Les Cousins du côté de ma grand-mère maternelle, Clotilde Lamaud, née Rivière

 
 

 

La famille Rivière

 
 
 

 

 
Clotilde Rivière, épouse Lamaud, 1970
 
 
 
De droite à gauche, Clotilde Lamaud née Rivière, Jean Alain Joubert, Jean-Léopold Lamaud, mon grand-père maternel.
 
 
 
 

17, 18, 22, 23, 24 & 26 août 2019

 
 
 

Mémé Clotilde de la fratrie Rivière

 
 
 

NOTE : Pour ce texte toutes les dates ne nous sont pas encore connues, elles s’ajouteront à mesure que nous en aurons connaissance.

 
 

 

Grand-mère, petite grand-mère, comment imaginer à cinq ans que toute cette tendresse qui offre tout l’or du monde et demande si peu, peut-être, ne se représentera plus jamais ? Ces mères de nos mères ou de nos pères sont toutes, à l’orée de leur départ, la manne qui fait croire la vie infiniment douce. Il ne sera jamais possible de dire leur impact sur le balbutiement de nos destinées. Si aucune n’est semblable, l’amour qu’elles offrent toutes est le don précieux par excellence, celui qui peut inspirer plus d’humanité à nos parcours en devenir, en assouplir les heurts, les potentielles angoisses, les heures d’épreuves et de désespoir.

 

À mon sens, chacune est un poème unique, et mémé Clotilde avec ses rudesses, ses silences sans fin, cachait des trésors d’amour pour ses trois petits-enfants. Comment ne pas compatir à ses maladresses de femme qui en a tant vu et qui a souvent pleuré dans la solitude de sa chambre alors qu’elle se croyait à l’abri des regards.

 

Venue au monde le 7 mars 1897 à Brantôme, d’un père lui-même fils, semble-t-il, de deux familles aisées de Petit-Bersac, dont la naissance ne fut pas agréée, et d’une mère pleine de douceur et de bonté – de sainteté disait ma mère –, Françoise Parcellier (fille de François Parcellier et de Marguerite Rongiéras de Condat sur Trincou. Jean Rivière portait probablement le nom de sa mère qui le confia, nous a-t-on dit, à une famille (Les Nouaillane) qui habitait face au cimetière d’Eyvirat. Clotilde précédait une autre fille, Mathilde (née le 18 avril 1899 à Biras, décédée le 24 décembre 1914) particulièrement intelligente, aimée de son père mais que la typhoïde vaincra à l’âge de 15 ans. Clotilde atteinte elle aussi, survivra. Mais quelle terreur ! Pour Mathilde ses parents firent bâtir plus tard le caveau du cimetière d’Eyvirat qui sera aussi le leur. Ma grand-mère avait un frère aîné, Marcel, venu au monde le 22 août 1891 à Sencenac-Puy-de-Fourche pour tant de misères que l’on put penser qu’il était maudit. Il perdra la vie le 5 décembre 1937 dans des circonstances troubles que le journal considéra comme un suicide et ce que l’église de toutes les villainies reconnaissait comme contraire à la loi divine, mais il fut plus probablement assassiné d’un coup de couteau en plein cœur lors d’une rixe. Après 1900 naquirent à Biras aux ‟Volves” trois autres fils, Gaston (8 février 1903-11 janvier 1987), Henri (6 mars 1906-8 mai 1966), enfin André (20 août 1908-13 décembre 1980), le benjamin.

Deux des frères de Clotilde contractèrent mariage et pour de sérieuses déconvenues. Georgette Agnès Renault qui épousa Marcel, lui donna trois enfants qu’elle vint abandonner au début des années 30 (en 1932 : Paul né en 1927 avait alors 5 ans) sur la place publique d’Agonac et ne s’en inquiéta plus jamais. Andrée, Paul et Arlette furent récupérés par le grand-père et son fils Henri, alors âgé de 26 ans, qui vivaient au ‟Prat”, avant une autre répartition. Henri épousa Marie Desmarthon (5.08.1909-13.12.2007) avec laquelle il n’eut point d’enfant, point faute qu’elle s’employa à mille essais, divers et variés !

 

La famille vécut principalement aux ‟Volves” sur la commune de Biras, à proximité du Château de la Côte. De sa jeunesse faite de travail à la ferme et sans aucun doute d’aide à l’éducation de ses jeunes frères, je n’ai pas souvenir qu’elle nous en eut parlé.

 

Clotilde épousa à Sencenac Puy-de-Fourche, le 3 janvier 1920 Jean Léopold Lamaud [né le 9 juillet 1897, à Sencenac-Puy-de-Fourche, fils de Jean Léo Lamaud, né le 27 septembre 1871 à Saint-Pardoux la Rivière et de Catherine Roussarie, née à Condat-sur-Trincou] avec lequel elle eut une fille unique, Marie Jeanne Yvonne Lamaud qui naquit le 24 mars 1922 (décédée le 16 septembre 2010), et qui deviendra notre mère.

Marcel qui avait épousé Georgette Agnès Renault eut 3 enfants : Andrée née en 1924 (décédée en 2000), Paul né le 25.02.1927 (décédé le 12 mai 1985) et Arlette née le 20 novembre 1928 (décédée en 2004).

 

Donc par un seul enfant mâle, Paul (en réalité Gérard, Gaston, Henri) qui avait épousé le 24 juin 1950 à Cherval (24) Christiane Dejean, le nom de Rivière a pu se perpétuer par la naissance de deux fils Jean (Jeantou, né le 09 décembre 1951) et Pierre (né le 12 octobre 1955), sur une fratrie de 7 enfants.

 
 

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Clotilde Lamaud, née Rivière, 1944 (photo restaurée)
 
 

Mon grand-père, devenu cantonnier, obtint un poste à ‟La Mule Blanche”, commune de La Bachellerie entre Azerat et Condat-Le-Lardin. Notre mère née en 1922, allait à l’école et leur chat venait l’attendre au bout du chemin chaque jour à la fin de sa journée de classe. Puis, mon grand-père obtint un emploi sur la commune de Coulounieix et ils s’installèrent aux ‟Petites Brandes”, au sommet de ‟La Rampinsole” sur la RN 21 qui relie Périgueux à Bergerac où ils tenaient une petite ferme partagée par la route, avec volailles, lapins, cochon et une et même parfois deux vaches.

 

 
 
Les Petites Brandes, Coulounieix, photo André Rivière (photo restaurée)
 
 
 

 

     
     
 
Les Petites Brandes, Léopold Lamaud dans la cour, photo André Rivière   Les Petites Brandes, Coulounieix, diapositive Jean Alain Joubert  
     
     

Notre mère devint couturière, rue Wilson chez, Madame Vallet qui avait un atelier orthopédique et une herboristerie où elle faisait fureur avec une piquette que chacun fabriquait chez soi avec sa préparation magistrale. Ma mère reprochait à sa propre mère de la contraindre à travailler au privé en dehors de son travail professionnel en confection et gagner un peu plus d’argent. Peut-être que ce travail méticuleux sans une lumière adéquate fut à l’origine de la perte de la vue de ma mère, les années venant. Et de cela elle lui en gardera rancune, entraînant dans son blâme mon père qui ne la portait pas non plus dans son cœur. Il est vrai qu’il était mille fois plus facile d’aimer Léopold son père et sa grand-mère Catherine qui était une femme douce. J’eus moi-même une relation exceptionnelle avec mon grand-père que j’adorais. Il était humble, courageux et sans la moindre méchanceté.

 

Je ne passerai pas sous silence un fait qu’évoquait volontiers notre mère et qu’elle rappelle dans ses mémoires enregistrées. Pendant la période de la guerre de 39-45, un jeune homme se présenta aux ‟Petites Brandes”, en recherche de membres de la famille Lamaud. Notre mère prétend qu’il avait une ressemblance frappante avec son père, Jean Léopold. Elle regrettait que Clotilde n’ait pas voulu le recevoir. Elle était peut-être au courant de certains faits gardés également secrets sur cette famille, car je crois que Léo Lamaud (l’arrière-grand-père) avait un frère et peut-être aussi une sœur (Marie Lamaud ?) qui avait un fils André (né à Brantôme, en 1889, de père inconnu). Plus encore que notre mère, je regrette cette possibilité de cousinage qui s’offrit en cette période certes trouble, car il n’y a plus trace de Lamaud dans notre famille. J’espère réparer, avant de disparaître, cette anomalie.

 

 
 
Clotilde, Léopold et une de leurs vaches dans les années 70
 
 

 

Clotilde n’évoquait jamais son passé, ses secrets, la mort de sa sœur à 15 ans, mort à laquelle elle échappa elle-même. Parmi les événements, le mariage de Marcel (1894-1937) avec Georgette Agnès Renault (1895-1956) à Saint-Germain-en-Laye, celui d’Henri avec Marie à Agonac. La disparition de Françoise Parcellier, l’arrière-grand-mère, le 8 juillet 1930, à l’âge de 59 ans au ‟Prat” d’Eyvirat, précédent l’abandon de ses trois jeunes enfants sur la place d’Agonac par l’épouse de Marcel, et la mort violente de ce dernier en décembre 1937. Puis ce fut la disparition de Jean Léo Lamaud et la venue aux Petites Brandes de son épouse Catherine Lamaud née Roussarie qui les aidera jusqu’à ce que la mort la surprenne dans les vignes, au début des années 50, peu après ma naissance en mai 1947, et dans ces mêmes temps disparut Jean Rivière (dont pour le moment il est impossible de trouver trace de sa naissance à Condat-sur-Trincou ni celui de son décès !) ; Jean Rivière fondateur de cette dynastie avec Françoise Parcellier. Enfin, il était d’usage de faire silence plutôt que d’évoquer ce qui pouvait être la vie non académique de Gaston. Peut-être buvait-il plus que de raison ?

 

En 1966, le décès d’Henri fut un coup de grâce pour elle, je ne l’avais jamais observée aussi fermée, contrite. Peut-être était-elle en proie aux souvenirs des ‟Volves” où elle devait s’occuper de ses jeunes frères, en particulier d’Henri et d’André. Elle avait une relation forte avec l’un comme avec l’autre. Par ailleurs, je pense qu’elle fulminait intérieurement contre la trahison de Marie envers son neveu, Paul, qu’elle sermonnait pour faire trop d’enfants, mais pour lequel, elle avait manifestement de l’affection. Des conversations eurent lieu avec son frère André, avec ma mère… mais nous n’y étions pas conviés. Je pense que compte tenu de son austérité (presque protestante) Clotilde avait honte de la conduite de sa belle-sœur. L’expropriation de la succession Rivière ne fut certainement pas agréée par elle qui avait une vision rigoureuse des biens et de l’argent. Un autre décès, plus tardif affectera ma grand-mère au seuil de la démence et de sa fin de vie, celui de son neveu, Paul Rivière, qui disparaissait tristement suite à un cancer – qu’elle eut elle-même à surmonter –, à Bergerac le 12 mai 1985.

