JOURNAL 2019 : Chant des Jours [Août 2019]

 

 
 
 

« L’écriture n’est pas un but en soi, mais une façon de chercher et de dire le sens même de la vie individuelle ou collective. »

 

Francis COMBES, Préface de Ce que signifie la vie pour moi de Jack LONDON.

 


 
 

Journal 2019 : Chant des jours [Août 2019]

 

 
 

 

« Le métier où il y a le moins de bons ouvriers est celui d’homme. »

 

ANARIN – José CASAJUANA

 

 

« ...les pédagogues se vouent à l’œuvre fatale de pétrir des têtes de fonctionnaires et de sujets, et malheureusement il leur arrive trop souvent de réussir. »

 

Élisée RECLUS, Histoire d’un ruisseau. Édition du Kindle – French Edition, p. 8.

 

 

 

« Il plie malaisément les genoux, ses pas ne sont pas bien grands, mais il reçoit mieux n’importe quel rayon celui qui n’a jamais été disciple. »

 

Henri MICHAUX, Poteaux d’angle, Paris, l’Herne, 1971, p. 23-24.

 
 

 
 

Vendredi 30 & 31 août 2019

 
 
 

Chemin d’automne

 
 
 

Texte dédié à Arnaud

 
 
 

 

Un peu solitaire, hier, j’ai suivi un chemin d’automne, le long du canal. La voie est jonchée de feuilles jaunies qui ont chuté des colossaux tilleuls que d’accablantes chaleurs ont assoiffés.

 

La journée aurait pu être banale : marché de Saint-Astier, marche, lessive, vaisselle… si ce n’étaient mes rencontres avec Alonzo, un octogénaire en forme mais que les mensonges de la devise française exaspèrent : Liberté, égalité, fraternité. Comment ne pas partager son sentiment d’indignation en observant cette royauté française de quincaillerie où ont cours toutes les inégalités sous couvert de beaux discours narcissiques ?

 

Mais au-delà de ces rencontres irrégulières, ce fut un coup de fil inattendu qui en a changé la monotonie prévisible.

 

J’avais emporté une languette avec un numéro de téléphone lors de ma dernière visite à la Vie Claire de Chancelade : « JH, cherche heures de ménage… », ayant laissé un message tardivement dans la soirée, le téléphone était demeuré muet sur cette recherche d’emploi durant une semaine.

 

Dans le milieu de l’après-midi le téléphone sonne, d’abord je ne saisis pas bien qui s’adresse à moi, puis je comprends que cet appel fait suite au message que j’avais laissé sur un répondeur.

 

Ce jeune recherche des heures de ménage, d’aides aux familles, il est originaire du nord de la France, est passé par Limoges où il a rencontré Erwan et a milité auprès d’Asselineau. On entend bien, que si ce dernier dénonce les dérives politiques actuelles, il reste dans l’ancrage capitaliste qui autorise la bourgeoisie à vivre plutôt bien grâce à la sueur, voire au sang des exploités. Malgré l’honnêteté affichée de ses propos, je préfère, on l’a compris, non pas miser sur une gauche qui nous a comblés, jusqu’à nous en rassasier, de mensonges et de trahisons, mais sur une forme marxiste, écologique, humaniste de gestion de la vie publique et politique. Si la bête immonde est au pouvoir, c’est grâce à l’arbitrage d’un incapable socialiste notoire.

Chez mes anciens amis Mormons comme chez les nouveaux, on note une contestation des gouvernances de Macron et de Trump, mais l’aversion communiste est toujours sous-jacente. On ne donne pas à Karl Marx ce qu’il faudrait retirer à Jéhovah (même s’il n’a pas d’existence prouvée) et à ses sbires (que nous connaissons souvent que trop bien). Non que je souhaite défendre les aberrations nées sous label communiste, bien que totalement éloignées de l’idéologie Marxiste. Où est Marx chez Staline, Mao… ?

 

Pour autant et très vite j’ai deviné, et pour cause, chez Arnaud, une appartenance spirituelle, et ô surprise, elle est mormone, non de conversion récente, mais de tradition dans une famille certes séparée mais qui avait fait ce choix.

