BARKOUF, de Jacques OFFENBACH

 
 

Barkouf 

 
 
 
 
 

 

Didier Joly

Novembre 2019

 
 
 

 

 

Voilà des lauriers habilement partagés. En décernant en septembre dernier à Berlin, le prix de la Meilleure redécouverte 2019 à l’Opéra du Rhin pour la production de Barkouf ou un chien au pouvoir d’Offenbach, les Oper ! Awards et la critique allemande ne récompensaient pas seulement l’esprit de découverte et de curiosité de la Maison d’Opéra alsacienne et de sa regrettée directrice Eva Kleinitz, mais mettaient, par incidence, en lumière, la formidable œuvre de Jacques Offenbach, tombée très injustement dans l’oubli. Il faut dire que l’ouvrage a été gaillardement éreinté à sa création en 1860, et notamment, en des termes peu choisis, par les figures de référence que pouvaient constituer Hector Berlioz ou Émile Zola, peu visionnaires en l’occurrence. Au contraire d’Eva Kleinitz, qui a vu, en Barkouf, une œuvre intemporelle que l’histoire contemporaine illustre. Une véritable satire du pouvoir, de certaines mœurs politiques brutales, d’un mépris des puissants pour « les gens de rien »… Peinture «vériste» que l’actualité éprouve. Subversif, volontiers irrévérencieux, l’ouvrage procède d’une analyse qui va assurément plus loin que le simple brocard du pouvoir, exercé alors par Napoléon III. Il porte en germe toutes les dérives politiciennes que connaîtront, atterrés, les siècles suivants. Et la plume d’Eugène Scribe réserve quelques surprises que Mariame Clément, qui a signé la mise en scène pour l’Opéra du Rhin (fin 2018-début 2019), a relevées avec étonnement :

« On entend une formule comme la victoire ou le trépas qui sonne comme un écho de la Liberté ou la mort ».

 

 
 
 
 
 

 

Avec Barkouf, on est bien loin de l’imagerie légère que certains spectateurs se font de l’art d’Offenbach. Oubliant son regard aiguisé, volontiers iconoclaste et satirique sur les travers et les faiblesses des hommes, leurs rapports sociaux ou politiques conflictuels. Imagerie légère, il est vrai peut-être un peu facilement entretenue par des mises en scène mettant plus volontiers l’accent sur les paillettes que sur la réflexion.

 

Mariame Clément a donc eu la lourde mais excitante responsabilité de reporter sur les fonds baptismaux ce Barkouf renaissant. Avec quelques finesses, mais aussi quelques lourdeurs. Était-il nécessaire de céder au cliché de la niche palatiale fatalement associée au chien porté au pouvoir ?  Ou encore aux masques des dirigeants occidentaux actuels portés par les artistes dans une scène un peu facile ? Une étude plus fine des relations de pouvoir et de domination, un regard plus appuyé sur la psychologie des acteurs de cette confrontation de castes, une lecture portée peut-être sur l’ambiguïté et l’ambivalence de certains personnages, ne rendrait-elle pas plus justice à cette œuvre intemporelle, voire visionnaire ? Le spectre des possibilités semble large tant l’œuvre est riche de sens et conserve plus que jamais sa pertinence. Par ailleurs, la partition est si forte, si inventive, qu’on ne peut imaginer qu’il n’y aura pas de multiples lendemains à la production de Barkouf.♦