 

Taquin comme je l’étais et le demeure, j’avais donné des surnoms à ma grand-mère : Clotilde de Biras (j’avais à ce propos, commencé une pièce de théâtre un peu moqueuse qui disparut au cours du déménagement de mes parents de Chamiers aux ‟Petites Brandes”,) ou encore ‟Clochinchilde” ! Elle m’aimait assez pour supporter mes coquineries. J’avais concocté une formule lapidaire qu’elle ne contesta jamais. Autour de mes 20 ans, j’avais un camarade aussi gringalet que moi, Jean-Jacques, qui ne manifestait pas la pleine santé, pas plus que moi, mais ma vivacité faisait sans doute un peu illusion. Ma grand-mère me posait à chaque visite trois éternelles questions : « Comment va Jean-Jacques, combien tu gagnes, combien tu économises ? ». Désormais, l’apercevant sur le pas de porte de sa maison des ‟Petites Brandes”, après l’avoir embrassée, je lui débitais moqueur et par anticipation : « Bonjour Mémé, Jean-Jacques va bien, je gagne beaucoup, je dépense tout ! Au revoir Mémé ! ». De quoi la réconforter modérément, elle qui était l’économie même, mais aussi de la chatouiller là où elle avait une petite faiblesse !

 

On a bien le droit de me trouver impertinent, ce qui est vrai, mais qui m’amuse tant, que toute critique serait vaine !

 

Ma grand-mère était une femme courageuse, habituée à l’adversité. À l’âge de 12 ans on me détecta une primo-infection, ma mère de tendance neurasthénique le pris très mal me traînant depuis le dispensaire rue Charles Mangold jusqu’à la pharmacie de la Cité Bel Air, toute affolée et me terrorisant, m’imaginant déjà perdu. Mon isolation fut nécessaire derrière un rideau dans notre modeste maison de la rue des Américains. Deux mois d’un traitement antibiotique fortement dosés me donnaient l’impression de survoler le petit lit sur lequel je restais couché. De rares visites, toutefois celle d’un camarade d’école qui m’apportait les cours que je ne pouvais suivre. Un garçon vraiment courageux, qui, il est vrai, me paraissait particulièrement costaud et déterminé. Je ne sais ce qu’il est devenu, mais j’ai conservé ce souvenir de sa très humaine et audacieuse gentillesse.

Lorsque parfois, j’avais un mot dur pour Mémé, ma mère me rappelait que si mon autre grand-mère, Marie Rosalie, qui me démontrait nettement plus d’affection, n’apparut pas durant ces deux mois, ce fut Clotilde qui vint me prendre par la main pour me conduire au dispensaire afin de vérifier que j’étais parfaitement rétabli.

 

Je surpris un jour Clotilde en train de pisser debout dans le jardin à l’arrière de la maison. Nous savons désormais que diluée l’urine est le meilleur des engrais. Les plus beaux hortensias étaient chez mon autre grand-mère, ‟Villa Élina”, rue Jeanne d’Arc, à Périgueux. Mamie les arrosait avec l’urine maison diluée à l’eau. En plus d’être resplendissants, ils arboraient de fières couleurs bleues et violacées ! Pour Clotilde c’était le port de ces culottes spéciales fendues qui autorisaient cette station debout, jambes écartées que je n’ai jamais plus revue ensuite !

 

Il serait tellement injuste de ne point évoquer les dimanches, les jours de fêtes, à la table fastueuse de notre grand-mère. Cà fleurait bon le poulet rôti et un dessert mirifique, toujours servi pour Pâques ; les îles flottantes de Clotilde étaient insurpassables, un bonheur absolu. Selon la tradition paysanne nous nous réunissions pour les moissons, les vendanges, et encore ‟La tue-cochon” ou « tuaille du cochon », rituel qui avait nettement moins mes faveurs, mais qui autorisait rillettes, enchauds, saucisses, boudins, andouillettes, côtes de porc… Et pour tout l’hiver et au-delà il y avait les saloirs à jambons sous l’escalier.

 

 
 
Mes grands-parents, diapositive début des années 70
 
 

 

Les vacances de Pâques, de Noël et les grandes vacances se partageaient entre la rue Jeanne-d’Arc et les ‟Petites Brandes”, et quel plaisir au printemps ou à la belle saison que ces ruisseaux temporaires, ces mares silencieuses, troublées de temps à autre par quelque animal aquatique, ces forêts et ces fougères qui sont mon plus sérieux repère ! Il faudrait causer de l’historique de mes cabanes, du petit voisin de mon âge, Michel, et des ballades avec mon grand-père sur les routes qu’il entretenait et dans les déchetteries que nous appelions des ‟bourriers” de la ville dans lesquels je dénichais des choses tellement improbables et inattendues ; déjà des produits chimiques qui me permettaient de réaliser des mélanges inflammables, propulsant de petites fusées grâce à ces produits résiduels de droguerie.

 

Clotilde faillit nous faire honte avec la vache d’Anaïs Joubert (sans lien de parenté avec nous, mais apparentée du côté Roussarie). Nous voici partis au Lyonnet (commune d’Agonac) avec ma grand-mère, mon père dans la 4 CV et une corde. Clotilde voulait récupérer un prêt qu’elle avait fait à ces pauvres gens et elle était déterminée à revenir avec une vache si Anaïs ne lui rendait pas son argent. Anna, la mère d’Anaïs, selon mes souvenirs, était sur son lit, en fin de vie, avec un parapluie au dessus du lit censé la protéger d’une fuite de la toiture. J’imagine ce qu’aurait pu être la traversée de Périgueux avec une vache attachée par une corde au pare-choc de la voiture. Une scène qui certainement eut intéressé les badauds et la maréchaussée ! Heureusement il n’en fut rien. Mais ce jour là je ne l’ai pas aimée, je l’ai trouvé « vache » et ce fut bien la seule que nous ramenâmes aux ‟Petites Brandes”! Mon père avait une patience que je ne saurais avoir avec de semblables pratiques. Si elle m’avait fait une pareille proposition à l’âge adulte, elle eut frémi de ma réaction et de mon rappel à l’ordre. Garde à vous Mémé !

 

Mes deux grands-mères s’emmêlaient les pinceaux avec les noms anglais et nous alambiquaient des formules irrésistibles, surtout Marie Rosalie qui nous faisait rire à en mourir avec ses confusions et qui riait de bon cœur avec nous de ses égarements. Elles avaient longuement parlé patois dans leur jeunesse, le français était leur seconde langue. Entres eux, Pépé et Mémé parlaient patois. Clotilde, pour une fois, mit en joie mon père, lorsqu’au retour de Périgueux où il l’avait conduite pour une formalité ou des courses, elle aperçut à Saint Georges au début de la route de Bergerac un tout nouveau pressing et eut cette réplique savoureuse : «  Je n’avais pas vu qu’on avait ouvert un présinge ! »

 

Une première fin à ce qui semble immuable survient lorsqu’un des partenaires d’un couple disparaît ; c’est également vrai pour nos grands-parents. Ce moment douloureux est survenu le 4 juillet 1972, lorsqu’une seconde hémorragie cérébrale eut raison de Léopold. Ce fut un moment bien particulier que j’évoquerai dans un texte consacré à mon grand-père qui a compté pour moi plus que quiconque. Ma grand-mère commença une vie de plus grande solitude même si elle avait la fâcheuse habitude de bouder, et donc de ne plus adresser la parole à mon pauvre grand-père, parfois un mois durant, qui cependant n’était pas très bavard lui-même. Pour autant, je ne doute pas qu’elle fut davantage soumise à l’aide et à l’arbitrage de mon père et de sa fille et perdit ainsi une part de son indépendance qu’elle appréciait comme tout Rivière qui se respecte ! On ne mesure pas toujours la terrible solitude qui s’installe dans les vies, lorsque le vieillissement s’intensifie.

 

 

     
     
 
Clotilde chez elle vers la fin de son existence (photos restaurées)
     
     

Dans ses dernières années aux ‟Petites Brandes”, la cataracte, une vue très affaiblie ne lui permettait plus de voir précisément ce qu’elle faisait et pourtant elle avait voulu inviter mes sœurs et moi à un petit repas, le dernier que nous prîmes avec elle dans sa maison. Le vermicelle qu’elle nous servit en entrée fut le sujet d’une stupéfaction puis d’un fou rire mémorable. Comme chez moi, ses sachets de céréales une fois ouverts s’immobilisaient parfois un peu longuement dans son buffet. Ce fut moi avec mon œil coquin qui découvrit que le vermicelle avait été remplacé par de petits cussous blancs propres à donner l’illusion. Lorsque je fis part de ma découverte, évidemment je plombais l’atmosphère. Mais il fallut bien se rendre à l’évidence, ce potage très riche en protéines n’était pas ce que ma pauvre grand-mère avait souhaité nous préparer. Nous avons beaucoup ri de cette étrange inadvertance. Le reste du repas nous consolât et Clotilde avec nous.

 

Vers la fin de son existence, se produisit un fait qui fut cruel pour ma mère. Ma grand-mère sachant que je serais attentif à sa demande exprima le désir d’obtenir une couverture supplémentaire pour son lit, car elle n’avait pas chaud l’hiver dans sa maison très mal chauffée. Elle était habituée à la dure, mais avec la fragilité des années, elle manifesta ce besoin. Lorsque j’en fis part à ma mère qui habitait la maison contre le bois non loin de la sienne, elle alla chercher dans ses armoires une couverture légère, du style de celle que l’on voit sur les couches militaires. Je n’étais pas convaincu que cette couverture répondrait à l’espérance de Clotilde et j’en fis part à ma mère. Elle me répondit sèchement que ça devrait lui suffire. C’est alors que je lui réclamais une paire de ciseaux. Elle me demanda ce que je comptais en faire et là je fus d’une implacable dureté : « C’est pour couper la couverture en deux et garder la seconde moitié pour toi, lorsque tu seras vieille et que tu auras froid à ton tour. » Blessée mais convaincue par mon argument elle me tendit une couverture hivernale qui mit ma grand-mère au chaud dans son lit.