 

La propriétaire de la Vie Claire m’avait recommandé Arnaud et sa mère et elle ne disait que la vérité. Je conteste l’institution Mormone  et son management capitaliste qui serait au-dessus de tous reproches (comment est-ce possible ?), le conformisme de ses membres qui ne sont jamais révolutionnaires ou insoumis (pour la majorité en tout cas), ne présentant donc aucun danger pour le système d’exploitation actuel, sauf si leur nombre et leur pouvoir devenaient plus conséquents. Leur rectitude et leur intransigeance plongeraient alors dans les gouffres infernaux toute notre racaille politicienne. Le « Mormon » aime la probité. Cette ligne de clarté, de limpidité, de dignité est même assez unique dans une organisation qui a aussi remarquablement réussi.

 

En tout cas, la discussion avec Arnaud qui s’est plutôt orientée sur l’Église, son actuel président et ses réformes qui pourraient me séduire, ses rencontres avec mes amis d’autrefois, la famille Garant, Camille Bertrand, Christian Euvrard, Neil L. Andersen qu’il a vu à Bordeaux récemment, fut passionnante. J’ai beaucoup parlé de Randall K. Bennett, car si pour lui rien ne m’a été « révélé », j’ai toujours eu un immense respect pour ce garçon qui incarnait une authentique élégance morale. Depuis 1975, il ne devait, sans doute, pas être seul à réunir autant de qualités justifiant d’accéder au rang de l’élite de l’Église. Et cependant, sans m’avoir consulté, l’Église a appelé Randall à de hautes responsabilités, dans le Conseil des Soixante-Dix !

 

La gentillesse, l’écoute et l’ouverture d’esprit de ce garçon m’ont déconcerté et rendu heureux. L’institution et ses excommunications foudroyantes, la vindicte de certains membres agités du casque sur le dissident ou l’apostat (?) confortent l’image de secte trouble que les associations anti-sectes ne manquent pas de relever et de mettre au discrédit de l’institution. Son expérience familiale conduit Arnaud à avoir une réflexion approfondie et utile. Son père a été limogé, ce qui est ressenti comme particulièrement humiliant et détestable (je me sens solidaire avec lui !). Dans mon cas, même si le mot excommunication a été prononcé c’est moi qui ai demandé à quitter l’Église. Le ressenti est fort différent. Ce sont eux qui auraient pu s’effaroucher du camouflet et en ressentir une souffrance, d’autant que ma demande était explicite et détaillée sur un grand nombre de points de doctrine avec lesquels j’étais en désaccord. C’était bel et bien un désaveu. D’où sans doute la « gueule » que me fait depuis 1977, Neil L. Andersen, tellement convaincu que l’on pourrait croire qu’il est le fondateur de l’institution ! L’offensé au nom de toute l’Église ne pardonne pas. En ce qui me concerne, même si je trouve son attitude stupide, je lui pardonne de se montrer assez peu chrétien, ce qui est plutôt grotesque pour un apôtre, me semble-t-il !

 

Si j’avais un conseil à donner aux dignitaires de l’Église ce serait d’en finir avec cette chasse aux sorcières dans laquelle ils se taxent eux-mêmes de sectaires. Il serait plus judicieux de créer une sorte d’association de sympathisants, d’amis de l’Église qui bien que non membres ou anciens membres, éprouvent une certaine sympathie pour ses principes, sa haute moralité, sans adhérer à toutes ses exigences. Dans l’éternité on attribuerait des strapontins de consolation à ces demis ou quarts de Mormons !

 

Si tout le monde avait l’ouverture d’esprit d’Arnaud, l’Église aurait beaucoup plus de sympathisants. Il accueille l’autre avec respect ce qui est une des plus essentielles qualités d’un authentique chrétien. N’est-ce pas déjà extraordinaire, qu’un ancien membre, bien que non crédule, puisse conserver autant d’estime, de sympathie et d’amitié, pour une institution qu’il ne considère plus comme sienne ? Nous sommes tous en recherche de plus d’altitude dans un monde qui se disloque et où les idées et les pratiques les plus délictueuses ont cours.

