Journal 2019 : Chant des jours [juillet 2019]

 
 
 

« L’écriture n’est pas un but en soi, mais une façon de chercher et de dire le sens même de la vie individuelle ou collective. »

 

Francis COMBES, Préface de Ce que signifie la vie pour moi de Jack LONDON.


 
 

Journal 2019 : Chant des jours [Juillet 2019]

 

 
 

« Je veux vivre dans un  monde où les êtres seront seulement humains, sans autre titre que celui là. »

 

Pablo NERUDA

 

 

« L’esprit que ne mutile pas la mémoire est véritablement libre. »

 

KRISHNAMURTI, Le Chant de la vie, p. 30-31.

 

 


« Singulier gourou qui ne dicte rien, n’apporte ni réconfort ni délectation. À l’emprise de la croyance, réalité de seconde main promise par autrui, il oppose le travail de la vigilance, découverte et mise en question permanentes. Il n’offre ni église ni liturgie, rejette toute forme d’ascèse ou de prière. »

 

Zéno BIANU, Krishnamurti ou l’insoumission de l’esprit, p. 15.

 
 

 
 

Dimanche 14 & 17, 19, 20, 31 juillet 2019

 
 
 

 

Krishnamurti, l’insoumis

 
 
 

 

 

Il plie malaisément les genoux, ses pas ne sont pas bien grands,

mais il reçoit mieux n’importe quel rayon celui

qui n’a jamais été disciple.

 

Henri Michaux, Poteaux d’angle,

Paris, l’Herne, 1971, p. 23-24.

 

 
 

Dans le numéro 39 de Kaizen, de juillet 2018 – Dossier : La Nature source de spiritualité ? –  Frédéric Basset nous rappelle qu’Auroville fête ses cinquante ans d’utopie en ces termes : « Alors qu’en Europe, certains faisaient la ‟révolution”, d’autres rejoignaient ce désert pour y bâtir un monde nouveau, affranchi de la religion, de la politique et autant que possible de l’argent.[1] »

 

La France d’aujourd’hui mériterait une nouvelle révolution. Pour autant tous les abus de pouvoir et l’ignominie des classes dirigeantes disparaîtraient-ils ? Après combien de révolutions pourrions-nous espérer voir régner plus d’équité ?

 

Certains ont choisi de vivre une sorte d’autonomie, à l’écart des systèmes viciés et souvent criminels. Auroville en est un exemple qui perdure. Il est vrai que les personnalités de Sri Aurobindo, de Mère et de Satprem retiennent l’attention lorsqu’on observe la planète courir à sa perte pour des intérêts financiers disproportionnés et ignobles. Notre système économique n’a plus de signification ni de bride ; il retire aux vies humaines tout sens spirituel, toute espérance de simple bonheur.

 

Comment ne pas penser à Walden ou la Vie dans les bois d’Henry David Thoreau.

 

Nous avons à nous affranchir de la religion, de la politique et de l’argent roi. Krishnamurti nous invite sans trêve à renoncer à ces fausses valeurs. « Il nous faut découvrir ce que veut dire ne jamais se conformer. Autrement dit, récuser le désir d’autorité ou, mieux, nous libérer des incrustations des siècles.[2] »

 
 
Jiddu KRISHNAMURTI
 
 

En 1986, malgré la disparition du personnage, très écouté un peu partout dans le monde, l’intérêt que suscite sa pensée libératrice fait son chemin et d’autres vont s’employer à la rendre accessible à tous. J’ai observé avec étonnement, il y a quelques années, la publication de plusieurs des titres de ses conférences ou dans une réorganisation par thème, en Livre de Poche. J’ai récemment trouvé chez Points Sagesses le petit ouvrage de Zéno Bianu, Krishnamurti ou l’insoumission de l’esprit (publié en 1996) dont l’écriture claire, percutante, permet d’aller au cœur de cette proposition de libération de l’homme.

 
 
 
 

Dans le préambule de ce petit ouvrage, on lit : « On ne trouvera ici nulle promesse d’extase, nul au-delà consolateur, nulle chimère pour tromper l’ennemi. Avec Krishnamurti, oserait-on dire, si l’on se réincarne, c’est de son vivant. Ni oracle de Delphes ni parole d’évangile. Pas le moindre dogme, pas le moindre ornement, pas le moindre exotisme… mais un enseignement direct, immédiat qui part du seul et unique substrat : notre réalité d’être humain. Non pas tels que nous devrions être, mais, une fois encore, tels que nous sommes. Le fait, pas la croyance. Le réel, pas l’idéal […] Au vrai, il ne s’agit pas tant de comprendre Krishnamurti que de se comprendre soi-même.[3] »

 

Au chapitre premier intitulé Désapprendre, dans « L’homme sans croyances » nous pouvons lire : « À considérer le parcours de Krishnamurti, le premier mot qui vient à l’esprit est en effet ‟affranchissement”. Affranchissement de tout ancrage, de toute béquille, de toute certitude. L’homme pourrait être défini comme un ‟débusqueur d’illusions”, celui qui lève tous les leurres – sans exception, et jusqu’à celui de sa propre autorité, de sa propre ‟maîtrise” […]

Singulier gourou qui ne dicte rien, n’apporte ni réconfort ni délectation. À l’emprise de la croyance, réalité de seconde main promise par autrui, il oppose le travail de la vigilance, découverte et mise en question permanentes…Maître inclassable, qui fut lui-même son propre champ d’expérience, n’invoquant aucun texte sacré, aucune autorité, opposant sans cesse la connaissance intime de soi aux croyances aveugles du moi […] Celui qui voit n’est pas celui qui croit, lequel n’explore que le territoire de sa servitude. Celui qui voit ne prend plus ses béquilles pour une planche de salut, ne comble plus les casiers de la machine à survivre, ne suit plus les croque-morts du paraître.[4] »

 

La sévérité des propos de Krishnamurti peut effectivement choquer ; en 1934, à Ojaï, par exemple, ces paroles sans concession pour les organisations et les dogmes religieux :

 

« De même que, dans un cirque, les animaux sont dressés à manoeuvrer pour l’amusement des spectateurs, ainsi l’individu est poussé par sa peur à rechercher ces entraîneurs spirituels qu’il appelle prêtres et swâmis, qui sont les défenseurs d’une spiritualité de contrebande et de toutes les inanités de la religion. Il est évident que la fonction de ces entraîneurs spirituels est de créer pour vous des amusements, donc ils inventent des cérémonies, des disciplines et des adorations ; toutes ces manifestations prétendent être belles dans leur expression, mais dégénèrent en superstitions. Tout cela n’est que de la friponnerie sous le manteau du service.[5] »

 

     
     
 
     
     

Au début des années 2000, toute une série d’ouvrages sont parus, sans que j’en ai eu connaissance, sous la plume de Dominique Schmidt. J’ai pu me procurer ce mois-ci deux de ces ouvrages : La révolution de la conscience, essai sur la pensée de Krishnamurti et Dialogue sur les écrits inédits de Krishnamurti. D’autres titres sont disponibles et ne manqueront pas de m’intéresser : Le mystère autour de Krishnamurti, Krishnamurti – sexe, Ombre et Vérité, et Le Nouvel Homme selon Sri Aurobindo et Krisnamurti.

Dans les toutes premières pages de l’essai La Révolution de la conscience, Dominique Schmidt rend cette pensée limpide :

 

« Le message de krishnamurti… est simple : l’homme doit être sa propre lumière et ne dépendre de personne pour son épanouissement. Toute dépendance à une autorité entretient un manque de confiance qui est fatal à l’harmonie de l’être.[6] » 

 

Un peu plus loin : « Krishnamurti n’ajoute pas une idéologie aux trop nombreuses déjà existantes, il tente plutôt d’enseigner l’art de voir, d’observer ‟ce qui est”, c’est-à-dire la conscience conditionnée par le processus du moi. Or cela n’est possible que lorsque la conscience comprend la futilité des idées qui la conditionnent. La connaissance de soi est le seul remède, car ce n’est pas une idée, mais un état d’attention sans choix, ‟choiceless awareness”, une qualité de conscience éveillée mais passive, c’est-à-dire sans projection d’elle-même, et qui permet de voir les réactions subtiles de notre inconscient aux circonstances de la vie telle qu’elle se déroule de moment en moment, sans y introduire le moi, sans aucun jugement, condamnation ou approbation. Ainsi cette nouvelle conscience permet de se libérer de l’ego.[7] »

 

Je n’ai pour l’instant que peu avancé dans la lecture de cet ouvrage comme du suivant. Ainsi suite à la progression de mes lectures, mes observations pourront-elles faire l’objet de textes ultérieurs.