 

Lors d’une de mes visites, il est certain pas assez nombreuses, au pavillon de Parrot, dépendance de l’hôpital de Périgueux, où après avoir eu des gestes déplacés avec ma mère, dus à un début de sénilité, elle fut hospitalisée, elle me déclarait voir des rats un peu partout, aux murs, au plafond… peut-être un souvenir de jeunesse. Un jour je fus pris à partie par l’infirmière furibonde, car Clotilde s’était rendue pendant son absence dans son bureau, avait poussé les papiers qui étaient sur son bureau par terre et avait fait ses besoins dessus. Je ne cache pas que ça m’avait enchanté ! L’infirmière ne fut pas contente lorsque je lui ai reproché de laisser ce dortoir de huit personnes plus ou moins valides, avec des pathologies cognitives sérieuses, sans surveillance. Plus loin trois ou quatre aides-soignantes palabraient dans l’encoignure d’une porte. Une autre fois où je faisais remarquer à une de ces bavardes indifférentes qu’une voisine de ma grand-mère mangeait sa banane avec la peau, elle me répondit : « Mais elle fait toujours ainsi ! », ce à quoi j’ai répondu : « Et par exemple, il ne vous viendrait pas à l’idée de lui peler sa banane, ce qui demande peu d’effort, afin qu’elle ne puisse plus la manger avec sa peau, car je ne crois pas que cela puisse lui faire vraiment de bien ? » Dans le cas présent et compte tenu de mes activités professionnelles je n’aurais pas hésité à lui retirer un mois de salaire pour faute professionnelle sérieuse, ce que j’hésitais à faire subir aux demandeurs d’emploi que je contrôlais et qui eux travaillaient comme des esclaves dans les entreprises dont ils avaient été licenciés.

 
 
Clotilde dans les années 70 (photo restaurée)
 
 

Clotilde nous quitta le 8 mars 1988, à l’âge de 91 ans. Elle repose avec grand-père au cimetière de Coulounieix. Sa vie n’eut rien de facile, ni de très passionnant, elle n’avait pas l’art d’ailleurs d’y ajouter elle-même des saveurs, du piquant ; les épreuves l’avaient plombée et sans doute privée d’espérance. Malgré ses défauts, nous l’aimions bien mes sœurs et moi et nous pouvons dire tous les trois qu’elle fut une bonne grand-mère, parfois un peu dure, boudeuse et pingre mais qui cachait une grande tendresse pour ses petits enfants. Comme nous aimerions pouvoir embrasser encore cette jolie pomme plissée… ♦

 

 
 
 

 
 

10 & 17 octobre 2019

 
 
 

Anniversaire de Jacqueline Clément, ma cousine

 
 
 

De cette année 2019, je garde précieusement, la résultante de mon initiative de reprendre contact avec ma cousine Jacqueline Clément qui finalement m’émerveille plus encore qu’à 17 ou 18 ans ! Elle a certainement hérité des Rivière la volonté de mettre la tête hors de l’eau et la rigueur de s’en donner le pouvoir, mais sans doute tient-elle plus certainement de Françoise Parcellier, dont ma mère, qui l’a assez peu vue et connue, disait cependant qu’elle était une sainte.

 
 
Jean-Pierre, Laeticia, Jackie, 1970
 
 

 

Son veuvage est une cruelle épreuve, car il y avait une unité rare dans le couple qu’elle formait avec Jean-Pierre. Couple fait de deux êtres discrets, mais déterminés à réussir ensemble une vie pleine de sens. À voir l’attachement que lui portent ses deux filles, on devine que l’attention et la tendresse qu’elles donnent à leur mère résultent de ce qu’elle leur a offert de gage de réussite et d’aptitude au bonheur. Dans cette famille, il y avait un père étonnant, maître ouvrier, mais d’une tempérance et d’une hauteur d’esprit données à peu de personnes. Nous regrettons tous son départ, peut-être plus moi encore qui n’ai pas eu l’opportunité de le connaître et de l’apprécier comme tous les autres membres de la famille qui l’évoquent toujours avec beaucoup d’émotion.

 

 
 
Jean-Pierre, Marion, Jackie, Yoann, 2003
 
 

 

Ma chère cousine débute une nouvelle vie, entourée de l’amour de ses filles et petits-enfants dont elle ne peut qu’être particulièrement fière et je sais qu’elle l’est.

 
 
Laeticia, Jackie, Sandrine, 2019
 
 

 

Nous nous sommes retrouvés pour poursuivre le chemin qui reste, moins seuls, solidaires. Nous formons Jackie, Pierrette et moi, un trio inattendu mais toujours prêt à faire surgir la bonne humeur, la joie et l’affection pour compenser ce que les années nous ont pris.

 

Je suis très heureux de compter au nombre de ceux qu’elle a choisi d’inviter pour fêter son anniversaire, car même si nous nous sommes assez peu rencontrés au fil des ans, il existe depuis toujours une indéfectible affection entre-nous et de ma part une très vive admiration. Ce que Jackie a fait de sa vie est exemplaire. Son parcours donne raison à Jean Rivière et à Françoise Parcellier de s’être battus pour une descendance qui leur fait grand honneur. ♦

 
 
 

 
 

Vendredi 13, dimanche 15 et lundi 16 septembre 2019

 
 
 

 

Jean-Claude Aunet et la dynastie Rivière

 
 
 

Nous nous étions promis de nettoyer le caveau de nos arrière-grands-parents à Eyvirat. Pierrette, Jackie et moi-même nous nous y employions sous un ciel de fin d’été, jeudi en matinée.

 

Entre deux haltes à la Clinique du Parc à Périgueux, où Pierrette conduisait une de ses voisines et amies, nous relevions le défit avec entrain et bonne humeur.

 

Je fus ému par la petite table de Jackie prévue pour déjeuner au cimetière, un lieu aussi ensoleillé que les plages du littoral, mais pas aussi silencieux que l’endroit voudrait le laisser penser ; en effet, le mitoyen est venu nous faire pétarader sa débroussailleuse dans les oreilles de peur sans doute que l’on se prenne de passion pour ses pêches de vigne. La courbure des branches présageant une abondante récolte. Mais nous avions la pêche sans en consommer !

 

Pierrette, que je fis perdre dans la descente de Champcevinel jusqu’à nous retrouver au Toulon, devant chez Hubert Girardeau, fit halte sans que nous ne le sachions chez un descendant de la famille Nouaillane, boulangerie, pâtisserie ‟Les délices de Sylvain” à Agonac, après nous avoir, en définitive, avec son joyeux toupet, invités tous les trois chez Jean-Claude Aunet, pour le repas de midi.

 

Jean-Claude est presque l’aîné des Rivière, de ceux du Prat, des limogés du lieu par Marie la sordide ; misérable héritière puis dilapidatrice des économies des vieux Rivière et de leur noble fils Henri. Marie fut la honte de la famille. Nous ne ferons dire aucune messe pour son salut !

 

Jean-Claude appréciait la compagnie des enfants de Paul et Christiane Rivière, lorsqu’ils demeuraient au ‟Prat” d’Eyvirat. Bien qu’adultes aujourd’hui, parents et grands-parents à leur tour, il les considère comme sa propre famille. Et c’est Jeantou, Pierre et Pierrette principalement mais pas uniquement qui font le siège du ‟Clou” pour y partager leurs souvenirs de ce temps joyeux de l’enfance où cependant le pain et le lait des vaches de la famille Aunet pouvaient parfois un peu mieux combler les estomacs un peu creux, de cette marmaille qui vivait souvent de bien peu.

 

Pierre semble tout particulièrement avoir une complicité avec Jean-Claude ce qui lui permet d’en savoir plus que ses frères et sœurs sans trop l’évoquer en dehors de ces lieux. Je souffle un peu tempête avec mon enquête qui ressuscite bien des aspects un peu troubles de cette épopée. Ce qui touche chez le fils Aunet, c’est sa simplicité, sa modestie, son humilité et son grand coeur. J’imagine sans peine qu’il est à l’image de ce que furent ses parents, de vrais braves gens comme il n’en existe plus guère. À chaque visite, s’exprime le bonheur de retrouver ses anciens voisins qui sont partis du ‟Prat” à l’automne 1966. Cela fait tout de même un bail et ne faut-il pas une grande nostalgie et une vraie affection pour que, plus de cinquante ans après, les incessantes visites depuis le lointain bergeracois se manifestent avec une telle régularité, une aussi impérieuse fidélité ? Cette nécessité ressentie par chacun des frères et soeurs se produit comme dans le secret d’un confessionnal, chacun voulant sa propre complicité avec Jean-Claude, l’ami idéal. Dans les étincelles qu’il a dans les yeux, on devine que ‟Loulou” est revenu aux heures heureuses de l’âge tendre, et des moments qu’il avait partagés avec cette joyeuse fratrie.

Je l’interroge sur le malheureux Gaston, notre grand-oncle, le plus inconnu des Rivière initiaux (les enfants de Jean Rivière et de Françoise Parcellier). Ce personnage atypique, au caractère chatouilleux, disait ma mère, repose depuis 1987 dans le caveau familial à Eyvirat. Sa vie quelque peu vagabonde, arrosée outre mesure peut vouloir conduire à le tenir à l’écart des réunions et fêtes de famille. Personne n’ayant trop de souvenirs de lui, on peut supputer que ce fut bien le cas. Jean-Claude nous le décrit comme ouvrier agricole, louant ses services aux uns et aux autres, logé dans l’étroite rue du commerce d’Agonac. Au-dessus de lui habitait son camarade assoiffé Greuilh. Dans cette rue de solitaires, il y avait parfois de la joie et des éclats de voix. Au demeurant, Jean-Claude le décrit comme un gentil garçon, ainsi que furent ses trois frères. Si sa soeur Clotilde le regardait d’un mauvais œil, nous, nous l’aimons tel qu’il était : libre, pauvre, totalement insouciant, peut-être même un peu irresponsable. Il aura terminé sa vie dans un hospice à Sarlat, démuni qu’il était de revenus sérieux, mais il a vécu comme les oiseaux des champs et au temps de sa jeunesse cette liberté, si rare, fut un privilège. Sans doute la famille lui avait tourné le dos, ce qui n’était pas très chic… mais la rigueur, le volontarisme du vieux Rivière interdisait tout dilettantisme. Sans doute l’ai-je vu aux jours de vendanges à Saigne Bœuf, sans trop faire la différence avec tout ce monde qui participait à ces festivités et avec lesquels je n’avais pas de réelle proximité.