 

Il faudrait bien que les justes, même s’ils n’arborent pas tous le même drapeau, finissent par s’unir pour combattre la horde luciférienne qui détruit la planète et ses habitants, sauf à Jéhovah de revenir enfin mettre de l’ordre dans cet abominable lupanar ! ♦

 
 
 

 
 

 

Dimanche 11, lundi 12, mardi 27 août 2019

 
 
 

 

 

Visite de ma filleule Hélène et de Patrick

 
 
 

 

 

Pour des raisons d’affinités, sans doute, parmi notre important cousinage, je ne vis chez mes parents qu’essentiellement Andrée, Henri et Hubert Girardeau ; Andrée fut toujours proche de ma mère qui avait de l’affection pour Paul, frère d’Andrée et pour sa sœur Arlette avec laquelle elle communiquait de temps à autre jusqu’au terme de la vie d’Arlette, en 2004. Du côté paternel, même si mon père avait de profondes affinités avec de nombreux cousins, il était très proche de son oncle Marcel et de son épouse Thérèse Geoffre, et encore d’André leur fils, de Marcelle et d’Yvette leurs filles. Il appréciait beaucoup, le fils de sa tante Louise (née Geoffre), Simon Bonnet, son épouse Mireille et leurs fils. Notre père était lié à Madeleine et surtout à Jean Geoffre, les enfants d’Adrien et Marthe Geoffre. Du côté Joubert, les sœurs de son père adoptif Gabriel Joubert, la tante Aimée (qui repose dans le caveau Joubert où sont enterrés mes parents), la tante Germaine et ses filles, et sans doute, Annie, sa seconde filleule, principalement. Du côté Andreaux nous voyions Christian et Cosette, et partagions les évènements de Renée et André Périsser jusqu’à ce que l’éloignement géographique finisse par distendre les liens.

Ma mère avait des affinités évidentes avec Colette, fille d’Angèle Geoffre et de René Firmin. Cette sœur de ma grand-mère maternelle vivait à Azerat où elle tenait une épicerie dans la petite rue du Charron, habitation qu’Hélène et Patrick Fauvel ont restauré magnifiquement pour leurs séjours en Dordogne.

 
 
 

Angèle Geoffre, épouse Firmin

photo Hélène Fauvel

 
 

J’ai toujours le souvenir des descentes depuis un arrêt sur la voie ferrée très au-dessus du village qui est situé dans le creux du vallon. J’accompagnais ma grand-mère Marie Rosalie qui venait rendre visite à sa sœur Angèle Firmin (1901-1972) et passer la journée avec elle depuis la gare de Saint-Georges ou de Périgueux. Enfant, je trouvais cette descente interminable, mais l’idée d’apercevoir les bonbons dans la vitrine de ma grand-tante, épicière, me conservait un minimum de courage, pour trotter aux côtés de ma grand-mère. André Geoffre, mon cousin, se souvient lui aussi de ces bocaux colorés et pleins de magie ! Nous déjeunions avec la douce Angèle à l’étage au-dessus de l’épicerie. Elle était souvent dérangée pour peu de chose, parfois des futilités, mais l’épicière était un peu la confidente de tout le village, en ces temps, replié sur lui-même ! Contrairement à Mamie, ma joyeuse grand-mère, sa sœur, son aînée, me semblait sérieuse, voire austère, peu bavarde, douce et d’une santé fragile. Elles s’entendaient bien. On doit savoir que ma grand-mère adorait rendre visite a toute sa famille, sans jamais oublier d’aller sur les tombes se souvenir de ceux d’avant.

     
     
 
René Firmin, photo Hélène Fauvel (restaurée)   Colette Firmin bébé, photo André Geoffre (restaurée)
     
     

René Firmin (1898-1952) travaillait aux Papeteries de Condat comme beaucoup d’hommes de ce secteur géographique. Le malheureux René, homme lui-même d’une grande gentillesse, sera emporté par un cancer professionnel (peut-être celui de l’amiante) à 54 ans, laissant seule Angèle pour élever leur fille unique Colette (19 octobre 1929-8 octobre 2006). Il y avait une sorte de solidarité dans cette famille. Je voyais pendant mes vacances chez ma grand-mère Marie – que Christian Andreaux avait baptisée ‟La Cadix”, Renée, sa sœur (surnommée ‟La Cagnia”) et souvent Colette (baptisée elle aussi par Christian ‟Trotinette”) qui travaillait à la Trésorerie Générale à Périgueux dans les années 50 et qui logeait et prenait ses repas du soir sur la route de Paris, Villa Élina, chez Roger Andreaux (que Christian son fils surnommait ‟Le Brège”) remarié à ma grand-mère, après le décès très prématuré de Gabriel Joubert (1900-1939). Colette était une jolie fille très sage, croyante et pratiquante. Nous pensions qu’elle deviendrait religieuse. Il n’en fut rien.