 

Le second ouvrage, Dialogue sur les écrits inédits de Krishnamurti, a l’intérêt de faire surgir des textes de la jeunesse de Krishnamurti, dans le cadre de la Théosophie (1927-1933) qui restent, pour une majorité, inédits. Le délié des conférences qu’il a données tout au long de sa vie, sans plan organisé, ni esquisses, abordant une série de thèmes phares, relève d’une incroyable spontanéité, se renouvelant en permanence par le langage, par des exemples propres à accroître la compréhension du message. Toutes les idées qu’il développera sa vie durant, apparaissent déjà clairement dans ses écrits de jeunesse. « Le langage des premiers écrits est le miroir de la conscience même de Krishnamurti : rien n’est prémédité, tout ce qui est dit jaillit directement de la source de la Vie ; il est naturel, simple, limpide, fluide et garde la fraîcheur de la spontanéité, expression même de la vie. De plus, cette période de jeunesse nous montre un Krishnamurti intime et poète ; après cette époque, son langage deviendra progressivement plus dépouillé, plus technique et impersonnel et caractérisera la période de la maturité qui tend à faire face aux difficultés presque insurmontables de l’humanité.[8] »

 

Voici deux exemples du style du jeune Jiddu Krisnamurti :

 

« Car quand on voit la misère, par exemple, on désire agir, la soulager, on veut changer cette misère…

Il importe peu que vous soyez à Ojaï, en Angleterre, en Australie, ou dans toute autre partie du monde. Si vous êtes ouvert, si vous avez en vous cette vibrante émotion toujours prête à se répandre, dont vous pouvez disposer à tout moment du jour ou de la nuit, vous serez capable de suivre réellement l’Étoile. Alors aussi vous pourrez Le voir en tout, dans toutes les choses vivantes et mortes. Alors vous reconnaîtrez Sa face dans le tigre comme dans la biche, dans la petite graine comme dans l’arbre gigantesque de la forêt.

Voilà ce qui importe: sentir et donner intensément; sentir avec tous, avec les pécheurs, avec les grands, avec les parias, parce qu’alors vous désirerez qu’ils progressent et partagent le bonheur que vous avez contemplé. [9] »

 

« Comme un nuage poussé par les vents à travers la vallée, ainsi est l’homme où qu’il soit, poussé par la vie. L’homme n’a pas de but fixe, il n’a pas de compréhension du but de la vie, il est comme les nuages qui n’ont pas d’endroit pour se reposer, qui sont chassés de vallée en vallée, sans un moment de répit. L’homme n’a pas de but. Il est aveugle quant à la raison d’être de la vie et le chaos et la désintégration sont en lui ainsi que dans le monde[10]. »

 

L’ouvrage de Dominique Schmidt, aborde le problème de l’autorité, préoccupation de Krishnamurti depuis ses jeunes années :

 

« Au cours de l’histoire, l’individu a toujours été soumis à une autorité, religieuse, politique ou sociale. La conséquence inévitable de cet état de soumission est multiple, la plus importante c’est qu’il le rend infirme devant la vie, en fait toute autorité ne peut offrir que des béquilles. De nos jours, le prêtre, le pape, l’homme politique sont remplacés par le psychologue ou le gourou mais quelles que soient les spécificités que chacune de ces disciplines peut apporter, c’est l’état de dépendance dans lequel l’individu est maintenu qui retarde son épanouissement.[11] »

 

Ainsi, « Pendant plus de soixante années, avec patience, une persévérance et un amour infini, Krishnamurti a tenté de libérer l’homme des servitudes de l’ego. Il a dénoncé les dangers de l’autorité spirituelle et de l’imitation.[12] »

 

Après la disparition de Krishnamurti, le 17 février 1986 à Ojaï, Californie, Robert Linssen[13] conclut ainsi son hommage :

 

« Krishnamurti attribue la faillite complète de notre prétendue civilisation à plus de deux mille ans de philosophies et de cultures basées sur la réalité de l’ego, quoique la plupart s’en défendent.

Son enseignement est le seul qui respecte intégralement les exigences du «Grand Vivant» formant l’essence ultime de l’Univers et des êtres humains. Il dénonce avec véhémence le rôle corrupteur de la pensée, des mémoires et, en général, de tout le passé. Le passé est tout le résiduel et l’être humain, tant physiquement que psychologiquement, n’est que du passé. Il faut qu’il meure à ce qui est résiduel en lui pour que le «Grand Vivant» puisse opérer la mutation qui est sa suprême raison d’être.

Dans cette réalisation se révèle la plénitude toujours renouvelée de l’Intelligence supramentale et de l’Amour[14]. » ♦

 

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[1] KAISEN no 39, juillet 2018, Frédérique Basset, Auroville fête ses cinquante ans d’utopie, p. 50-52.

[2] Jiddu Krishnamurti & Zéno Bianu, in Krishnamurti ou l’insoumission de l’esprit, Zéno BIANU, Points Sagesses, Paris, 1996, p. 33.

[3] Zéno BIANU, Krishnamurti ou l’insoumission de l’esprit, Paris, Éditions du Seuil, Points Sagesses, 1996, p. 8.

[4] Zéno BIANU, Krishnamurti ou l’insoumission de l’esprit, « L’homme sans croyances », chapitre 1 Désapprendre, Paris, Éditions du Seuil, Points Sagesses, 1996, p. 14-16.

[5] René FOUÉRÉ, La pensée de Khrishnamurti (© Éditions « Être Libre »), 1951, lu le 17 juillet 2019 sur https://krishnamurti.fandom.com/fr/wiki/Ren%C3%A9_Fou%C3%A9r%C3%A9_-_La_Pens%C3%A9e_de_Krishnamurti

[6] Dominique SCHMIDT, La Révolution de la conscience, essai sur la pensée de Krishnamurti, Inde, 2003, p. 10.

[7] Ibid., p. 14-15.

[8] Dominique SCHMIDT, Dialogue sur les écrits inédits de Krishnamurti, ‟Introduction”, Inde, 2004, p. 14-15.

[9] KRISHNAMURTI, Bulletin de l’Ordre de l’Étoile d’Orient, no 1, janvier 1927.

[10] KRISHNAMURTI, Life the goal, p. 7, Ommen, 1928.

[11] Dominique SCHMIDT, ‟Le Problème du Groupe et du Gourou”, chapitre de l’ouvrage Dialogue sur les écrits inédits de Krishnamurti, p. 153-154.

[12] Robert LINSSEN, Hommage à Krishnamurti. Extrait du no 1 de la revue Itinérances © Édition Albin Michel (1986). Consulté sur la page : https://sages.fandom.com/fr/wiki/Robert_Linssen_-_Hommage_%C3%A0_Krishnamurti, le 14 juillet 2019.

[13] Robert LINSSEN (1911-2004) est un auteur bouddhiste zen belge. Son voyage en Inde dans sa jeunesse et sa rencontre avec des maîtres spirituels a été une révélation et a largement contribué à sa détermination à faire connaître le bouddhisme et le zen en particulier. Robert Linssen contribua à lancer et à faire connaître de nombreux chercheurs et maîtres spirituels et de nombreux courants d’idées.

[14] Robert LINSSEN, Hommage à Krishnamurti. Extrait du n° 1 de la revue Itinérances © Édition Albin Michel (1986).