 

Lorsque nous arrivâmes chez Jean-Claude, les faitouts et l’ancestrale cocotte frémissaient sur les feux. Quel menu inattendu et savoureux, il s’ouvrit avec un tourin à la tomate et au vermicelle comme autrefois chez mémé Clotilde. Je fis même chabrol avec notre hôte, mais il remarqua bien que je n’avais pas retourné la cuillère à soupe dans l’assiette pour que soit respecté le niveau de piquette des vrais de vrais de chez nous ! De délicieuses palombes chassées ce dimanche accompagnaient les petits pois comme en un jour de fête. Fromage et tarte aux pommes de Sylvain Nouillane nous mirent en forme pour un retour serein. Mais Jean-Claude comme toujours tourne le dos lorsque nous le quittons. Retrouver sa solitude le rend maussade sur cette vaste propriété où les visites ne sont pas si nombreuses. Il fallut embrasser Jackie qui nous suivit cependant jusqu’à Agonac, peut-être pour visiter la fameuse rue du Commerce dans laquelle vécut notre grand-oncle ? Il nous fallait rejoindre la Clinique du Parc à Périgueux.

 

Moi-même, cette fois, je fus triste de devoir quitter un personnage aussi unique par sa gentillesse, sa disponibilité et son sens des autres. Ce jour consacré à nos aïeux, fut grâce à Jean-Claude, à mes si charmantes cousines, un des beaux souvenirs de l’an 2019. Merci. ♦

 
 
 

 
 
 

Mercredi 14, jeudi 15 août 2019

 
 

 

Texte dédié à mon petit cousin David RIVIÈRE, à sa compagne Julie DELVAS, et à leurs deux magnifiques fils : Tom & Yann

 

 

 

En Hommage aux excellents parents de David et Alexandre :  Jeantou et Annick RIVIÈRE

ainsi qu’à ses vaillants et courageux grands-parents : Paul et Christiane RIVIÈRE

 

 

 
 
 
 

La jeune génération Rivière

 
 
 
 

C’est la lumière qui éclaire toute cette maison, où les pièces s’articulent avec sobriété et bonheur. L’agrandissement conséquent réalisé par un jeune père doué pour tous les travaux du bâtiment, y compris les délicats carrelages au sol, et le sens des concordances harmonieuses d’une mère, engendrent une sensation de perfection dans cet espace approprié à l’art du bien vivre d’une famille où s’exprime la vitalité de la jeunesse.

 

Nous sommes à Lamonzie-Saint-Martin dans le Bergeracois. Habite là un couple soudé et dédié à leurs deux jeunes enfants. L’aîné, Tom a 4 ans, il est la beauté même, gracile autant que gracieux, il vit dans un monde très riche dont il anime les multiples possibles. S’il communique assez peu, c’est qu’il possède une réserve que l’on rencontre souvent du côté masculin chez les Rivière. Le père, le grand-père, le grand-oncle, l’arrière-grand-père en sont des exemples probants. Yann, a moins d’un an, quelques dents et un sourire ravageur. On le trouve vibrant du plaisir de regarder les autres, tous les autres, manifestant une vigoureuse joie de vivre extrêmement communicative. Il sera peut-être davantage du côté souriant de sa maman, Julie : jolie, investie, assurée. Je suis persuadé que Yann sera la source permanente de stimulation joyeuse pour son frère qui possède déjà les traits d’un penseur.

 

Je me suis pris à imaginer le vieux père Jean Rivière des “Volves” de Biras, homme courageux, déterminé et sévère, la douce arrière-grand-mère, Françoise Parcellier, devant ce tableau enchanteur… Ils en pleureraient probablement de joie et de reconnaissance, heureux de voir que leur sueur, leurs incessants efforts, leurs privations ont trouvé accomplissement à travers leur arrière-petit-fils, David. Si on ne peut être fier devant ce tableau familial, c’est qu’il est impossible de l’être jamais.

 

Je croyais trouver là une famille dans l’épreuve, or ce qui se manifeste c’est l’ordre, le courage, l’abnégation, la beauté. C’est vous qui recevez le réconfort que vous pensiez devoir apporter. Comme chez Laetitia et Éric nous découvrons l’harmonie des vrais couples, une trajectoire sans doute non exempte de soucis, mais tracée pour être une réussite au sens noble : réussir sa vie c’est l’accomplir et en éprouver de la joie et de la fierté.

 

David veut regarder devant lui. À 35 ans débute l’âge de la réalisation et son projet de vie avec Julie mérite notre respect. Il n’aura sans doute pas l’esprit combatif pour le collectif que sa mère possède à l’envie, mais à y bien réfléchir, il regarde droit devant lui, réalisant, construisant, farouchement indépendant, insoumis au crétinisme commun et bien décidé à porter ses efforts et ses compétences là où la réalisation de soi n’est pas bridée. Il pourrait bien avoir l’énergie indispensable à un créateur d’entreprise.

 

Son frère aîné, Alexandre, possède une vitalité qui lui est propre. Elle est non dépourvue de sagesse, d’adaptabilité exempte d’arrivisme, mais particulièrement soucieuse d’œuvrer là où elle trouve un plein épanouissement. Nous le voyons pour la seconde fois ; Marie Annick, comme moi, le trouvons détendu, en forme, très certainement heureux de passer ce moment en famille avec ses adorables neveux. La reprise du travail après les congés d’été se fera sans difficulté lundi !

 

Mon cousin Jeantou et Annick son épouse, ont le droit d’être fiers de leurs deux fils. C’est bien ainsi que j’espérais la lignée Rivière : ferme, solide, déterminée. De ces deux jeunes hommes dépend aujourd’hui la perpétuation de ce nom qui dans ma propre famille eut une si grande importance, participant à tous les événements marquants de l’existence.

 

Pierre, second fils de Paul, s’était joint à nous. On devine une grande sensibilité derrière ses mutismes. Mais il est de nous tous le mieux instruit des secrets douloureux de cette famille comme celui de l’achat du ‟Prat” à Eyvirat par Jean et Françoise Rivière comme aboutissement de leur travail, de leurs privations afin d’offrir à Paul, unique fanal de la lignée Rivière, un lieu de vie sans les incertitudes que connaissent domestiques, journaliers, métayers. Le rôle inique de Marie – que désormais je considère comme une insulte à notre famille – est impardonnable en raison du rapt calamiteux qu’elle fit de cette propriété. Elle est responsable du chemin de croix de Paul. Pierre connaissait aussi les dérives dégoûtantes de cette oie sans tête, au temps de la guerre de 39-45 où Henri se trouvait au travail obligatoire en Allemagne. Dans sa chambre Clotilde chuchotait beaucoup, je l’ai surprise maintes fois en conversation avec elle-même, elle a beaucoup pleuré son petit frère Henri… Je commence à percevoir l’ampleur de son chagrin comme sa rage contre sa misérable belle-sœur. Deux femmes ont joué des rôles ignobles contre notre famille : l’épouse de Marcel et celle d’Henri.

Pierre porte ces secrets de famille trop seul, on comprend combien ils lui pèsent. Est-ce la translation de confidences que lui firent son père, peut-être sa mère… ou encore l’ami Jean-Claude !

 

En observant les chemins de réalisation de mes petits cousins je note que les obstacles dressés par ces deux femmes irresponsables ont été dépassés, mais je n’oublie pas la vie cruelle qui fut imposée à Paul et Christiane, les répercutions sur la jeunesse de leurs sept enfants, avant que les générations suivantes ne viennent contrecarrer ces indignités.

 

Être resté si longuement éloigné de ces cousins m’apparaît aujourd’hui proprement incroyable, car ils sont bien de mon sang et une part de mon histoire. Ce qui leur advient me concerne et me touche. Depuis l’appel de Pierrette, en janvier 2019, que de choses sont advenues ; les chemins désertifiés sont devenus des voies de communication, d’échange, de partage et de paix. C’est tellement plus facile de porter fraternellement ce passé douloureux et de partager les joies nouvelles. Certes, un de ces jours, nous partirons, mais pas sans avoir renoué avec ce qui nous relie depuis que Jean Rivière a dû s’inventer une nouvelle famille avec Françoise Parcellier, puisque ses géniteurs l’avaient laissé grandir tout seul.

 

Faisons le reste du chemin ensemble, nos aïeux et nous-même méritons cette chance. □

 
 
 

 
 

Vendredi 19, samedi 20, dimanche 21 juillet 2019

 
 
 

Réussir sa vie : Laetitia, une fleur dans les familles Rivière, Lavit, Clément, Moreliéras

 
 
 
Texte dédié à ma petite cousine Laetitia, à mon petit cousin Éric Moreliéras et à ma chère cousine Jacqueline Clément

 

 

 

En mémoire de Jean et Françoise Rivière (née Parcellier), mes arrière-grands-parents, de mes grands-oncles Marcel et Henri Rivière, de mes cousins Arlette et René Lavit, de mon cousin Jean-Pierre Clément.

 

 
 
 
               
               
       
Jean-Pierre, Jackie, Laetitia Clément, 1970   Laetitia & Jean-Pierre   Éric, Laetitia, Junior & Manon   Arlette Lavit, Junior & Manon, Noël 2000  
               
               

Parfois, je me demande si du haut du ciel, où d’un endroit inconnu, nos aïeux, ne nous regardent pas, et avant que sonne notre heure, nous concoctent des surprises totalement inattendues, générant en nous tout le merveilleux des jours de l’enfance !

 

Partis de Chancelade, avec Marie-Annick, nous fîmes halte aux ‟Volves”, commune de Biras où vécut la famille Rivière, Jean et Françoise Parcellier – une sainte femme –, avec leurs deux filles et leurs quatre fils. La mort, à 15 ans, de leur fille Mathilde leur fit bâtir un caveau dans le petit cimetière d’Eyvirat où ils s’en sont allés la rejoindre des années plus tard. Il y a là aussi Arlette, leur petite-fille, la mère de notre cousine Jackie et la grand-mère de celle qui nous invite aujourd’hui à ‟Chanceland”, commune de Saint-Crépin de Richemont.

 

L’ancienne métairie des ‟Volves”, en amont du château de La Côte à Bourdeilles, s’étend sur un site vaste et vallonné, lumineux et souriant. Le château fut un des lieux avec l’école où se rencontrèrent et s’aimèrent nos aïeux. La famille Rivière y vécut autour de 1900. Jean-Léo Lamaud et Catherine Roussarie son épouse, mes arrière-grands-parents y travaillèrent comme domestiques. Leur fils Jean-Léopold, mon grand-père, y rencontra Clotilde Rivière, ma grand-mère.

 
 

À droite, de bas en haut, les fils Rivière : Henri, André, au sommet Marcel

Au centre, Jean Rivière le patriarche, Françoise Parcellier-Rivière, derrière, Gaston Rivière, à ses pieds

Marie-Jeanne Yvonne Lamaud-Joubert, ma mère. Assis à gauche, mon grand-père Jean Léopold Lamaud, au-dessus Clotilde Rivière-Lamaud, à sa gauche Catherine Roussarie-Lamaud, mère de mon grand-père.