 

 
 
Jean Penchaud, photo Hélène Fauvel (restaurée)
 
 

Beau gars, Jean Penchaud, de ‟Chasseignas” commune de Nailhac (secteur de Hautefort, en limite de la Corrèze), était fils de Louis disparu tôt et d’une mère agricultrice, particulièrement âpre au travail, éprouvée mais coriace. Devenu gendarme, Jean, fut présenté à la belle Colette et ce qui paraissait impossible se produisit : ils furent amoureux, se marièrent et eurent deux beaux enfants. Hélène, née le 20 octobre 1961, vint la première et je devins son parrain, sans doute en raison de mes goûts religieux pendant mon adolescence. Nous eûmes toujours une complicité idéologique, de classe sociale si on peut dire, que les expériences professionnelles de la vie aiguisèrent à un niveau inattendu pour ses parents comme pour les miens. Je ne crois pas avoir été véritablement ce qu’il convient de nommer un bon parrain. Un début d’éveil de conscience aura sans doute été mon unique apport à la vie d’Hélène et à son parcours ultérieur. Philippe, son frère, naîtra en 1966. Autant j’eus des affinités avec Colette, Jean et Hélène, autant avec Philippe les relations n’eurent pas de véritable existence. Il est le père de deux enfants d’une petite vingtaine d’années, Julia et Victor.

 

 
 
Communion de Christine Joubert, à sa droite Marie Rosalie Andreaux et sa chienne Rita, Françoise Joubert, à sa gauche :Angèle Firmin, notre chat, Alain Joubert, Annie Lasserre. Second rang : de gauche à droite, André Joubert, Henri Girardeau, Yvonne Joubert, Roger Andreaux, Colette Penchaud, Jean Penchaud, Christian Andreaux.
 
 

 

Hélène habitait alors avec ses parents, son frère et sa grand-mère Angèle à la gendarmerie de la rue Bertran de Born. Un jour que je venais là, je me sentis obligé mais gêné d’interroger sa grand-mère assise très sagement sur une chaise. Si j’hésitais c’était que je redoutais un peu la litanie sur tous ses ennuis de santé dont elle pouvait être coutumière, et qui pour être bien réels, n’en rendaient pas pour autant le récit attrayant. Mais ce jour là elle me répondit qu’elle allait bien, aussi j’en fus surpris, à la fois heureux pour elle et pour moi qui gagnais un peu de temps pour retourner chez mes parents qui m’attendaient pour le repas de midi. Attablé j’annonçais la surprise que j’eus en interrogeant Angèle. C’est alors que le téléphone sonna. Hélène en revenant d’une course rapide avec ses parents venait de trouver Angèle inanimée. Quelle ne fut pas notre stupeur ! Je crois qu’Angèle, malade du cœur, fatiguée, âgée seulement de 71 ans s’était simplement éteinte, ayant épuisé ses ressources. Cette tante de mon père, discrète, effacée, réservée, ouvrait la succession des disparitions de la famille Geoffre, qui après la disparition de leurs parents et de leur frère Adrien en 1952, n’allait plus trop s’interrompre.

Au retour de ma mission, en 1976 et 1977, nous eûmes avec Hélène quelques discussions lors desquelles je l’invitais à lire Krishnamurti que j’étais en train de découvrir et qui remettait en cause à peu près tout ce que j’avais cru, accepté, jusqu’à présent. Elle le fit et je crois que cela aura eu une influence sur sa manière d’analyser ce qui est admis partout comme base de nos existences. Mais ce sont ses expériences syndicales qui vont forger en elle une insoumission qui aujourd’hui est peu éloignée de la mienne.

 

D’un premier mariage Hélène devint mère de Benjamin né le 2 mars 1989 à Sèvres. Remariée avec Patrick Fauvel, ils sont engagés tous les deux dans le syndicalisme à haut niveau.

 
 
Au jardin des Rolphies, de gauche à droite : Colette Penchaud, Yvonne Joubert, Jean Penchaud, Benjamin Tua. Debout, Hélène et son premier époux.
 
 

 

Au début des années 2000, j’ouvris le jardin des Rolphies à la visite, et avec une grande fidélité mes cousins Penchaud y vinrent et pas seulement pour le visiter mais pour m’aider dans la lourde intendance qu’implique des journées où défilent ici entre 50 et 200 visiteurs, avec diverses animations dont de petits concerts. Il fallait aussi assurer la table des rafraîchissements où s’exerçaient notre mère et Colette principalement. Jean, habitué à son rôle de gendarme bienveillant assurait depuis la route départementale, la sécurité pour entrer et sortir de ce chemin vers un parking fléché dans un pré appartenant à des voisins parisiens.