 
 
 

 
 

27 & 28 juillet 2019

 
 

 

Older Elders

 
 
 

 

Guy Moran, de Bronxville – État de New York, USA –, revenait d’un séjour à Naples dans la famille de son épouse. Le mardi 23 juillet 2019, il m’attendait en gare de Saint-Astier depuis quelques minutes, sous une chaleur caniculaire, le train de Bordeaux, ce qui n’est pas habituel, était un peu en avance et moi en retard de 2 minutes !

 

Vendredi 26 juillet, le départ en gare de Saint-Astier était prévu pour 14h16. Nous ouvrons les parapluies ; il pleuvait à la descente de la voiture. Subjugué par une silhouette qui m’évoquait quelqu’un ou plutôt quelqu’une se dirigeant de la gare de Saint-Astier vers un véhicule, je m’immobilisais. Mais oui, c’était bien Gisèle, la superbe secrétaire générale de la FAPT CGT qui rejoignait le camarade Éric.

 

Cette fois la chanson fut un peu différente. À 14h16 rien à l’horizon. Nous avions traversé les voies par la passerelle dont seul l’ascenseur descendant fonctionnait. Tout en caquetant allègrement, les minutes s’écoulaient et vers 14h25 la guichetière vint nous annoncer un retard dû à un « défaut de signalisation », un terme générique qui couvre beaucoup d’impondérables. Mais le retard enfla jusqu’à une nouvelle annonce vers 14h55 donnant des consignes pour les correspondances décalées. Guy était certain de rater son LGV qui relie Bordeaux à Paris en deux heures, neuf minutes ! Le train tant attendu arriva vers 15h05 en gare de Saint-Astier, avec près d’une heure de retard ; à Bordeaux, le Oui-go suivant emportera Guy vers la capitale !

Les dégâts de la privatisation sont permanents et il n’est guère de voyage qui ne subisse une ou plusieurs avanies.

 

Pendant ce séjour, assez bref mais dense, les matinées furent consacrées à la marche (que je qualifie de marche de santé ou de vie saine) le long du canal de Saint-Astier, où nous rencontrâmes, mercredi, Sébastien avec David un de ses jumeaux de 2 ans, et jeudi, après le marché, Alonzo. Guy saluait tous les chiens qui savaient tous par prescience qu’ils allaient bénéficier d’une caresse. Les après-midi dans cet espace de canicule furent consacrés, en particulier, à la discussion sur nos temps missionnaires (environ deux années). Bien que Guy soit de quatre ans plus jeune que moi, son séjour en France se fit de décembre 1971 à fin septembre 1973. Pour moi ce fut de janvier 1974 à décembre 1975.

 

La première affectation de Guy fut Caen, en 1971 (où je vins moi-même en 1974), ensuite Reims, puis Courbevoie où il fut junior, senior, et enfin ‟Zone Leader”. Son affectation à Périgueux se fit suite à un entretien que Guy me conta, ce qui me permit d’imaginer la scène pour avoir assez bien connu le président de mission, Willis D. Waite. Périgueux avait une réputation sulfureuse depuis qu’une apostasie orchestrée par les missionnaires suivie de nombreuses excommunications se produisit au début des années 60, infestant une partie de la Mission française d’alors. En ces temps la communauté de Périgueux comptait plus de 50 membres. Président Waite présenta cela à Guy comme ‟Une grande mission”. Il s’agissait aussi de me préparer à ma propre mission, avec les inquiétudes et les doutes que ma santé médiocre faisait peser sur ce projet que m’avait pourtant annoncé le Patriarche lors d’un entretien à Berne. Redevenu senior, il fut appelé à être District Leader à Périgueux. Son amour pour les paysages périgourdins lui fit supporter ce qui pouvait se concevoir comme une punition ! Sa mission s’acheva au Bouscat comme ‟Zone Leader” de la région Bordelaise.

En 1972, à son arrivée à Périgueux, je n’accueillais pas Elder Moran favorablement, il succédait à deux missionnaires avec lesquels j’étais particulièrement lié, Elder Neil L. Andersen et son junior Elder Patrick Cairns. Ceci dit, et malgré mes réticences (je refusais catégoriquement son amitié, le trouvant trop original et même extravaguant), Guy s’employa à m’entraîner à marcher et à de petits footings pour tenter d’améliorer ma santé. Il s’était donné avec son compagnon Mark. C. Park, la mission de m’accompagner lors de ces exercices de bonne heure le matin, avant de partir pour le travail. Ce n’est qu’avec le recul que je note la générosité de ce très jeune homme mais aussi celle du président de mission qui souhaitait me préparer à la rigueur de deux années de travail missionnaire.

 
 

Elder Patrick Cairns, 1972

 
 

 

À Périgueux donc, Guy remplaçait Patrick Cairns qui était affecté à Angoulême. Nous avions surnommé ‘Minou’, son compagnon, Mark Card Park. Ce dernier est le cousin d’Orson Scott Card[1], descendant de Brigham Young, second président de l’Église, qui après sa mission, a développé une très brillante carrière d’écrivain de science-fiction.

 

Nous avons parlé bien entendu de la branche de Périgueux des années 70 avec nos hilarités incontrôlables du siècle passé, de certains comportements que je n’appréciais guère, de ‘sœur’ Boyer et d’André dont elle assumait la charge (il était mongolien, âgé d’environ 50 ans ce qui est relativement rare), de la famille Brieu, de sœur Subrenat, de Jean-Jacques Beyney, de Georges Talhouët, peu actif, de sœur Lefeuvre et de sa fille Jacqueline, de Frère Ferreira, des premiers missionnaires que j’ai rencontrés par l’entremise de Jean-Jacques qui est vite devenu un ami, Paul Clint et Paul Peterson, de Larry Jex (qui était en France il y a quelques années), de Neil L. Andersen, de Patrick Cairns ce si sympathique canadien originaire de Calgary (dont lors de la rédaction de ce texte, j’ai trouvé sa page Facebook bien peu active , qui recèle cependant l’original d’une superbe photo dont je possédais une copie médiocre), du très original Don Whitting Allan qui jouait à l’artiste, du très charmant et véritable artiste qu’était Tom Wood, de Jimmy Smith…

 

Nous avons évoqué Mitt Romney[2], qui bien que Républicain, trouve grâce aux yeux de Guy, en particulier pour son mandat de gouverneur du Massachusetts où il se montra efficace, social et innovant. Je l’avais rencontré à Périgueux, lors de mes premiers pas dans l’Église alors qu’il était ‟Zone Leader” à Talence. Fils du gouverneur de l’État du Michigan, j’avais l’impression qu’« il se la pétait un peu » comme on dit familièrement et il ne m’avait guère impressionné. En avril 2017, il accompagnait Neil Andersen à Paris, pour l’inauguration du Temple du Chesnay.

 

Je fis allusion à quelques membres de la branche de Limoges que j’aimais bien, Camille Bertrand, la famille Garant, mais ils n’étaient pas connus de Guy. Je lui expliquais que depuis j’avais fraternisé avec Gabriel Mourier, converti à Limoges et qui fit une mission lui aussi.

De nos missions respectives nous vîmes une photo de sœur Béguec à Colombes que nous apprécions l’un comme l’autre. Guy rendait visite lors de chacun de ses séjours en France à son fils Gérard Le Gaudu (disparu quelques temps après sa visite en 2010). Cette année comme d’habitude, Guy et Nicole ont passé une journée avec ses filles Michèle et Françoise. Toujours à Colombes, nous regardâmes des photos de Richard Ternieden, un autre canadien, qui était missionnaire en même temps que je m’y trouvais moi-même.

 

 
 
Sœur Béguec & mon compagnon missionnaire Hawaïen à Colombes
 
 

 

Je fis part à Guy de mon intention d’écrire deux textes sur les présidents Willis D. Waite (1925-2017), président de la Mission française de Paris de 1972 à 1975 et George W. (Walter) Broschinsky, président de la Mission française de Toulouse de 1975 à 1978. Ce dernier m’inspire le plus grand respect. Guy, garde contrairement à moi, un agréable souvenir du Président Smith B. (Benjamin) Griffin (1911-2004), président de la Mission française de Paris de 1969 à 1972, aussi n’en parlerais-je pas spécifiquement.