 
 

 

 

 

Nous fûmes bientôt chez ma cousine Jacqueline Clément – que toujours nous appelâmes Jackie –, sur la route d’Angoulême, après Brantôme. Une halte au cimetière de Saint-Crépin de Richemont pour y saluer René, le père de nos cousins et Jean-Pierre Clément l’époux de ma chère cousine. Il n’y a aucune tombe aussi belle et fleurie en ce cimetière, nous privant cependant d’un époux, d’un père, d’un grand-père et d’un cousin regretté, admiré, vénéré.

 

Pierrette, ma cousine – que j’aurais le plus regretté depuis l’Au-delà de ne pas avoir connue sur terre, car c’est un trésor de gentillesse, d’affection et d’intérêt pour les autres –, était aussi invitée avec Jean-Pierre Martinet, son époux. Pierrette est cette autre cousine qui a mis des fleurs sur son chemin de vie et qui par un heureux mariage, a donné naissance à deux superbes enfants et deux petites-filles adorables qui font aussi grand honneur à cette famille du côté de ma grand-mère maternelle, Clotilde Lamaud.

 

 
 
Jean-Pierre Martinet, Camille & Huguette Lavit, Pierrette Martinet, Laeticia Moreliéras, Jackie Clément, moi & mon ventre, Éric Moreliéras. Photo Marie Annick Faure.
 
 

 

 

Pierrette m’avait prévenu que j’allais rencontrer non seulement une très jolie jeune femme, ce que j’avais remarqué sur les photos, mais une merveilleuse personne. Je n’ai pas souvenance d’avoir vu Laetitia même enfant, mais j’ai tout de suite été charmé comme cela m’est rarement arrivé et encore ému par cette grâce absolue qui la caractérise en permanence. Sa mère possède elle-même beaucoup de charme et, jeune fille, elle m’avait un peu tourné la tête, non qu’elle voulut me séduire mais j’avais remarqué en elle une jeune fille hors du commun, délicate et discrète. Jackie était appréciée et aimée de tous dans notre famille. Et je conviens sans peine que c’est une joie et un privilège de l’avoir retrouvée, comme si tant de décennies ne s’étaient écoulées depuis nos jeunes années.

 

 

 
 
 
Laeticia & Éric Moreliéras à ‹Chanceland›
 
 

Étant le plus avancé en âge dans ces retrouvailles entre cousins, je me suis senti curieusement être le représentant de mes arrière-grands-parents Rivière. Et j’ai ressenti toute la fierté de Jean et Françoise d’avoir une héritière aussi parfaite, comme couronnement de leur immense travail, de tant de privations et de deuils cruels. Il fallait cette quatrième génération depuis leur fils Marcel pour que vive pleinement leur espérance.

 

Si j’avais rencontré Éric lors de notre escapade entre cousins (Pierrette, Jackie et moi) le 2 mai dernier, je ne connaissais pas encore Laetitia. Avec elle, tout est simple et naturel, un vrai rayon de soleil ! La relation s’est immédiatement établie comme si nous étions, depuis des lustres, attablés dans une continuité ininterrompue avec cette famille Rivière : Jean, Françoise, Marcel, Clotilde, Henri… Arlette, Paul, Andrée. Nous étions leurs héritiers sans vouloir réduire les alliances qui autorisèrent le déroulement de nos chemins respectifs.

 

Un frère de Jackie, Camille, était aussi invité avec Huguette son épouse et mère de leurs deux fils Nicolas et Ludovic. En mars 2015, le gentil Gilbert, troisième de la fratrie, disparaissait. J’avais connue Janine qui avait un an de moins que moi, disparue en 2004 ; disparus aussi son époux Marcel et leur fils Guy. Je n’ai pas souvenance d’avoir rencontré avant (ou peut-être pour l’enterrement d’Andrée Girardeau) les deux fils, ni la troisième fille, Annie, de ma cousine Arlette et de René Lavit.

 

 
 
Jean-Pierre Martinet, Camille & Huguette Lavit
 
 
 
 

Au centre de la photo, Camille Lavit, lors du

mariage de Jackie et Jean-Pierre

 
 

 

La demeure de ‟Chanceland” résulte d’une incroyable aventure. De vieilles granges, sans habitation, uniquement réservées au bétail, elle est devenue en deux décennies une vraie splendeur. Le déjeuner eut lieu dans les anciennes chambres rustiques dans lesquelles s’était réfugié, un jour, le grand-père René pour y mener ses réflexions. Le lieu restauré avec soin, tel un salon d’été Toscan s’ouvre sur la cour, les dépendances, l’habitation et la campagne. Nous fut servi, à proximité de cette pièce, un mojito rhum, menthe, citron vert, Perrier et sucre de canne, accompagné de bâtonnets de carottes, concombres, choux fleurs… et divers dips.

 

 

 
 
Appéritif & Mojito
 
 

Éric sait tout faire de ses mains ; il a confectionné une table de bois festive et ses quatre bancs attenants avec un large plateau tournant permettant à chacun, d’où il se trouve, d’avoir accès aux victuailles et boissons… Mais Éric, en maître de maison, sert le vin !

 

 
 
La table magique confectionnée par Éric
 
 

 

Ce repas estival s’ouvre sur des brochettes de tomates cerise, jambon de pays, melon, mozzarella et pastèque ainsi qu’un pâté de sanglier-chevreuil.

Éric est aussi aux fourneaux, à proximité, pour rôtir la viande de canard et de poulet alors que Laetitia apporte un régal de gratin de pommes de terre et courgettes.

Des chèvres chauds et panés accompagnent la salade.

Pour parachever ce repas champêtre elle a aussi préparé un dessert glacé à base de mascarpone, de meringue, cerises confites et son coulis de fruits rouges qui me régalera plus encore ; j’en ai toujours en l’écrivant, les papilles en émoi ! La conversation allait bon train dans une atmosphère bon enfant et une température idéale, rare en ces temps caniculaires. Les vins étaient excellents. À la fin du repas, ayant renoncé au café servi par Éric, mes pupilles n’étaient plus totalement en face de leurs orbites. Toutefois, bien arrimé à la table, car il fallait lever la jambe pour s’extirper du banc, j’y parvins sans m’écrouler… les autres firent tout aussi bien !

 
 

De gauche à droite :

Marie Annick Faure & Jackie Clément entre Pierrette et Jean-Pierre Martinet

 
 

 

Nous nous dirigeâmes ensuite vers la demeure dans laquelle Laetitia nous conduisit pour une visite avant que nous nous installions dans le large canapé pour regarder une vidéo très soigneusement réalisée de ces travaux qui transformèrent ces vastes bâtiments relativement vétustes en lieu de résidence que les revues dédiées à la maison, à l’aménagement et à la décoration, auraient plaisir à proposer à leurs lecteurs.

 

J’avais déjà vu, le 2 mai, le vaste salon d’un goût parfait ; la douceur des coloris et les associations de tons inclinant à la sérénité, au calme, au repos.

La vidéo montre, étape par étape, la réalisation de ce projet ambitieux et la volonté d’allier le confort pratique avec l’élégance et le raffinement.

Laetitia a eu un père exceptionnel et Éric a trouvé dans son exemple et son propre savoir-faire le chemin de la réalisation la plus rigoureuse, toujours esthétique. Il est incontestablement un maître-ouvrier, comme le fut son beau-père. Voici ceux que personnellement j’appelle les Premiers de cordée, les bâtisseurs, les réalisateurs du beau. Mais aussi quelle détermination, quel courage pour transformer aussi somptueusement des bâtiments à vocation agricole. Laetitia n’était pas en reste dans ce vaste projet, pousser les brouettes de ciment ne lui faisait pas peur !

 

 
 

Jean-Pierre et Jackie Clément avec Marion & Yoann

enfants de Sandrine & Jean-Philippe Grand, 2003

 
 

 

Les parents de Laetitia, Jacqueline et Jean-Pierre ont, à mon sens, exemplairement construit leurs vies. La performance pour notre modeste famille se décline en courage, abnégation, patience et vaillance.

 

Comment alors ne pas lever mon chapeau – Marie Annick me l’avais rapporté des Estivales du chapeau de Caussade d’où elle revenait – devant l’attrait d’une si heureuse réalisation. Et comment ne pas être fier et reconnaissant pour toute cette famille Rivière, depuis Jean et Françoise Parcellier, dont Jackie et sa fille Laetitia sont parmi les fleurons.

 
 
Jean-Pierre & Jackie Clément, Junior et Manon
 

 

La grâce et la gentillesse donnent tout leur prix à une réussite qui mérite de se voir réitérés les éloges du grand philosophe américain, Ralph Waldo Emerson[1] :

 

« Rire souvent et sans restriction ; s’attirer le respect des gens intelligents et l’affection des enfants ; tirer profit des critiques de bonne foi et supporter les trahisons des amis supposés ; apprécier la beauté ; voir chez les autres ce qu’ils ont de meilleur ; laisser derrière soi quelque chose de bon, un enfant en bonne santé, un coin de jardin ou une société en progrès ; savoir qu’un être au moins respire mieux parce que vous êtes passé en ce monde ; voilà ce que j’appelle réussir sa vie. » □

 

___________________________________

[1] Ralph Waldo Emerson (1803-1882), essayiste, philosophe et poète américain, chef de file du mouvement Transcendaliste américain du début du XIXe siècle.

 
 
 

 
 

‟Le Prat”, chez Paul Rivière & Saint-Crépin-de-Richemont

Du samedi 4 mai au mardi 21 mai 2019

 

 

 
  En dédicace à mes deux merveilleuses cousines Jackie Clément et Pierrette Martinet   
 
 
 
 
 

 

Quel est donc ce bruit, en ce coin de nature ?

 

La réfection du chemin avait commencé, sans avoir été annoncée, depuis 7h00 du matin !

 

Pour autant ma cousine Pierrette arrivait de Lembras devant la porte pour me récupérer et nous prîmes le chemin d’Agonac.