 

La mort de Jean le 22 novembre 2005 fut un choc aussi violent qu’inattendu, probablement victime d’une crise cardiaque, lui faisant perdre le contrôle de son véhicule à proximité de la propriété de sa mère où il se rendait. Ce fut le début de jours de solitude et de tristesse pour Colette qui luttait contre une maladie cruelle, conséquence d’une cohabitation professionnelle avec d’invétérés fumeurs et que cet événement brutal ne put qu’amplifier grandement. Notre mère fut très affectée par le départ de Jean et la maladie de Colette et je peux avouer que je le fus également.

 

Depuis la disparition violente de mon père en 1991, je passais régulièrement voir ma mère sur mon chemin de retour. L’attention de la famille Penchaud fut constante pour notre mère, l’appelant régulièrement, venant lui rendre visite. Jean l’aidait dans ce que réglait habituellement notre père. Après la disparition de Jean, nous parlions souvent de Colette avec laquelle maman s’entretenait téléphoniquement et je décidais alors de lui rendre visite pour atténuer un peu la désertification de sa vie, car ses deux enfants travaillaient loin de Périgueux. J’étais toujours très imaginatif à inventer un tas de fantaisies qui la faisaient beaucoup rire, ce qui me semblait important pour elle comme pour ma mère. Ma dernière visite eut lieu quelques jours avant une hospitalisation de contrôle à Bordeaux. Peu après, le 8 octobre 2006, la bouleversante nouvelle tombait, Colette perdit la vie pendant cette hospitalisation dont rien ne laissait prévoir qu’elle pouvait avoir une issue fatale.

 

Il ne restait donc que la relation entre Hélène et moi. Lors d’un de leurs séjours à Azerat, pour la Toussaint 2010, peu après le décès de notre mère, je passais une journée avec Hélène et Patrick dans cette maison si joliment rénovée, mais qui eut à subir malencontreusement un important dégât des eaux dans les années suivantes (chose qui n’était jamais advenue dans ce village me disait, lors d’une de mes visites, mon cousin André Geoffre). J’avais été plus que choyé par Patrick et Hélène, si bien que je me demandais comment leur rendre semblable gentillesse. Ce moment arriva ce mois d’août 2019, alors qu’Hélène et Patrick se trouvaient à Azerat pendant leurs vacances estivales.

     
     
 
Azerat, Patrick et Hélène Fauvel, 2010   Azerat, Hélène et son parrain, 2010
     
     

Les fonctions syndicales d’Hélène et de Patrick au sein du syndicat Force Ouvrière sont importantes : Patrick est trésorier national de toute la Fonction Publique, Hélène est Secrétaire Générale Nationale pour les Services fiscaux et la Trésorerie Générale. Son engagement est impressionnant de rigueur, de fermeté. Son élocution aisée, structurée, ses compétences syndicales lui permettent d’exercer avec succès d’aussi grandes responsabilités. Son action et ses interventions sont redoutées au sein du Comité Économique et Social lors duquel elle a parmi ses interlocuteurs, le ministre du Budget, Gerald Darmanin, dont la suffisance et les lacunes en matière de tact ou de simple politesse ne sont un secret pour personne. J’avoue, l’écouter narrer leurs rencontres fut pour moi un absolu régal. Savoir ces prétentieux personnages se faire moucher, on le comprend, ne pouvait que me plaire, surtout avec l’imparable manière dont elle s’adresse à lui. Je ne l’imaginais pas atteindre un si haut niveau d’investissement syndical et s’y trouver parfaitement à l’aise, ayant à ses côtés un camarade valeureux qui profite de sa formidable expérience, de sa manière de faire entendre les revendications syndicales de ses camarades et qui prendra sa suite lors de sa prise de retraite dans deux ans.

 

Si Hélène est mon unique Filleule (je n’étais que le parrain de confirmation de Daniel Larivière, mon petit cousin), je ne peux qu’être très fier d’elle, de son intelligence et de son courage à défendre les intérêts des salariés avec toute la lucidité et la fermeté nécessaires dans une période d’incessantes réformes particulièrement agressives et même intempestives.