Enfin fut évoqué un missionnaire, John Larsen, que j’ai rencontré brièvement en 1976 et qui m’a probablement remplacé à Pau auprès de Randall K. Bennett. Randall à quatre enfants dont un fils Jase qui est ami avec Blaine Mero qui lui-même réside en Alaska. Depuis 2011, Randall est devenu une Autorité Générale de l’Église, il est membre du Conseil des Soixante-dix. Assez récemment, il s’est rendu à New York dans le cadre de ses responsabilités religieuses (il sert comme directeur exécutif adjoint du département de la prêtrise et de la famille et participe à la supervision de l’inter-région du Nord-Est de l’Amérique du Nord), mais Guy n’étant pas libre n’a pas eu l’opportunité de le rencontrer.

 

Guy me dit que l’actuel Président de l’Église, Russell Marion Nelson[3] ne souhaite plus que les membres se présentent comme « Mormons », mais comme membres de l’Église de Jésus Christ des saints des derniers jours…. C’est si long qu’après s’être présenté, il faut reprendre son souffle et que la porte devant laquelle on se trouve s’est refermée avant la fin ! Dans mes jeunes années, le sujet d’une leçon de la SAM (Société d’Amélioration Mutuelle) pour la jeunesse de l’Église, dénonçait les ‟marottes” qui nous affectent tous ! Guy assez dubitatif me dit que le prédécesseur de Russell M. Nelson, Thomas S. Monson, décédé le 2 janvier 2018, voulait que l’on insiste sur l’appartenance « mormone ». De telles « révélations modernes », de plus contradictoires, ne me semblent pas répondre aux graves inquiétudes actuelles de l’humanité. Pour autant, l’appellation souhaitée par le président Russell M. Nelson me parait plus noble et juste et puis, à près de 95 ans, lorsqu’on est vivant et en forme physiquement, affairé autour du monde, il me semble que l’on puisse lui concéder cette prédilection.

 

Dans ma distanciation avec l’Église on relèvera sans peine mon allergie à son côté rêche, conservateur, avec des Autorités Générales plus Républicaines dans l’esprit que Démocrates et comme dans toutes les boîtes à ‟bondieuserie”, un déplaisant côté réactionnaire. Me dérange également une certaine tristesse d’attitude qui me parait inexplicable. Que l’on ne soit pas hilare me parait naturel, mais d’être aussi souvent austère, voilà qui me dérange et m’interroge. Ce qui me fait souvenir de mon amie Renée, catholique convaincue et pratiquante, qui reprochait à Obama d’être noir, alors qu’il l’était, somme toute, assez peu. On la trouvait amoureuse de Dieu qu’elle avait à la bouche mais à qui je déclarais un jour : « Curieusement votre amour de Dieu ne va pas jusqu’à exprimer un vif désir de le rejoindre dans l’éternité. » On sentait bien que plus qu’une conviction, il s’agissait d’une superstition, d’une consolation, pour le cas où les plaisirs de la vie viendraient subitement à manquer ! Lors de la présidence de David O. Mckay[4] qui s’acheva un peu après mon arrivée dans l’Église, son côté charismatique, souriant, positif m’avait enclin à penser que prévaudrait la vision heureuse et positive du rétablissement de l’Église de Jésus-Christ. La présence de Neil Andersen à Périgueux, le plus souriant des missionnaires, étant un gage supplémentaire du règne de cette philosophie du bonheur : celle d’être dans la ‟Vérité” rétablie et dans la voie de la Lumière. Il est également vrai que les chaleureuses expressions et la gestuelle de Président Willis D. Waite, y faisait croire. Le côté sclérosé, sévère, m’est apparu plus tard autant dans les décisions des responsables que dans des discours parfois rébarbatifs et culpabilisants des Autorités Générales. On ne riait pas vraiment, sans pour autant ne jamais dénoncer les aberrations de la société capitaliste s’affichant cependant plus comme une incarnation luciférienne que de la Parole christique, pourtant d’une absolue limpidité !

     
     
 
Elder Guy Moran, 1972  

Guy Moran en 2018, avec Puppy

 

     
     

 

Alors, il se peut que la vision que représentait par sa manière d’être mon ami Guy Moran au début des années 70 – manière qui me chiffonnait et m’agaçait –, soit celle qui, avec mon évolution, mes expériences professionnelles et personnelles, m’eût nettement mieux agréée. Son approche heureuse, tonique, fraternelle et fidèle quoi qu’il advienne, ressemble mieux, me semble-t-il, à l’Évangile que j’ai eu entre les mains. Il m’a toujours accepté tel que j’étais, sans exiger de moi telle ou telle réforme, en ce sens là, sa conduite me semble plus proche des enseignements du Christ que celle de quelques autres, même perchés au sommet de la hiérarchie de l’Église. Ils jouiront, cependant, d’une excellente conservation, le vinaigre ayant cette réconfortante faculté !

 

Qu’importe, j’ai fait la conquête de ma liberté et je ne suis absolument pas disposé à y renoncer, pas plus qu’à condescendre aux lois de la soumission qui ont, des siècles durant, fait le malheur des peuples. Les théories de l’obéissance aveugle ne sont pas inscrites dans mes chromosomes. J’abandonne le rigorisme maladif, résultant de la peur, avec, par charité pour mon prochain, pour celui qui ne saurait s’en passer, la notice d’un bon laxatif.

 

Ce court séjour de Guy se signalait par ces sempiternelles discussions qu’ont les vieux bonhommes se retournant sur leur jeunesse enfuie à tout jamais, qui sur le moment où elle se vit est plus ou moins amère et indigeste, mais qui, avec un long recul, se voit transcendée par le souvenir irisé que nous accordons à nos vertes années.

L’évocation des bourgeons voudrait nous faire oublier le temps des feuilles mortes, un temps qui se conjugue au présent ! ♦

 

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[1] Orson Scott Card, né le 24 août 1951 est un écrivain de science-fiction américain, s’étant notamment illustré dans le genre de la ‟fantasy”. Il a reçu les prix Hugo et Nebula des meilleurs romans deux années consécutives, au titre de son Cycle d’Ender, ce qui constitue une première dans l’histoire de la science-fiction. Né dans l’État de Washington aux États-Unis, il a été missionnaire au Brésil en tant que membre de l’Église de Jésus-Christ des saints des derniers jours (mormons) et enseignait à Salt Lake City. Ses œuvres tournent toujours autour du facteur humain, la technologie (ou son absence !) n’étant que la toile de fond sur laquelle évoluent les personnages, souvent de jeunes enfants, qui vivent souvent une trajectoire initiatique. Sa croyance « mormone » apparaît plus ou moins selon les romans. Les religions, qu’elles soient inventées, comme dans le Cycle d’Ender, ou réelles, sont souvent présentes dans ses œuvres, et sa connaissance des textes sacrés est très poussée. (Source WikipédiA).