C’est un chemin que je connais bien, je le prenais à bicyclette, depuis Chamiers, à 18 ans, en 1965, pour rendre visite à Jackie, fille de nos cousins Arlette et René. Elle gardait les vaches au-dessus de la ferme de Saigne Bœuf. Henri et Marie durent être surpris de me voir m’engager sur un si long parcours avec mes 40 kgs poids plume ! Jentou, fils aîné de Paul, plus jeune que nous, était présent ce jour-là. C’était un an avant la disparition, le 8 mai 1966, du grand-oncle Henri. Jour de terreur où je n’avais encore jamais vu ma grand-mère Clotilde, sa sœur, aussi sombre et bouleversée. Avec le recul j’ai pensé qu’ayant neuf ans de plus que lui, elle avait contribué à lui servir de seconde mère, ainsi qu’à André, plus jeune encore, lorsque sa mère et son père étaient occupés aux travaux des champs, à la métairie ‟Les Volves” du Château de la Côte, sur la commune de Biras.

 

Jackie nous rejoint depuis ‟Puy Henri”, commune de Brantôme.

Nous évoquons une cabane à outils du grand-oncle André dont je n’avais pas souvenir, nous recherchons l’emplacement, au-dessus du pré où paissaient les vaches et où aujourd’hui il ne serait pas difficile de rouler jusqu’en bas tant la déclivité est conséquente ! Quelques photos avec mes deux cousines, puis nous nous dirigeons vers le village.

 

     
     
 
 Pierrette et Jackie à Saigne Boeuf, Agonac     Alain et Jackie à Saigne Boeuf, Agonac 
     

 

Église et cimetière d’Agonac. Arrivé tout en haut à droite de ce cimetière, je suis instruit que la tombe de notre grand-oncle Henri, homme estimé et respecté de tous, abritait, avant qu’elle y vint reposer en décembre 2007, deux des compagnons ultérieurs de son épouse Marie. Je demeure pantois devant ce tohu-bohu mortuaire, ce night-club sépulcral. Certes, je me suis édifié hors des idées reçues et des conventions, mais là tout de même, sauf à être simplette, ce qui n’a rien d’improbable, Marie assumait le rôle de grande émancipatrice, surtout dans un village traditionnel comme Agonac.

J’en vins à envisager le jour de la Résurrection des morts où tout ce petit monde charmant se lèvera comme un seul homme pour entonner un Alléluia d’action de grâces, exempt de jambes de bois et de cols du fémur en vrille, et que malgré la jeunesse et la vigueur retrouvées de tous les hommes qu’elle connut, elle aura à demeurer chaste et pure le temps du Jugement Dernier. Je crains que contrairement à sa naissance un 15 août 1909, nous assistions non pas à une assomption mais à une descente dans le 5ème sous-sol des états infernaux ! Une punition ? Pas vraiment si on imagine le nombre de damnés masculins, sans oublier le plus légendaire de tous, l’illustre performeur, DSK ! Enfin, l’Eden dont elle n’osait même pas rêver ! La joie d’entrer pour toute éternité dans le feu de l’action…

 

Place de la Mairie en travaux, la maison des parents Duverneuil qui était devenue celle de leur fille Yvette et de son époux Georget. Une maison où un drame mettait fin, le même jour, à leurs vies. Suicides concertés où décision unilatérale, désespérée ou dégénérative ?

Pierrette disparaît un moment puis réapparaît !

 

En route pour Eyvirat par la route intérieure au village d’Agonac direction ‟Le Prat”.

 

Il y a là, juste avant ‟Le Prat”, au lieu dit ‟Le Clou”, une maison, des dépendances, un passif agricole, des chiens aboyeurs et le personnage central de cette expédition Jean-Claude Aunet que les chasseurs surnomment affectueusement ‟Loulou” ! Ce fut sans doute un peu comme la rencontre entre l’écrivain Hermann Hesse et son voisin du Tessin, Mario : « En apparence il (Mario et ici Jean-Claude) est le paysan un peu rustre qui doit forcément considérer l’étranger oisif (Alain Joubert) qui se promène comme un inoffensif parasite[1]. » Parasite, je ne l’étais pas vraiment, mais sans doute inattendu, étranger, en ces lieux encore inconnus de moi. Lui, rustre peut-être car authentique, sans sur ajout ou effet de représentation, simplement lui-même et c’est tout. Les hommes de la campagne étaient comme cela du temps de mes jeunes années et j’en ai connus un grand nombre puisque mes origines plongent toutes dans le milieu paysan ; des paysans pauvres, certains n’eurent jamais de biens propres. Si j’évoque les parents de Jean-Claude, c’est parce qu’ils étaient de ces braves gens, des voisins attentifs. Louis le père qui se faisait appeler Camille et Andrea la mère que chacun, dont la famille Rivière, avait toujours connue sous le prénom de Suzanne.

 

Suzanne donc, qui le jour du départ de la famille Rivière du ‟Prat”, en septembre 1966, pleurait à chaudes larmes. Paul et Christiane son épouse étaient métayers de leurs oncle et tante. Le décès d’Henri frère du père de Paul, Marcel Rivière, mort assassiné en 1937, annonçait le chemin de croix de celui qui avait toute légitimité pour hériter de ce lieu. Arrivé là en 1956, Paul avait accompli un travail considérable sur cette propriété à l’abandon. C’était on l’imagine sans peine l’héritage de l’arrière-grand-père Jean Rivière et celui d’Henri, son oncle, qui ne pouvant avoir de descendance assumait celle de son frère Marcel, deux de ses enfants sur trois. L’aînée des trois enfants, Andrée, fut prise en charge et éduquée jusqu’à devenir institutrice, par Louis, frère de notre arrière-grand-mère Françoise Parcellier, épouse de Jean Rivière.

 

 

     
     
 
  La faucheuse de Paul       Le « Prat » aujourd’hui  
     
 
  Le paysage du « Prat‘       La charrette de Paul et sa fille  
     
 
  Ma cousine Pierrette, fille de Paul Rivière       Ma cousine Jackie, fille d’Arlette Rivière  
     
 

  De Gauche à droite Jackie, Jean-Claude, Pierrette  

 

 

 

Nous fîmes tous les quatre le pèlerinage du ‟Prat”, moi par un chemin détourné pour photographier une vieille faucheuse rouillée qui fut celle qu’utilisait Paul. Le secteur est doucement vallonné et d’une rare poésie, sorte de Toscane ondulante et verdoyante. Le chemin blanc est bordé de chênes, en contrebas une noyeraie plantée il y a soixante ans par Paul. Tout en discourant nous arrivons à la maison qui aujourd’hui appartient à des anglais qui y viennent à la belle saison. C’est une demeure de charme, aux volets bleu charrette. Une ancienne vigne court sur toute la longueur de sa façade. Sur l’esplanade, un énorme tilleul domine ces vallons enchantés qui déjà embaumait lors des mois de juin dans les années 50 et 60. Le vieux four dans une pièce contiguë à la maison servait à cuire la nourriture des cochons, et comme la table n’était pas toujours aussi abondante que cette jeunesse travailleuse avait d’appétit, raves, topinambours, choux-raves, pommes de terre et betteraves servaient d’appoint à cette fratrie ! C’était la vie dure de la campagne. Un poêle avec un immense tuyau chauffait tant bien que mal la chambre des enfants, un lit pour les deux garçons un autre pour les filles. Les toilettes, été comme hiver, de jour comme de nuit, étaient situées dehors ! Une vieille charrette, demeure comme vestige de ces années neuves, jeunes, dures et cependant heureuses. Je fixais avec quelques clichés le souvenir de ce temps béni.

 

Au retour nous évoquions l’homme si peu providentiel qui avait acquis en viager cette propriété de 52 hectares, par l’entremise semble-t-il de mon propre père. Petit fonctionnaire qui ‒ comme quelques uns de mes charmants collègues roués et profiteurs, usant de leur maigre influence ‒ eut l’outrecuidance d’ajouter à sa confortable rémunération les services gracieux de Jean-Claude, labourant, semant et récoltant pour les beaux yeux d’un marquis quelque peu sadique. En contrepartie libérale du maître de céans, étaient autorisées la cueillette des champignons et la chasse ! En évoquant cette succession imprévue et malvenue, je provoquais l’ire de Jean-Claude qui brusquement, post mortem, chercha querelle au prédateur, défrisant d’un coup, d’un seul, sa sainte mémoire !

 

Nous ne repartîmes pas sans partager un verre du pineau maison de Jean-Claude, l’élixir fameux de Loulou, célébré par ses amis chasseurs.

 

 
 
  Jean Claude dit « Loulou » et sa bouteille de pineau maison  
 

 

Cimetière d’Eyvirat. Derrière nous la maison dans laquelle, me disait ma mère, fut élevé par la famille Nouillane, notre arrière-grand-père, Jean Rivière. Le caveau Rivière où reposent nos arrière-grands-parents, leur fille Mathilde décédée à l’âge de 15 ans pour laquelle il fut érigé, leur fils Gaston (1903-1987) et leur petite-fille Arlette (1928-2004).

 

Une autre tombe dépouillée dans la même allée, à l’autre extrémité, serait celle des mes arrière-grands-parents Lamaud : Jean-Léo et Catherine, née Roussarie.

 

La tombe de l’ex propriétaire du ‟Prat” arbore cette devise : ‟Vaincre ou mourir” ! Devant l’option qui fut la sienne, allongé sous ce gravier défraîchi nous ne pûmes que vaincre notre dégoût. Deux chrysanthèmes autrefois opulents, aujourd’hui parfaitement desséchés, vinrent orner ce lieu étroit où repose un héros vaincu !

 

Un déjeuner frugal et délicieux nous attendait chez la charmante Jackie, sur la route d’Angoulême, au lieu dit ‟Puy Henri”. C’est encore Brantôme faisant face à Saint-Crépin-de-Richemont. Jean-Pierre Clément, son époux possédant des notions avancées dans la construction, le couple édifia cette maison imposante, spacieuse et agréable. Chapeau ma cousine et mon très regretté cousin !

 

L’heure était venue de se rendre à Saint-Crépin-de-Richemont, commune où vécurent jeunes Paul et Christiane, mais surtout où Arlette contracta mariage et vécut donnant naissance à cinq enfants dont je n’ai connu que les deux aînées, Janine et Jacqueline, que nous avons toujours appelée Jackie.