 

Lorsque nous vieillissons, il reste peu de grandes satisfactions, je dois l’admettre comme les autres. Mais cette soirée m’a fait un très grand plaisir. Je ne sens conforté dans ce qui fut mon constant désir de vouloir défendre les exploités. Et voir ceux qui sont Notre Famille réfléchir, penser et agir pour l’intérêt général fait un bien fou ! Merci à Patrick et à Hélène pour cet heureux moment de cousinage qui possède de fort lointaines racines ainsi que je viens de le conter. ♥

 

 
 
 

 
 
 

 

 
Clotilde Rivière, épouse Lamaud, 1970
 
 
 
De droite à gauche, Clotilde Lamaud née Rivière, Jean Alain Joubert, Jean-Léopold Lamaud, mon grand-père maternel.
 
 
 
 

17, 18, 22, 23, 24 & 26 août 2019

 
 
 

Mémé Clotilde de la fratrie Rivière

 
 
 

NOTE : Pour ce texte toutes les dates ne nous sont pas encore connues, elles s’ajouteront à mesure que nous en aurons connaissance.

 
 

 

Grand-mère, petite grand-mère, comment imaginer à cinq ans que toute cette tendresse qui offre tout l’or du monde et demande si peu, peut-être, ne se représentera plus jamais ? Ces mères de nos mères ou de nos pères sont toutes, à l’orée de leur départ, la manne qui fait croire la vie infiniment douce. Il ne sera jamais possible de dire leur impact sur le balbutiement de nos destinées. Si aucune n’est semblable, l’amour qu’elles offrent toutes est le don précieux par excellence, celui qui peut inspirer plus d’humanité à nos parcours en devenir, en assouplir les heurts, les potentielles angoisses, les heures d’épreuves et de désespoir.

 

À mon sens, chacune est un poème unique, et mémé Clotilde avec ses rudesses, ses silences sans fin, cachait des trésors d’amour pour ses trois petits-enfants. Comment ne pas compatir à ses maladresses de femme qui en a tant vu et qui a souvent pleuré dans la solitude de sa chambre alors qu’elle se croyait à l’abri des regards.

 

Venue au monde le 7 mars 1897 à Brantôme, d’un père lui-même fils, semble-t-il, de deux familles aisées de Tocane Saint Apre, dont la naissance ne fut pas agréée, et d’une mère pleine de douceur et de bonté – de sainteté disait ma mère –, Françoise Parcellier (fille de François Parcellier et de Marguerite Rongiéras de Condat sur Trincou. Jean Rivière portait probablement le nom de sa mère qui le confia, nous a-t-on dit, à une famille (Les Nouillanes) qui habitait face au cimetière d’Eyvirat. Clotilde précédait une autre fille, Mathilde (née le 18 avril 1899 à Biras, décédée le 24 décembre 1914) particulièrement intelligente, aimée de son père mais que la typhoïde vaincra à l’âge de 15 ans. Clotilde atteinte elle aussi, survivra. Mais quelle terreur ! Pour Mathilde ses parents firent bâtir plus tard le caveau du cimetière d’Eyvirat qui sera aussi le leur. Ma grand-mère avait un frère aîné, Marcel, venu au monde le 22 août 1891 à Sencenac-Puy-de-Fourche pour tant de misères que l’on put penser qu’il était maudit. Il perdra la vie le 5 décembre 1937 dans des circonstances troubles que le journal considéra comme un suicide et ce que l’église de toutes les vilénies reconnaissait comme contraire à la loi divine, mais il fut plus probablement assassiné d’un coup de couteau en plein cœur lors d’une rixe. Après 1900 naquirent à Biras aux ‟Volves” trois autres fils, Gaston (8 février 1903-11 janvier 1987), Henri (6 mars 1906-8 mai 1966), enfin André (20 août 1908-13 décembre 1980), le benjamin.

Deux des frères de Clotilde contractèrent mariage et pour de sérieuses déconvenues. Georgette Agnès Renault qui épousa Marcel, lui donna trois enfants qu’elle vint abandonner au début des années 30 (en 1932 : Paul né en 1927 avait alors 5 ans) sur la place publique d’Agonac et ne s’en inquiéta plus jamais. Andrée, Paul et Arlette furent récupérés par le grand-père et son fils Henri, alors âgé de 26 ans, qui vivaient au ‟Prat”, avant une autre répartition. Henri épousa Marie Desmarthon (5.08.1909-13.12.2007) avec laquelle il n’eut point d’enfant, point faute qu’elle s’employa à mille essais, divers et variés !