[2] Willard Mitt Romney, né le 12 mars 1947, est un homme d’affaires et homme politique américain. Interrompant ses études supérieures, Mitt Romney réside deux ans et demi en France dans les années 1960, en tant que missionnaire mormon. En 1971, il participe aux deux campagnes politiques menées par ses parents et obtient ses diplômes universitaires. Il se spécialise dans le conseil en stratégie et intègre Bain & Company, en 1977. Il en devient plus tard le directeur général et parvient à la sortir de la crise financière qu’elle connaît. En 1984, il co-fonde et dirige Bain Capital, qui devient une des plus grandes sociétés d’investissement aux États-Unis ; son bénéfice net, estimé entre 190 et 250 millions de dollars, permet à Mitt Romney de financer ses campagnes politiques. En tant que membre de l’Église mormone, Romney est, pendant sa carrière d’homme d’affaires, évêque de sa congrégation, avant de devenir président de son diocèse de Boston. Il abandonne ensuite Bain Capital et son rôle dans l’Église afin de se consacrer à la politique. Candidat sans succès du Parti républicain à l’élection sénatoriale de 1994 dans le Massachusetts face à Edward Moore Kennedy, il retourne à Bain Capital. Désigné président du « Comité de Salt Lake City chargé de l’organisation des Jeux olympiques et paralympiques d’hiver de 2002 », Romney parvient à redresser les finances du comité, ce qui relance sa carrière politique. Il devient gouverneur du Massachusetts à l’issue de l’élection de 2002. Il est à l’origine d’une réforme permettant à tous les habitants de bénéficier d’une assurance maladie avec le choix de souscrire auprès de l’État ou auprès d’une compagnie privée d’assurance. Il redresse également les finances de son État, allégeant le déficit de deux milliards de dollars grâce à une combinaison de réduction des dépenses, d’augmentation des impôts de certaines tranches de la population (notamment en ôtant certains boucliers fiscaux) et de baisse des impôts sur les PME. Il ne brigue pas un second mandat de gouverneur en 2006, préférant se porter candidat à la primaire présidentielle républicaine de 2008, qu’il perd au profit de John McCain, après avoir néanmoins remporté plusieurs primaires. Une nouvelle fois candidat en 2012, il est désigné par le Parti républicain afin d’affronter le président sortant, Barack Obama, à l’élection présidentielle. Il est battu le 6 novembre 2012, obtenant 47,21% des voix (206 grands électeurs) contre 51,07% à Obama (332 grands électeurs). D’abord silencieux depuis l’élection présidentielle de 2012, il s’avère ensuite être l’un des opposants républicains les plus résolus au président en place depuis 2017, Donald Trump. Le 16 février 2018, il annonce sa candidature à l’élection sénatoriale qui aura lieu dans l’Utah au mois de novembre de la même année. Il remporte facilement l’élection face à la démocrate Jenny Wilson, récoltant plus de 62% des voix. (Source WikipédiA).

Par ailleurs, il accompagnait l’apôtre Neil L. Andersen, en avril 2017, pour l’inauguration du premier Temple de l’Église de Jésus Christ des saints des derniers jours (LDS Church), au Chesnay (Versailles). [lire à ce sujet l’article de Youness Rhouanna, daté du 10 avril 2017, publié dans Marianne et intitulé, Ouverture du premier et gigantesque temple mormon au Chesnay : l’alliance du pouvoir et de l’argent ]

[3] Russell Marion Nelson, né le 9 septembre 1924 à Salt Lake City, fut chirurgien cardiothoracique. Après avoir été depuis 1964 un dirigeant de l’Église de Jésus-Christ des saints des derniers jours, il est depuis le 14 janvier 2018, président de cette église.

[4] David O. McKay, (1873-1970) fut le neuvième président de l’Église de Jésus-Christ des saints des derniers jours de 1951 à sa mort. Apôtre, puis président du Collège des apôtres, il fut conseiller de l’ordre pendant 64 ans, un record historique dans l’Histoire de cette église.

 
 
 

 


 
 

 

Vendredi 19, samedi 20, dimanche 21 juillet 2019

 
 
 

Réussir sa vie : Laetitia, une fleur dans les familles Rivière, Lavit, Clément, Moreliéras

 
 
 
Texte dédié à ma petite cousine Laetitia, à mon petit cousin Éric Moreliéras et à ma chère cousine Jacqueline Clément

 

 

 

En mémoire de Jean et Françoise Rivière (née Parcellier), mes arrière-grands-parents, de mes grands-oncles Marcel et Henri Rivière, de mes cousins Arlette et René Lavit, de mon cousin Jean-Pierre Clément.

 

 
 
 
               
               
       
Jean-Pierre, Jackie, Laetitia Clément, 1970   Laetitia & Jean-Pierre   Éric, Laetitia, Junior & Manon   Arlette Lavit, Junior & Manon, Noël 2000  
               
               

Parfois, je me demande si du haut du ciel, où d’un endroit inconnu, nos aïeux, ne nous regardent pas, et avant que sonne notre heure, nous concoctent des surprises totalement inattendues, générant en nous tout le merveilleux des jours de l’enfance !

 

Partis de Chancelade, avec Marie-Annick, nous fîmes halte aux ‟Volves”, commune de Biras où vécut la famille Rivière, Jean et Françoise Parcellier – une sainte femme –, avec leurs deux filles et leurs quatre fils. La mort, à 15 ans, de leur fille Mathilde leur fit bâtir un caveau dans le petit cimetière d’Eyvirat où ils s’en sont allés la rejoindre des années plus tard. Il y a là aussi Arlette, leur petite-fille, la mère de notre cousine Jackie et la grand-mère de celle qui nous invite aujourd’hui à ‟Chanceland”, commune de Saint-Crépin de Richemont.

 

L’ancienne métairie des ‟Volves”, en amont du château de La Côte à Bourdeilles, s’étend sur un site vaste et vallonné, lumineux et souriant. Le château fut un des lieux avec l’école où se rencontrèrent et s’aimèrent nos aïeux. La famille Rivière y vécut autour de 1900. Jean-Léo Lamaud et Catherine Roussarie son épouse, mes arrière-grands-parents y travaillèrent comme domestiques. Leur fils Jean-Léopold, mon grand-père, y rencontra Clotilde Rivière, ma grand-mère.

 
 

À droite, de bas en haut, les fils Rivière : Henri, André, au sommet Marcel

Au centre, Jean Rivière le patriarche, Françoise Parcellier-Rivière, derrière, Gaston Rivière, à ses pieds

Marie-Jeanne Yvonne Lamaud-Joubert, ma mère. Assis à gauche, mon grand-père Jean Léopold Lamaud, au-dessus Clotilde Rivière-Lamaud, à sa gauche Catherine Roussarie-Lamaud, mère de mon grand-père.

 
 

 

 

 

Nous fûmes bientôt chez ma cousine Jacqueline Clément – que toujours nous appelâmes Jackie –, sur la route d’Angoulême, après Brantôme. Une halte au cimetière de Saint-Crépin de Richemont pour y saluer René, le père de nos cousins et Jean-Pierre Clément l’époux de ma chère cousine. Il n’y a aucune tombe aussi belle et fleurie en ce cimetière, nous privant cependant d’un époux, d’un père, d’un grand-père et d’un cousin regretté, admiré, vénéré.

 

Pierrette, ma cousine – que j’aurais le plus regretté depuis l’Au-delà de ne pas avoir connue sur terre, car c’est un trésor de gentillesse, d’affection et d’intérêt pour les autres –, était aussi invitée avec Jean-Pierre Martinet, son époux. Pierrette est cette autre cousine qui a mis des fleurs sur son chemin de vie et qui par un heureux mariage, a donné naissance à deux superbes enfants et deux petites-filles adorables qui font aussi grand honneur à cette famille du côté de ma grand-mère maternelle, Clotilde Lamaud.

 

 
 
Jean-Pierre Martinet, Camille & Huguette Lavit, Pierrette Martinet, Laeticia Moreliéras, Jackie Clément, moi & mon ventre, Éric Moreliéras. Photo Marie Annick Faure.
 
 

 

 

Pierrette m’avait prévenu que j’allais rencontrer non seulement une très jolie jeune femme, ce que j’avais remarqué sur les photos, mais une merveilleuse personne. Je n’ai pas souvenance d’avoir vu Laetitia même enfant, mais j’ai tout de suite été charmé comme cela m’est rarement arrivé et encore ému par cette grâce absolue qui la caractérise en permanence. Sa mère possède elle-même beaucoup de charme et, jeune fille, elle m’avait un peu tourné la tête, non qu’elle voulut me séduire mais j’avais remarqué en elle une jeune fille hors du commun, délicate et discrète. Jackie était appréciée et aimée de tous dans notre famille. Et je conviens sans peine que c’est une joie et un privilège de l’avoir retrouvée, comme si tant de décennies ne s’étaient écoulées depuis nos jeunes années.

 

 

 
 
 
Laeticia & Éric Moreliéras à ‹Chanceland›
 
 

Étant le plus avancé en âge dans ces retrouvailles entre cousins, je me suis senti curieusement être le représentant de mes arrière-grands-parents Rivière. Et j’ai ressenti toute la fierté de Jean et Françoise d’avoir une héritière aussi parfaite, comme couronnement de leur immense travail, de tant de privations et de deuils cruels. Il fallait cette quatrième génération depuis leur fils Marcel pour que vive pleinement leur espérance.