 

 
 

     Village de Saint-Crépin-de-Richemont    

 

 

Le village est d’un grand charme depuis le cimetière accroché à la colline. Dès l’entrée on découvre une tombe Château où repose la belle Élina que l’on voit, en photo, au bras d’André Rivière, lors du baptême de Jeantou, en 1951, devant une maison dont il sera question plus loin. Cette très belle Dame aura eu, après avoir mis ses biens en viager, la plus triste fin de vie que l’on puisse imaginer, enfermée dans sa maison et sans doute maltraitée. Dieu, si Paul et Christiane avaient pu rester là pour s’occuper d’elle ! Ce qui frappe dans ce petit cimetière en pente c’est le nombre incroyable de petites chapelles servant de caveaux, chose usuelle chez les riches, fait plus que surprenant pour un si modeste village. Après avoir vu la tombe Lavit où repose René, le père de Jackie, il suffit de traverser les rangées de tombes assez mal ordonnées pour se trouver devant un caveau royal appartenant aux Prevost de Sensac de Traversay de Laguarigue de Survilliers, vide, mais où s’inscrivent par avance tous les futurs résidents. Un caveau d’une aussi grande classe donne presque envie d’y venir se reposer ! Pour le moment ils investissent châteaux et manoir de la commune, la Barde, Richemont, Saint-Crépin et Plessac.

Nous nous déplaçons jusqu’au caveau où repose mon cousin Jean-Pierre depuis décembre 2013. En voici un que j’aurais vraiment aimé connaître, il avait une tête bien faite et des mains en or. Voici pour moi l’élite française, celle qui tout au long d’une vie, transforme, édifie et embellit. Ce caveau est d’une rare élégance, j’ai rarement vu un sépulcre qui manifeste autant d’amour, d’attention et de fidélité. Il est couvert de fleurs signifiant que l’amour perdure au-delà de la mort. Et j’acquiesce, car en ce lieu repose un homme de grande valeur. À l’arrière de la tombe, la grille en ferronnerie réalisé par le fils, Amédée, est d’une grâce absolue.

 

Jackie a souhaité nous conduire chez son aînée, la belle Laetitia, dans un hameau à flanc de colline, lieu-dit ‟Chanceland”. Nous y rencontrons Éric, le gendre de notre cousine. J’ai fréquenté quelques fortunés et vu des demeures splendides, mais ici ce fut l’éblouissement devant une restauration somptueuse réalisée par Éric et son beau-père, Jean-Pierre. Un lieu où rivalise à la perfection savoir-faire et bon goût. Résidence de rêve avec vue sur la campagne depuis le jardin et la piscine, surplombant bocages riants et arbres centenaires.

 

Nous arrivons au hameau où Jackie vécut ses jeunes années. C’est la maison de ses parents, vétuste, aux normes sobres de la campagne du temps jadis ; la façade, dans sa simplicité est de toute beauté. Ici on vivait à la dure avec une seule chambre pour les cinq enfants. Jean-Pierre avait refait la toiture ; sa disparition, en 2013, a interrompu les travaux de rénovation qui auraient fait de cette vielle demeure un bijou. L’œil d’un artiste doublé du savoir faire d’un artisan chevronné génère de la magie là où tout semble morne.

 

     
     
 

  Maison de naissance de Jackie  

Saint-Crépin-de-Richemont

 

  Aujourd’hui rénovée la métairie de Paul et Christiane  

à Saint-Crépin-de-Richemont

lieu du baptême de Jeantou Rivière

     
 
  Baptême de Jeantou, Christiane sa mère (1951)       Élina Château, André Rivière, Christine  

 

 
  Le baptême de Jeantou aux Brageots à Saint-Crépin-de-Richemont, 1951  

De gauche à droite, Gilberte, sœur de Christiane Rivière, Yvonne ma mère, Pierrot frère de Christiane, Élina, X, Arlette Lavit

premier rang mon père André Joubert, Henri Rivière, Jean-Léopold Lamaud, Christine, Christiane, Paul, Jackie et Jeannine

Les superbes photos de 1951, en noir et blanc, sont du reporteur familial notre grand-oncle, André Rivière

 

 

‟Les Brageots” sont souvent orthographiés ‟Les Brajeaux” et même en mixant les deux premiers, ‟Les Brageaux”. Nous voici dans cet autre important hameau de Saint-Crépin-de-Richemont. Ce lieu où la famille Château vivait avec leurs métayers d’une manière qui leur faisait honneur. La maison de la belle Élina a été semble-t-il rasée. Il n’en reste rien. En face celle qu’occupait son frère a été restaurée, sans doute par des anglais. D’autres anglais vivent au cœur du hameau qui manifeste une certaine opulence, disons même une véritable renaissance. La demeure superbe, aujourd’hui restaurée, qu’occupait Paul, Christiane et leur fils Jentou, lieu du fameux jour de baptême, en 1951, où l’on voit en outre mon grand-père Jean-Léopold Lamaud, mon père, ma mère et ma sœur Christine, Arlette Jeannine et Jackie, la sœur et le frère de Christiane, notre grand-oncle André. Dans les années cinquante, la famille avait des liens plus étroits, qui tardivement, sont en train de se retisser.

 

Au retour, nous apercevons ‟Le Boulou ”, ruisseau affluent de la Dronne et le sentier de découverte des carrières de meules avec les vestiges monumentaux que sont ces ‟meulières”.

 

Retour par le village où je reconnais à sa sortie une usine que j’avais visitée du temps du père Léglise et de son associé ; dernières velléités de la confection et de la chaussure en Périgord, et de ces ateliers quelque peu misérables. Nous venions d’achever notre expédition sur les terres de la belle Jackie.

 

Après un rafraîchissement pris chez Jackie, nous rejoignons tous les trois le bourg d’Agonac. Nous ne vîmes pas le frère, âgé de plus de 90 ans, qui avait bien connu Paul Rivière lorsqu’il vivait au ‟Prat”, mais sa sœur beaucoup plus jeune qui connaissait bien ma cousine Yvette, Georget, et les vieux Rivière de Saigne Bœuf. Elle nous dressa un tableau de Marie évocateur, me rappelant de vieux souvenirs enfouis et quelques phrases empreintes de peu de sympathie de ma grand-mère Clotilde née Rivière et de ma mère. Marie, petite femme plutôt laide, aux cheveux noirs de jais et poisseux, sorte de fontaine de brillantine Roja de droguerie villageoise, utile comme lubrifiant lors de rencontres fortuites ou en cas de disette, apportant son lait 110% de matières grasses, dans le village, propulsée par un permanent feu au cul. Le nom de sorcière fut prononcé et fusa comme une révélation ! Je la revis, en ces jours de vendanges, dans le cantou, devant une énorme marmite où cuisaient toutes sortes de champignons, rouges, blancs, violets, bleus et verts, comme nous n’en mangions jamais ailleurs. Il n’y eut jamais aucun mort à la fin de ces journées festives arrosées copieusement d’une piquette qui permettait de digérer des pierres !

 

Ses frasques ou dérèglements hormonaux nous intéressent en réalité fort peu. Après ces extorsions indignes, aux conséquences lourdes et cruelles, nous nous octroyons le plaisir de nous foutre un peu d’elle ! Pour autant que nous importent ses convulsions de ouistiti ? Rien de plus que les impudences ‟bénalliste” de notre président astiqué et poudré. Ce qui m’apparaît inqualifiable et impardonnable vient de l’usage qu’elle fit des volontés d’Henri, disparu à 60 ans, et des biens résultant du travail de deux générations de Rivière, Henri et de son père Jean. Paul s’était installé au ‟Prat” comme métayer, avec la promesse d’Henri, son oncle qui l’avait élevé avec Arlette sa sœur, d’être l’héritier de cette propriété qui lui aurait, non pas assuré l’opulence, mais l’autonomie, l’indépendance et des années de vie supplémentaires, écarté qu’il aurait été des traitements mortifères des vignobles du Bergeracois. Ainsi, les deux enfants de son frère Marcel, disparu en 1937 dans des conditions tragiques, furent spoliés de ce qui aurait dû leur revenir, en les soustrayant à l’extrême pauvreté qu’ils eurent à subir après que deux générations de Rivière se soient tant donné de mal pour assurer une vie moins précaire aux générations suivantes. J’entends moi aussi, la terrible phrase qui me glace le sang prononcée par Paul lorsque Pierrette, sa fille, le conduisait à l’Institut Bergonié, les derniers mois de son existence : « ‟Le Prat” c’est à moi, ce sera toujours à moi ! ». J’ai tellement envie de dire, voire de crier : « Oui, Paul, ‟Le Prat”, c’est chez toi ! »

 

Pour autant, Jackie ‒ malgré l’extorsion d’héritage que fit subir Marie à sa mère et à son oncle, manipulée probablement par des personnes peu délicates ‒, éprouvait de l’attachement pour elle, lui rendant souvent visite. L’affection ne se commande pas. Elle est toujours bonne à prendre. Pour Pierrette, le refus de faire une attestation de métayage à Paul dont la retraite qu’il ne prit pas, approchait, était trop indigeste. Elle lui en garde rancune. Mais Marie était-elle bien en possession de toutes ses facultés, le fut-elle jamais ? Pour moi, comme pour ma mère, nous éprouvons un certain mépris pour elle d’avoir été aussi manipulable par quelques profiteurs et par ses compagnons d’infortune, car cette maison était presque un taudis. Je ne lui pardonne pas d’avoir dépouillé ses neveux, de les avoir dépossédés du fruit de leurs droits et de leur travail. Cette extorsion n’est pas digne de l’engagement qu’elle avait pris avec Henri Rivière de les protéger et de leur offrir la compensation dont les avait privés l’abandon de leur mère suivie de la mort violente de leur père.

 

Issues de la quatrième génération, tout comme moi, Pierrette et Jackie portent très haut le drapeau familial ; il est le fruit d’un courage invincible qui caractérise cette famille, l’une et l’autre ont réalisé avec leurs conjoints, ouvriers d’une exceptionnelle vaillance, habileté, une magnifique capacité à dépasser les contingences accablantes subies par leurs parents, grands-parents et arrière-grands-parents. Un sentiment de grande fierté m’est advenu en pensant à ce qui caractérise l’excellence chez les modestes dont nous sommes issus s’ingéniant par un travail constant à dépasser ce qui pourrait être rédhibitoire. D’autres descendants de notre génération n’y sont peut-être pas aussi bien parvenus. Je ne pensais pas en retrouvant ces deux cousines, dont je ne fus jamais proche dans les années passées, que tant d’affinités, de contentement et d’affection nous seraient accordés. Voici ce qui qualifie le plus certainement ces retrouvailles. Notre escapade aura retissé le lien familial ; unissant nos souvenirs autour d’une famille particulièrement éprouvée, d’une grande pauvreté, mais d’une détermination à toutes épreuves. On serait fier à moins !

 

« Je conserve ma foi en la noblesse et l’excellence de l’être humain. Je crois que la douceur et la générosité finiront par avoir raison de la grossière gloutonnerie actuelle. Et pour conclure, ma foi va à la classe ouvrière. Comme le disait un français : ‟L’escalier du temps résonne à jamais du bruit des sabots qui montent et de celui des souliers cirés qui descendent[2].” » ♦

 

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[1] Hermann HESSE, Tessin, « Mon voisin Mario », Genève, Éditions Metropolis, 2000, p. 180.