 

La famille vécut principalement aux ‟Volves” sur la commune de Biras, à proximité du Château de la Côte. De sa jeunesse faite de travail à la ferme et sans aucun doute d’aide à l’éducation de ses jeunes frères, je n’ai pas souvenir qu’elle nous en eut parlé.

 

Clotilde épousa à Sencenac Puy-de-Fourche, le 3 janvier 1920 Jean Léopold Lamaud [né le 9 juillet 1897, à Sencenac-Puy-de-Fourche, fils de Jean Léo Lamaud, né le 27 septembre 1871 à Saint-Pardoux la Rivière et de Catherine Roussarie, née à Condat-sur-Trincou] avec lequel elle eut une fille unique, Marie Jeanne Yvonne Lamaud qui naquit le 24 mars 1922 (décédée le 16 septembre 2010), et qui deviendra notre mère.

Marcel qui avait épousé Georgette Agnès Renault eut 3 enfants : Andrée née en 1924 (décédée en 2000), Paul né le 25.02.1927 (décédé le 12 mai 1985) et Arlette née le 20 novembre 1928 (décédée en 2004).

 

Donc par un seul enfant mâle, Paul (en réalité Gérard, Gaston, Henri) qui avait épousé le 24 juin 1950 à Cherval (24) Christiane Dejean, le nom de Rivière a pu se perpétuer par la naissance de deux fils Jean (Jeantou, né le 09 décembre 1951) et Pierre (né le 12 octobre 1955), sur une fratrie de 7 enfants.

 
 

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Clotilde Lamaud, née Rivière, 1944

(photo restaurée)

 
 

Mon grand-père, devenu cantonnier, obtint un poste à ‟La Mule Blanche”, commune de La Bachellerie entre Azerat et Condat-Le-Lardin. Notre mère née en 1922, allait à l’école et leur chat venait l’attendre au bout du chemin chaque jour à la fin de sa journée de classe. Puis, mon grand-père obtint un emploi sur la commune de Coulounieix et ils s’installèrent aux ‟Petites Brandes”, au sommet de ‟La Rampinsole” sur la RN 21 qui relie Périgueux à Bergerac où ils tenaient une petite ferme partagée par la route, avec volailles, lapins, cochon et une et même parfois deux vaches.

 

 
 
Les Petites Brandes, Coulounieix, photo André Rivière (photo restaurée)
 
 
 

 

     
     
 
Les Petites Brandes, Léopold Lamaud dans la cour, photo André Rivière   Les Petites Brandes, Coulounieix, diapositive Jean Alain Joubert  
     
     

Notre mère devint couturière, rue Wilson chez, Madame Vallet qui avait un atelier orthopédique et une herboristerie où elle faisait fureur avec une piquette que chacun fabriquait chez soi avec sa préparation magistrale. Ma mère reprochait à sa propre mère de la contraindre à travailler au privé en dehors de son travail professionnel en confection et gagner un peu plus d’argent. Peut-être que ce travail méticuleux sans une lumière adéquate fut à l’origine de la perte de la vue de ma mère, les années venant. Et de cela elle lui en gardera rancune, entraînant dans son blâme mon père qui ne la portait pas non plus dans son cœur. Il est vrai qu’il était mille fois plus facile d’aimer Léopold son père et sa grand-mère Catherine qui était une femme douce. J’eus moi-même une relation exceptionnelle avec mon grand-père que j’adorais. Il était humble, courageux et sans la moindre méchanceté.

 

Je ne passerai pas sous silence un fait qu’évoquait volontiers notre mère et qu’elle rappelle dans ses mémoires enregistrées. Pendant la période de la guerre de 39-45, un jeune homme se présenta aux ‟Petites Brandes”, en recherche de membres de la famille Lamaud. Notre mère prétend qu’il avait une ressemblance frappante avec son père, Jean Léopold. Elle regrettait que Clotilde n’ait pas voulu le recevoir. Elle était peut-être au courant de certains faits gardés également secrets sur cette famille, car je crois que Léo Lamaud (l’arrière-grand-père) avait un frère et peut-être aussi une sœur (Marie Lamaud ?) qui avait un fils André (né à Brantôme, en 1889, de père inconnu). Plus encore que notre mère, je regrette cette possibilité de cousinage qui s’offrit en cette période certes trouble, car il n’y a plus trace de Lamaud dans notre famille. J’espère réparer, avant de disparaître, cette anomalie.