 

Si j’avais rencontré Éric lors de notre escapade entre cousins (Pierrette, Jackie et moi) le 2 mai dernier, je ne connaissais pas encore Laetitia. Avec elle, tout est simple et naturel, un vrai rayon de soleil ! La relation s’est immédiatement établie comme si nous étions, depuis des lustres, attablés dans une continuité ininterrompue avec cette famille Rivière : Jean, Françoise, Marcel, Clotilde, Henri… Arlette, Paul, Andrée. Nous étions leurs héritiers sans vouloir réduire les alliances qui autorisèrent le déroulement de nos chemins respectifs.

 

Un frère de Jackie, Camille, était aussi invité avec Huguette son épouse et mère de leurs deux fils Nicolas et Ludovic. En mars 2015, le gentil Gilbert, troisième de la fratrie, disparaissait. J’avais connue Janine qui avait un an de moins que moi, disparue en 2004 ; disparus aussi son époux Marcel et leur fils Guy. Je n’ai pas souvenance d’avoir rencontré avant (ou peut-être pour l’enterrement d’Andrée Girardeau) les deux fils, ni la troisième fille, Annie, de ma cousine Arlette et de René Lavit.

 

 
 
Jean-Pierre Martinet, Camille & Huguette Lavit
 
 
 
 
Au centre de la photo, Camille Lavit, lors du mariage de Jackie et Jean-Pierre
 
 

 

La demeure de ‟Chanceland” résulte d’une incroyable aventure. De vieilles granges, sans habitation, uniquement réservées au bétail, elle est devenue en deux décennies une vraie splendeur. Le déjeuner eut lieu dans les anciennes chambres rustiques dans lesquelles s’était réfugié, un jour, le grand-père René pour y mener ses réflexions. Le lieu restauré avec soin, tel un salon d’été Toscan s’ouvre sur la cour, les dépendances, l’habitation et la campagne. Nous fut servi, à proximité de cette pièce, un mojito rhum, menthe, citron vert, Perrier et sucre de canne, accompagné de bâtonnets de carottes, concombres, choux fleurs… et divers dips.

 

 

 
 
Appéritif & Mojito
 
 

Éric sait tout faire de ses mains ; il a confectionné une table de bois festive et ses quatre bancs attenants avec un large plateau tournant permettant à chacun, d’où il se trouve, d’avoir accès aux victuailles et boissons… Mais Éric, en maître de maison, sert le vin !

 

 
 
La table magique confectionnée par Éric
 
 

 

Ce repas estival s’ouvre sur des brochettes de tomates cerise, jambon de pays, melon, mozzarella et pastèque ainsi qu’un pâté de sanglier-chevreuil.

Éric est aussi aux fourneaux, à proximité, pour rôtir la viande de canard et de poulet alors que Laetitia apporte un régal de gratin de pommes de terre et courgettes.

Des chèvres chauds et panés accompagnent la salade.

Pour parachever ce repas champêtre elle a aussi préparé un dessert glacé à base de mascarpone, de meringue, cerises confites et son coulis de fruits rouges qui me régalera plus encore ; j’en ai toujours en l’écrivant, les papilles en émoi ! La conversation allait bon train dans une atmosphère bon enfant et une température idéale, rare en ces temps caniculaires. Les vins étaient excellents. À la fin du repas, ayant renoncé le café servi par Éric, mes pupilles n’étaient plus totalement en face de leurs orbites. Toutefois, bien arrimé à la table, car il fallait lever la jambe pour s’extirper du banc, j’y parvins sans m’écrouler… les autres firent tout aussi bien !

 
 

De gauche à droite :

Marie Annick Faure & Jackie Clément entre Pierrette et Jean-Pierre Martinet

 
 

 

Nous nous dirigeâmes ensuite vers la demeure dans laquelle Laetitia nous conduisit pour une visite avant que nous nous installions dans le large canapé pour regarder une vidéo très soigneusement réalisée de ces travaux qui transformèrent ces vastes bâtiments relativement vétustes en lieu de résidence que les revues dédiées à la maison, à l’aménagement et à la décoration, auraient plaisir à proposer à leurs lecteurs.

 

J’avais déjà vu, le 2 mai, le vaste salon d’un goût parfait ; la douceur des coloris et les associations de tons inclinant à la sérénité, au calme, au repos.

La vidéo montre, étape par étape, la réalisation de ce projet ambitieux et la volonté d’allier le confort pratique avec l’élégance et le raffinement.

Laetitia a eu un père exceptionnel et Éric a trouvé dans son exemple et son propre savoir-faire le chemin de la réalisation la plus rigoureuse, toujours esthétique. Il est incontestablement un maître-ouvrier, comme le fut son beau-père. Voici ceux que personnellement j’appelle les Premiers de cordée, les bâtisseurs, les réalisateurs du beau. Mais aussi quelle détermination, quel courage pour transformer aussi somptueusement des bâtiments à vocation agricole. Laetitia n’était pas en reste dans ce vaste projet, pousser les brouettes de ciment ne lui faisait pas peur !

 

 
 

Jean-Pierre et Jackie Clément avec Marion & Yoann

enfants de Sandrine & Jean-Philippe Grand, 2003

 
 

 

Les parents de Laetitia, Jacqueline et Jean-Pierre ont, à mon sens, exemplairement construit leurs vies. La performance pour notre modeste famille se décline en courage, abnégation, patience et vaillance.

 

Comment alors ne pas lever mon chapeau – Marie Annick me l’avais rapporté des Estivales du chapeau de Caussade d’où elle revenait – devant l’attrait d’une si heureuse réalisation. Et comment ne pas être fier et reconnaissant pour toute cette famille Rivière, depuis Jean et Françoise Parcellier, dont Jackie et sa fille Laetitia sont parmi les fleurons.

 
 
Jean-Pierre & Jackie Clément, Junior et Manon
 
 

 

La grâce et la gentillesse donnent tout leur prix à une réussite qui mérite de se voir réitérés les éloges du grand philosophe américain, Ralph Waldo Emerson[1] :

 

« Rire souvent et sans restriction ; s’attirer le respect des gens intelligents et l’affection des enfants ; tirer profit des critiques de bonne foi et supporter les trahisons des amis supposés ; apprécier la beauté ; voir chez les autres ce qu’ils ont de meilleur ; laisser derrière soi quelque chose de bon, un enfant en bonne santé, un coin de jardin ou une société en progrès ; savoir qu’un être au moins respire mieux parce que vous êtes passé en ce monde ; voilà ce que j’appelle réussir sa vie. » □

 

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[1] Ralph Waldo Emerson (1803-1882), essayiste, philosophe et poète américain, chef de file du mouvement Transcendaliste américain du début du XIXe siècle.

 
 
 

 

 
 

Samedi 6, dimanche 7, lundi 8 juillet 2019

 
 

 

 

David Hivers, joie, vitalité, réalisation

 
 

 

Bruno Adrie nous confie que si « la bassesse a toujours existé, aujourd’hui elle est la règle, elle est le moteur et elle s’exhibe. » Christian Goux, écrivait en juillet 1978, dans le Monde Diplomatique une étude intitulée M. Raymond Barre et les recettes du capitalisme, qui débute ainsi : « Rien ne devrait nous étonner d’un système qui repose sur ce qu’il y a de plus fort et de plus vil dans la nature humaine, l’orgueil et la cupidité, et qui met l’argent au premier rang de son échelle des valeurs… Il faut dire à leur décharge que la pression sans cesse renouvelée de l’idéologie dominante, par radio et télévision interposées, réalise aujourd’hui, un bourrage de crâne dont on se demande encore comment il peut être toléré et qui rappelle de bien fâcheux souvenirs.[1] » Barre, ce Premier Ministre patelin, insidieux, était aussi corrompu et davantage encore que le pitoyable Cahuzac.

 

L’immensité des mensonges proférés nous conduira-t-elle à renoncer ou à nous indigner, à revendiquer et conspuer un pouvoir aux pratiques de plus en plus douteuses et odieuses ?