[2] Jack LONDON, Ce que la vie signifie pour moi, 1905, Paris, Les Éditions du Sonneur, 2006, p. 38.

 
 
 

 
 

Lundi 22 avril 2019

 
 

Le chemin de croix de mon cousin, Paul Rivière

 
 

À ma cousine Pierrette Martinet, fille de Paul et Christiane Rivière, elle qui porte ses parents en son cœur.


Si la richesse appartenait véritablement à ceux qui la produisent, mon cousin Paul Rivière et sa famille seraient de vrais riches. Une vie entière de labeur couronnée par les épines d’une mort anticipée liée à trop de travail et aux aspersions de toute la horde de produits toxiques sur les vignobles dont il s’occupait au nord de Bergerac, comme ouvrier agricole, avec la participation de son épouse et de ses sept enfants.

 

Samedi, le pèlerinage au long des propriétés dans lesquelles il fut employé, logé sur place avec sa famille se terminait au petit cimetière de Colombier. Paul y occupe un des plus beaux caveaux de ce cimetière champêtre, hommage de ses enfants à tant de sacrifices cruellement peu reconnus par le reste de la famille et la société totalement indifférente.

 

Chassés d’une propriété à l’autre par la vente, le changement de propriétaire… Plus tard, les habitations ont été détruites sans doute en raison de leur vétusté ‒ aucune d’entre-elles n’était équipée d’une salle d’eau ; parfois sur leurs emplacements s’élève aujourd’hui un hangar. Les granges et étables furent transformées en demeures luxueuses sur ces coteaux ensoleillés. Le travail de cet homme aura servi à enrichir des propriétaires et leurs descendances. Les métayers agricoles étant remplacés par des ouvriers saisonniers, souvent étrangers, fort mal traités, ainsi ces habitations vétustes devinrent elles aussi une source importante de revenus, sans doute en raison du prix des terrains et de leurs emplacements.

 

 
 
Paul Rivière, militaire
 
 

 

Personne ne dira que Paul n’était pas un Rivière, trempé dans l’acier de ceux nés pour lutter, condition pour survivre, mais pas forcément pour gagner. Leur départ du ‟Prat” à Eyvirat où ils restèrent de longues années sous la protection de l’oncle Henri Rivière, aura été, il se peut, le résultat de conflits entre Marie Rivière (après le décès d’Henri) et Paul. Ainsi ce lieu s’étendant sur 52 hectares, qui aurait pu être un lieu de vie modeste, mais indépendante, lui a échappé. Il fut condamné à louer ses services à des viticulteurs plus ou moins humains.

 

 
 

Paul Rivière et sa sœur Andrée Girardeau

Baptême du petit-fils de Paul : Patrick Martinet, 1977

 
 

 

Sa fin d’existence, à 58 ans, d’un cancer des os, fut particulièrement âpre et cruelle, faite d’allers-retours entre Bergonié et Bergerac. On n’atténuait pas les souffrances comme aujourd’hui, en 1985. Pierrette en conserve un souvenir blessé qu’elle n’évoque que difficilement. Son amour des autres, lui aura, malgré la douceur du foyer qu’elle a construit avec Jean-Pierre, permis de vivre pleinement son destin de femme dans la solidarité et le partage, ce qui n’est pas rien en ces temps d’égoïsme forcené. C’est, en si peu de semaines, pour moi, une joie, de découvrir qu’au cœur de cette famille en permanence éprouvée, il existe une belle âme s’efforçant d’atténuer les blessures des uns et relever les bras des autres. Elle incarne un authentique sens familial et, en quelque sorte, remplace une douce maman, Christiane, partie, en 2015, rejoindre Paul au petit cimetière de Colombier.

 

Cette réunion de famille n’était pas uniquement sombre et triste. Il y eut de la bonne humeur autour d’une table abondante et généreuse et des retrouvailles de cousins qui sans doute possèdent la même conviction humaniste. Merci Pierrette d’être le lien des bouquets épars de la vie. ♦

 
 
 

 


 
 

Samedi 2 mars 2019

 
 

Soudain, dans ma vie, Pierrette Martinet

 
 

« Renard[1] fréquentait ses contemporains dont il dénonçait les travers avec exaspération et jubilation à la fois. Thoreau[2] n’aime que la compagnie des arbres et des animaux. Il passe deux ans dans une cabane, au bord de l’étang de Walden[3]. »

 

Alternatives considérables devant l’absurdité des sociétés, des comportements humains.

 

Ainsi Jules Renard confie à son Journal : « Mais pourquoi Claudel écrit-il d’une façon Tête d’Or, La Ville, et d’une autre ses compositions pour obtenir le poste de vice-consul à New York ? L’artiste doit être le même quand il prie et quand il mange[4]. »

 

Tandis que Henry David Thoreau fusionne, en heureux misanthrope, avec la nature : « Soir délicieux, où le corps entier n’est plus qu’un sens, et par tous les pores absorbe le délice. Je vais et viens avec une étrange liberté dans la Nature, devenu partie d’elle-même[5]. » Cette fusion historique avec la nature se retrouve dans d’autres textes comme dans Balade d’hiver, couleurs d’automne (Mille et Une Nuits n°529).

 

La synthèse nous est offerte par Jules Renard : « Il faut aimer la nature et les hommes malgré la boue[6]. »

 
 

   

Baptême de Patrick Martinet, août 1977, de gauche à droite, Christiane Rivière, Andrée Girardeau, Paul Rivière

 
 

Visite hier matin de ma cousine Pierrette Martinet et de son époux Jean-Pierre. Pierrette m’apporte des documents et des photos dont celles du baptême de son fils Patrick, en août 1977, avec Andrée et son frère Paul, père de Pierrette. Scan et travail sur le brunissement de ces photos précieuses où je retrouve ceux que j’aimais (excellents cousins). Paul, beau gars comme le montre la photo, père de sept enfants, y figure aussi sa jolie épouse Christiane. En 1985, moins de dix ans plus tard, Paul est parti, épuisé par la maladie avant même sa retraite ; Christiane l’a rejoint en 2015 après avoir vu grandir ses petits enfants et ses arrières petites-filles.

 

« Et les heures où, se sentant un peu serin, on aime les oiseaux[7]. » Pour taquiner Jules Renard, j’ose croire que nous le pouvons mieux encore en étant serein et en paix. ♦

 

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[1] Jules Renard (1864-1910), écrivain et auteur dramatique, L’Écornifleur (1892), Poil de Carotte (1894), Histoires naturelles (1894), Journal 1887-1910.

[2] Henry David Thoreau (1817-1862), philosophe, naturaliste et poète américain, Walden ou la vie des bois, Journal, Ballades, La Désobéissance civile, De la marche, La Vie sans principe, Le Paradis à reconquérir, Résister, de L’Esclavage (La plupart de ces titres sont disponibles dans la collection Mille et Une Nuits).

[3] Jean Chalon, Journal d’un arbre (1998-2001), Paris, Librairie Arthème Fayard, 2003, p. 12.

[4] Jules Renard, Ses Oeuvres, Journal 1893-1898, 16 mars 1893, Bellanger. Édition du Kindle.

[5] Thoreau, Henry David. Walden ou la vie dans les bois, L’Imaginaire, chapitre « Solitude » (p. 110). République des Lettres. Édition du Kindle.

[6] Jules Renard, Ses Œuvres, Journal 1893-1898, 27 mars 1893. Bellanger. Édition du Kindle.

[7] Jules Renard, Ses Œuvres, Journal 1893-1898, 4 mai 1893. Bellanger, Édition du Kindle.

 
 
 

 
 
 
 
 

Hommage à ma chère cousine Andrée Girardeau

 

 

Janvier 2001

 
 
 

 

Ce mardi 24 octobre 2000, maman, Christine et moi-même accompagnions une vraie grande dame, notre cousine Andrée, au cimetière de Saint-Jory-de-Chalais où elle repose dans une tombe que jouxte, à l’arrière, une sépulture Joubert. Le curé de Corgnac dans une église comble ne fut pas à la hauteur de cette « personnalité » qui jouissait de l’estime générale. Institutrice puis directrice, elle avait de la poigne, du caractère, une grande probité et l’intégrité qui fait tellement défaut aux responsables d’aujourd’hui, aux ambitieux et aux incapables qui ne manquent cependant pas de critiquer pareille authenticité. Je n’ai pas eu ses cours, sinon j’aurais très certainement mieux fait, elle m’aurait poussé dans mes retranchements et mes craintes pour m’obliger à sortir le meilleur de moi, comme le font les trop rares vrais enseignants.

 

 

Dans la famille, elle faisait partie de ceux que j’estimais beaucoup, sans doute pour sa culture très large alors qu’elle était issue d’un milieu modeste, pour son engagement professionnel et humain, pour son courage et sa dignité.

 

 

Maman et elle étaient très liées dans leur jeunesse, et elle fut une des bonnes fées qui se sont penchées sur mon berceau, celle sans doute des arts !

 

     
   

                  Notre cousine Andrée et ma mère jeunes-filles  

     
   
 

Fête d’Agonac, 1948 : de gauche à droite, Andrée, Yvette Duverneuil, le grand-oncle Henri de Saigne-Boeuf, moi et ma mère

 
     

 

 

Je la revoyais chaque année avec le plus grand plaisir. Elle ne parlait jamais de sa santé. Sa dignité dans une maladie si longue et cruelle et dans une mort courageuse est à méditer, tout autant que sa manière de vivre nous aura et continuera à nous inspirer.

 

  Corgnac, sur les bords de l’Isle, Andrée et son fils Hubert et leur chien      

 
 
 
   

         Mariage de ma sœur Christine, mes grands-parents maternels, Andrée et Henri

 
 

 

 

J’espère que notre cousin Henri trouvera courage sans elle à ses côtés. Nous avons retrouvé, pour dire adieu à cette chère cousine, tant de cousins et cousines que nous ne voyons jamais ou guère comme la belle Jacky et son mari Jean-Pierre, un couple fort sympathique ; Hubert, sa charmante épouse Lucette, leur fille Nathalie et son frère, le petit-fils d’Andrée, un très grand jeune homme qui était venu aux Rolphies se présenter et à qui je refusais la parenté pour ne l’avoir jamais vu que bébé, mais dont mon cher père était pourtant le parrain.

 

 

Chère Andrée, j’espère que Patrick et sa sœur Nathalie porteront haut et fort le flambeau que tu viens de leur remettre. Personne ne saurait t’oublier.