans le plus grand dénuement. Il fut ému d’apprendre l’importance que son livre avait eue pour l’étudiant que je fus. Et c’est sans hésiter qu’il accepta ma proposition de le rééditer ou plus exactement de le rafraîchir en y ajoutant une couverture couleur, en changeant le titre et en le signant de son véritable nom. Il convint de la chose avec enthousiasme, me laissant seul maître à bord pour mener à bien cette métamorphose. Un auteur comme je les aime ![4] »

 

Comme toujours, le temps s’écoule, d’autres projets interfèrent, et le temps qui a passé vient nous surprendre, en nous laissant démunis : « De temps à autre, je recevais une lettre de José Casajuana, toujours patient et compréhensif, très patient et très compréhensif, trop peut-être […] Je pris le temps, presque quatre ans quand même, et Grandeur nature, nouveau titre de l’ouvrage, sortit des presses en novembre 1989. Malheureusement, cette publication arriva trop tard pour José Casajuana et le courrier qui la lui annonçait me revint avec la mention « destinataire décédé ». J’appris qu’il avait mis fin à ses jours quelques semaines auparavant. J’en ai gardé un sentiment de culpabilité, peu fier de ma négligence, même si je devine qu’une vieillesse vécue dans la pauvreté et la maladie ne convenait pas au libre-penseur qui écrivait : La mort serait un mal si la vie était un bien. »[5]

 

 

L’extrême modestie et la résignation de cet homme d’une lumineuse intelligence se heurtent à notre frilosité, à nos jeunesses douillettes. L’enfer de sa propre jeunesse l’avait contraint à se forger une extrême résistance, mais on sent à le lire, à méditer ses aphorismes aussi brefs que percutants qu’il était désabusé sur la fraternité humaine. Aujourd’hui et depuis des années, je regrette, ayant appris mieux mon métier d’homme, de ne pas avoir su lui apporter de l’amitié ; il l’aurait mérité plus qu’aucun autre ; auprès de lui j’aurais gagné vingt ans de maturité. Son petit ouvrage ne m’a jamais quitté, c’est un guide.

 

Si longtemps après, c’est de la tendresse et de la gratitude que j’éprouve pour celui que nous avons laissé privé de davantage de fraternité humaine ; fraternité qu’il avait mille fois gagnée.

 

Même si José Casajuana, Anarin, n’est plus là, il nous est permis de faire un bout de chemin avec lui, grâce à ses pensées qui allument en nous les étincelles d’une précieuse lucidité :

 

 

« Ceux qui ne valent pas cher font bon marché de la vie des autres. », p. 9.

 

« Si nous sommes si seuls dans le monde, c’est parce que chez les autres nous ne trouvons que l’égoïsme qui est aussi en nous. », p. 11.

 

« Si les petites gens ont l’air meilleur que les personnes importantes, c’est que, n’ayant pas le pouvoir d’en faire de grandes, ils ne font que de petites saletés. », p. 14.

 

« Le remords est un châtiment qui ne frappe que ceux qui ont une conscience intransigeante ; les autres trouvent toujours des justifications à leurs méchancetés et à leurs crimes. », p. 18.

 

« Aucune tyrannie ne peut nous empêcher de nous libérer des préjugés ni de raisonner juste. », p. 27.

 

« Les grands méprisent les petits ; et ceux-ci se vengent en se méprisant entre eux. », page 31.

 

 « Chacun a autant de vanité que peu de lucidité. », p. 35.

 

« L’homme aspire au privilège, et non à la justice. », p. 47.

 

« Et l’homme créa dieu. Mais voyant que, seul, il s’ennuyait, il créa aussi le diable. », p. 49

 

« Immoral : celui qui n’agit pas selon mon intérêt ou mes principes. », p. 60.

 

« Les bons exemples sont peu suivis ; même par leurs auteurs. », p. 66.

 

« N’avoir pas de doutes devrait éveiller nos soupçons. », p. 73

 

« Quand on se tait, on ne dit pas de sottises ; mais on ne les pense pas moins. », p. 76.

 

« Les lois morales et juridiques protègent les fortunes, qui ne peuvent être bâties qu’en les violant. », p 85.

 

« Par la religion et la politique un grand nombre de personnes éminentes rejoignent la stupidité générale. », p. 89.

 

« Anarchie : mot employé à la place de ‟désordre”, et que tous ceux dont la politique est le vice ou le gagne-pain, agitent comme un épouvantail. », p. 104.

 

« De l’argent, juste de quoi vivre ; car mon bonheur, je le trouve ailleurs, gratis. », p. 123

 

« Je ne veux pas augmenter le mal que me font les autres en les haïssant. », p. 125.

 

« Comme les autres, j’ai aussi mes croyances, mes convictions, mes idées, ma philosophie, ma métaphysique. Les voici résumés en quelques mots : bla, bla, bla. », p. 127 ♦

 
 

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[1] Je croyais Jacques Grégoire disparu depuis quelques années, après le décès de son fils Michel. Mes messages étaient restés sans réponse. Sa maison était fermée. J’apprends en faisant des recherches pour ce texte qu’il est décédé tout récemment, en février 2019.

[2] Bernard Deson est formateur, écrivain, éditeur (Éditions ‟Germe de barbarie”, revue Instinct nomade).

[3] Bernard Deson, José Casajuana, tailleur pour hommeshttps://www.paperblog.fr/8278501/jose-casajuana-tailleur-pour-hommes/

[4] Ibid.

[5] Ibid.

 
 

 

José CASAJUANA – ANARIN sur le Paper Blog de Bernard DESON