 

Nous détournant de cette horde politique indigne et prédatrice, en observant nos semblables, en dehors des avachis, des consensuels, des abêtis et autres abrutis, ne voyons-nous rien d’autre ?

 

Nous voyons aussi des êtres qui ne plient pas, qui regardent dans une autre direction et ne se laissent pas infléchir par les contingeances. Nous en avons découvert un certain nombre sur nos marchés qui ne ressemblent aucunement à la servile valetaille de la libre concurrence ; assez récemment nous en vîmes arriver un tout nouveau sur le marché de Manzac-sur-Vern à qui les éléments d’une phrase que Xavier Grall dédie à Joseph Delteil trouve une tout aussi juste application, car ce qu’il « nous donne avec le plus de profusion et d’originalité, c’est la joie. Virile et profonde exultation d’être, d’exister, de créer, d’aimer et de croire[2]. »

 

David Hivers, pour le nommer, est un jeune homme de 27 ans, tonique, joyeux et dynamique. Il me semble intéressant de comprendre pourquoi il a ainsi la pêche en permanence. La situation en France n’est pas réjouissante. Le Capital détruit tout : environnement, espèces animales, êtres humains exploités et empoisonnés avec perfidie et violence, prédation nourrie par une avidité monstrueuse. L’atmosphère globale, il en est assez question dans la presse et les journaux télévisés, n’est pas vraiment festive, elle est peut-être même orientée pour déstabiliser, démoraliser, décourager et soumettre.

 

C’est en marchant depuis quelques années, de plus en plus régulièrement, jusqu’à une heure par jour, que rencontrant quelques femmes et hommes d’âge mur mais décidés à entretenir et à conserver leur santé, que se fait jour en moi, une réflexion. Moi qui n’ai jamais bénéficié de force physique ni d’une réelle santé, comment se fait-il qu’arrivé à la septantaine, je me trouve en meilleure forme que durant toute ma vie ? L’exercice régulier de toute évidence, vivement recommandé par les médecines officielles et parallèles, s’avère être une garantie de bonne santé, de vitalité. Je discute parfois avec un sportif convaincu, Sébastien, sur la Voie Verte du canal de Saint-Astier, qui entraîne avec lui sa compagne et ses jeunes enfants, pour en comprendre tous les bienfaits, l’absolue nécessité.

 

Même avant d’avoir eu accès à son Facebook, j’avais compris que la personnalité épanouie et tonique de David était due au sport, à une vraie forme physique.

 

 
 
David Hivers sur le marché de Manzac-sur-Vern, juin 2019
 
 

‟Fauricat” est situé sur un plateau, à 400 mètres d’altitude. Depuis Vergt, entre la route du Bugue et celle qui rejoint Marsaneix, au-dessus du village de Salon de Vergt, on respire un air pur, la vue est partout dominante. Je m’y trouvais, samedi en fin de matinée.

 

 
 
Les hauteurs de ‘Fauricat’
 
 

 

Le personnage n’est pas chez lui, il débroussaille avec ses potes les abords d’un étang à proximité où il fait sans aucun doute bon passer un moment de détente, comme c’était d’usage autrefois. La mer et ses plages à haute densité de sardines rapprochées et cuites ne sont pas une obsession chez ces ruraux.

 
 
Nerium oleander ‘Luteum plenum’
 
 

Particulièrement opulente, jaillissant du sol à proximité de la maison, une touffe de laurier rose, variété double de coloris blanc crème, caractérise à elle seule la philosophie épanouie de ce jeune couple. En attendant David, je prends quelques photos d’une tige agrémentée de fleurs bleues, celles de la chicorée sauvage ou chicorée amère (Cichorium intybus L) que mon grand-père appréciait tant. J’avais photographié début 1970, Jean-Léopold, avec ces floraisons estivales qui toujours me l’évoquent.

     
     
 
Nymphea   Cichorium intybus L
     
     

L’étang se pare de quelques fleurs de nymphéas d’un idéal blanc rosé. J’aperçois encore de gros bouquets de buddleias, jaunes, blancs et violets. On dirait que le maraîcher bio, connaît aussi les plantes ornementales.

 

Mais voici que notre gaillard arrive…

 

Nous contournons l’étang pour apercevoir un des deux chevaux du propriétaire, sa compagne monte le second. Celui qu’il appelle et qui accourt est dévoré par les mouches. Il a la tête protégée par une voilette comme en portaient les veuves de l’ancien temps, s’avançant pour les vêpres. Cette protection est de haute nécessité pour l’animal. J’apprends des choses !

 
 
La jument Kahina et son masque anti mouches
 
 

 

Avant qu’il ne se décide à s’engager dans l’autonomie du maraîchage bio, sur la propriété qui fut celle de ses grands-parents, David, à l’âge de 17 ans, parcourait d’importantes distances pour se rendre à Bergerac chez son employeur horticulteur. Il préparait le BEP horticole. Ce qui explique que les fleurs alternent avec les légumes sur ses plates-bandes.

 

Je parcours avec le propriétaire ces 7000 m2 de culture bio sur champs en plein air et sous plusieurs tunnels imposants et neufs. Nul doute, il y travaille avec ardeur, car l’ensemble est de belle tenue. La vigueur des végétaux en culture traduit, par ailleurs, une bonne fertilité du sol.

 

 

 
 
Les tunnels de ‘Fauricat’
 
 

Le bélier noir et farouche, le troupeau de petits moutons d’Ouessant en camaïeu beige, marron et noir, s’élancent, se dissimulent, réapparaissent, cabriolent et en définitive nous narguent ! Le bélier est un guerrier qu’il ne faut pas provoquer.

     
     
 
Poules, moutons et bélier d’Ouessant   Coq et poules de Marans bleues a camail cuivré
     
     

 

Les canes et leurs canetons processionnaires s’en vont à l’eau, y pataugent et en ressortent en farandoles cahotantes. David dit qu’ils ont le port haut et raide, mais sans doute n’est-ce pas aussi flagrant que chez notre auguste président !

 

Mardi dernier, je tombais des nues lorsque David parla d’oeufs à coquilles bleu clair, vert et chocolat, et je n’étais pas le seul !

 

Sa collection de poules est assez fabuleuse et l’on sent bien que David éprouve une passion pour la gens volatile. On découvre dans cet enclos la Marans noire, au col noir et cuivré et aux œufs chocolat foncé. Mais encore la Marans au cou argenté et aux petits œufs chocolat clair.

 

Le coq Cream Legbar faiseur d’œufs bleu ciel est mort, laissant en manque, ces poules britanniques grises (au plumage nettement plus sobre que l’« Old Queen » fluorescente). Les anglaises, nous le savons, ne sont pas aussi prudes et chastes qu’elles veulent le laisser croire. Les infidélités ne se signalent pas par la ponte, invariablement de coloris bleu, mais les poussins eux présentent souvent les signes d’autres espèces.

 

Il n’y aura pas ici, dans l’un de ces nids disséminés, des œufs d’un vert olive pâle puisque la variété Araucana n’est pas encore invitée en ce poulailler pourtant richement pourvu.

 

La Vorweck, marron à col noir, est une excellente pondeuse d’œufs classiques.

 

Si Élisabeth de Brossin de Méré[3] (née Élisabeth Guénard), au pseudonyme succulent de Faverolles, ancien officier de cavalerie, ne sortait que soigneusement rasée, il n’en est pas de même de la Faverolle claire, ici bien représentée et barbue à souhait, la femelle presque autant que le mâle !

 

Depuis que je m’alimente avec les productions maraîchères des marchés locaux, j’observe un retour des jeunes terriens vers le patrimoine ancestral, patrimoine dont je suis moi-même originaire. De l’émigration vers les citées, exode de deux ou trois générations fascinées par les usines, est né une sorte d’esclavage consenti permettant par étapes et luttes sociales, de bénéficier de repos hebdomadaire, de jours fériés chômés et rémunérés, de congés payés ce qui ne peut s’envisager très sereinement pour les paysans où chaque jour impose ses occupations incontournables.

 

Il faut choisir entre aller relativement souvent courber l’échine chez les autres, ou tenter d’être maître en son modeste royaume, assumer la fierté et l’honneur de l’indépendance. Cela a un prix, très élevé parfois, que les authentiques sont prêts à payer. □

 

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[1] M. Raymond Barre et les recettes du capitalisme, par Christian Goux, juillet 1978, site du Monde Diplomatique.

[2] Xavier Grall, Delteil ou le génie du baroque, p. 338-339, dans Les Dossiers H, de la revue L’Age d’Homme consacré à Joseph Delteil, Lausanne, 1998.

[3] Élisabeth de Brossin de Méré, née Élisabeth Guénard à Paris en 1751 et morte dans la même ville le 18 février 1829, est une femme de lettres française, auteur en particulier de nombreux romans. Elle a publié plus de trois cents ouvrages sous son nom de jeune fille ou divers pseudonymes, ce qui lui a valu d’être surnommée « la providence des libraires et des cabinets de lecture ». Entrée en littérature en 1799, elle consacre les trente dernières années de sa vie à l’écriture de romans historiques ou sensibles, de contes moraux, de brochures politiques, d’ouvrages d’éducation, mais aussi de mémoires licencieux, d’anecdotes et de compilations. La plus grande partie de son œuvre est marquée par une pensée conformiste, prônant des idées religieuses et monarchiques. En revanche, ses écrits publiés sous les pseudonymes d’« A. L. Boissy », « J. H. F. Geller » ou « Faverolles, ancien officier de cavalerie », se distinguent par leur ton frivole ou licencieux et leur caractère érotique (Source WikipédiA).

 
 
 

 


 
 

Jeudi 4 & dimanche 7 juillet 2019

 

 
 
 

Bernard Deson, Instinct nomade, Delteil, Anarin, Annie Delpérier

 
 
 

« Il se trouve que 1977 fut l’année où je devais passer l’épreuve de Français du bac. Peu féru de révisions et, ma foi, assez bon bluffeur…, je décidais de jouer le tout pour le tout en rajoutant Joseph Delteil à la liste des textes officiels. Le but était de titiller la curiosité de l’examinateur… Vous aurez compris que mes révisions s’étaient cantonnées à préparer le seul et unique premier chapitre de Saint Don Juan du très fameux Joseph Delteil ! Et la note reçue fut à la hauteur de mon culot : 18/20, tapis ! ». Bernard Deson, jeudi dans l’après-midi, au retour de sa rencontre avec José Corréa, me racontais sa mystification drôle et savoureuse, que j’ai retrouvée un peu plus tard dans ses souvenirs intitulés Une nuit blanche chez Delteil[1]. Si l’examinateur, par le truchement de cette duperie, avait découvert ce merveilleux écrivain, ce n’était alors que bénéfice pour tous.

 

C’était ma première rencontre avec lui et sa fille Faustine qui semble suivre ses traces littéraires, venant de présenter les épreuves du bac 2019.

 
 
Bernard & Faustine DESON
 

 

Nous avions, au préalable, échangé des messages à deux reprises, d’abord au sujet de José Casajuana ou Anarin auquel Bernard Deson est le seul à s’être intéressé concrètement, rééditant ses aphorismes, après l’avoir rencontré et échangé quelques correspondances. Les nouvelles reçues par Marie Annick de la seconde fille de José Casajuana n’ouvrent pas d’opportunité pour aller plus loin dans sa connaissance. Mélodie la cadette qui vit à Londres et Violette l’aînée ne semblent pas sur la même longueur d’onde au sujet de leur père. Leur mère est décédée en décembre 2018.

 

La disparition d’Annie Delpérier cette année fut une autre occasion d’échanger sur cette personnalité, tellement irremplaçable qu’il a été décidé de dissoudre Les Amis de la poésie dont elle était incontestablement l’âme, l’esprit et l’animatrice. La page, en sa mémoire, que j’envisage de réaliser sera probablement chiche d’hommages contrairement à ce qu’il était pensable d’envisager. D’Annie on pouvait tout attendre, mais ce n’est pas tout à fait réciproque. L’énergie débordante dont elle était dotée est tellement rare !

 

Bernard Deson co-anime Instinct nomade avec sa fille aînée Laurie, passionnée depuis toujours de littérature. Je recommande cette revue qui propose de nouvelles études sur un écrivain assez confidentiel mais qui a ses nombreux fans. Travail d’orfèvre d’un directeur de publication, écrivain, qui possède une grande expérience dans les revues (Germe de Barbarie [1979-1985], Orage, Lagune, express [1988-1999], Instinct Nomade depuis 2018) et dans la publication d’ouvrages (près de quatre-vingt dix) aux éditions Germe de Barbarie… sur quarante années d’éditions en dehors des sentiers battus.

 

De cette revue, j’aime le papier, la lisibilité des textes, l’importante iconographie, peu connue parfois, les photos, les dessins (portrait de couverture de Delteil, portrait d’Henri Miller) de l’inégalable José Correa, les caricatures fort significatives signées pour une majorité de JIB ou JYB (Robert Desnos, Colette, René Crevel, André Breton…).

 

     
     
 
     
     

 

Si vous souhaitez obtenir cet exemplaire ou les précédents sur Jean Cocteau et Georges Brassens, ils sont disponibles en librairie, à la Fnac, dans les Centres Culturels Leclerc, chez Amazon et par abonnement auprès de Bernard Deson.

 
 
Éditions Germes de barbarie
 
 
 
     
     
 
     
     

 

 

Bernard Deson a rencontré à 20 ans, en 1977, à la Tuilerie de Massane, Joseph Delteil et Caroline Dudley comme il rencontrera José Casajuana et Jacques Grégoire, notre ami commun disparu en février 2019. La séance d’épamprage en compagnie de Delteil dont Bernard Deson connaissait la pratique de par son père vigneron, mérite le détour. Ce témoignage de première main sur un couple vieillissant, Delteil disparaissait l’année suivante, le 27 avril 1978, est précieux et j’ajoute que j’y vois une sorte de prédestination à la réalisation de ce numéro qui comporte une vingtaine d’entrées.

 

Dans ce numéro de plus de 250 pages, on peut lire entre autres chroniques, les hommages de Bernard Deson à deux personnalités littéraires, Baptiste-Marrey (Jean-Claude Marrey) et Annie Delpérier.

 

J’ai une grande tendresse pour le fabuleux poète que m’avait fait découvrir Christophe Legrand, Xavier Grall ; aussi, c’est à lui que je donne la parole pour qualifier l’œuvre de Delteil :

 

« Une des caractéristiques de cette œuvre est qu’elle est profondément originale… Ici le mot est roi. Il coule en cascade, il est cocasse et grave, tout ruisselant de sève et de sang. C’est une charge, une cavalcade, un estuaire.

[…]

Dans ses garrigues près de Montpellier, Joseph Delteil cultive ce qu’il appelle la paléolithie qui est une sorte d’innocence franciscaine : le ciel comme la terre, c’est quelque chose de concret et de bon. Ne cherchez tout de même dans cette œuvre ni leçon de morale ni cours théologiques.  Delteil est poète et imagier. Il enlumine l’épopée de la création. C’est plein d’extravagance, de mauvais goût, de sublimité et de génie.

[…]

Au bout du compte, ce que Delteil nous donne avec le plus de profusion et d’originalité, c’est la joie. Virile et profonde exultation d’être, d’exister, de créer, d’aimer et de croire. Il y entre beaucoup d’intelligence et de malice. Qui donc pourrait croire, après avoir lu cette œuvre, qu’il faille être triste pour être profond ?[2]… » ♦

 

[1] Bernard Deson, Une nuit blanche chez Delteil, pp. 97-101 dans le numéro consacré à l’écrivain, troisième volume de la revue Instinct Nomade dont il est le directeur de publication.

[2] Xavier Grall, Delteil ou le génie du baroque, p. 338-339, dans Les Dossiers H, de la revue L’Age d’Homme consacré à Joseph Delteil, Lausanne, 1998. Texte publié initialement dans Le Cri du monde (pp. 49-51) en 1968.