 

 
 
Clotilde, Léopold et une de leurs vaches dans les années 70
 
 

 

Clotilde n’évoquait jamais son passé, ses secrets, la mort de sa sœur à 15 ans, mort à laquelle elle échappa elle-même. Parmi les événements, le mariage de Marcel (1894-1937) avec Georgette Agnès Renault (1895-1956) à Saint-Germain-en-Laye, celui d’Henri avec Marie à Agonac. La disparition de Françoise Parcellier, l’arrière-grand-mère, le 8 juillet 1930, à l’âge de 59 ans au ‟Prat” d’Eyvirat, précédent l’abandon de ses trois jeunes enfants sur la place d’Agonac par l’épouse de Marcel, et la mort violente de ce dernier en décembre 1937. Puis ce fut la disparition de Jean Léo Lamaud et la venue aux Petites Brandes de son épouse Catherine Lamaud née Roussarie qui les aidera jusqu’à ce que la mort la surprenne dans les vignes, au début des années 50, peu après ma naissance en mai 1947, et dans ces mêmes temps disparut Jean Rivière (dont pour le moment il est impossible de trouver trace de sa naissance à Condat-sur-Trincou ni celui de son décès !) ; Jean Rivière fondateur de cette dynastie avec Françoise Parcellier. Enfin, il était d’usage de faire silence plutôt que d’évoquer ce qui pouvait être la vie non académique de Gaston. Peut-être buvait-il plus que de raison ?

 

En 1966, le décès d’Henri fut un coup de grâce pour elle, je ne l’avais jamais observée aussi fermée, contrite. Peut-être était-elle en proie aux souvenirs des ‟Volves” où elle devait s’occuper de ses jeunes frères, en particulier d’Henri et d’André. Elle avait une relation forte avec l’un comme avec l’autre. Par ailleurs, je pense qu’elle fulminait intérieurement contre la trahison de Marie envers son neveu, Paul, qu’elle sermonnait pour faire trop d’enfants, mais pour lequel, elle avait manifestement de l’affection. Des conversations eurent lieu avec son frère André, avec ma mère… mais nous n’y étions pas conviés. Je pense que compte tenu de son austérité (presque protestante) Clotilde avait honte de la conduite de sa belle-sœur. L’expropriation de la succession Rivière ne fut certainement pas agréée par elle qui avait une vision rigoureuse des biens et de l’argent. Un autre décès, plus tardif affectera ma grand-mère au seuil de la démence et de sa fin de vie, celui de son neveu, Paul Rivière, qui disparaissait tristement suite à un cancer – qu’elle eut elle-même à surmonter –, à Bergerac le 12 mai 1985.

 

Taquin comme je l’étais et le demeure, j’avais donné des surnoms à ma grand-mère : ‟Clotilde de Biras” (j’avais à ce propos, commencé une pièce de théâtre un peu moqueuse qui disparut au cours du déménagement de mes parents de Chamiers aux ‟Petites Brandes”,) ou encore ‟Clochinchilde” ! Elle m’aimait assez pour supporter mes coquineries. J’avais concocté une formule lapidaire qu’elle ne contesta jamais. Autour de mes 20 ans, j’avais un camarade aussi gringalet que moi, Jean-Jacques, qui ne manifestait pas la pleine santé, pas plus que moi, mais ma vivacité faisait sans doute un peu illusion. Ma grand-mère me posait à chaque visite trois éternelles questions : « Comment va Jean-Jacques, combien tu gagnes, combien tu économises ? ». Désormais, l’apercevant sur le pas de porte de sa maison des ‟Petites Brandes”, après l’avoir embrassée, je lui débitais moqueur et par anticipation : « Bonjour Mémé, Jean-Jacques va bien, je gagne beaucoup, je dépense tout ! Au revoir Mémé ! ». De quoi la réconforter modérément, elle qui était l’économie même, mais aussi de la chatouiller là où elle avait une petite faiblesse !

 

On a bien le droit de me trouver impertinent, ce qui est vrai, mais qui m’amuse tant, que toute critique serait vaine !

 

Ma grand-mère était une femme courageuse, habituée à l’adversité. À l’âge de 12 ans on me détecta une primo-infection, ma mère de tendance neurasthénique le pris très mal me traînant depuis le dispensaire rue Charles Mangold jusqu’à la pharmacie de la Cité Bel Air, toute affolée et me terrorisant, m’imaginant déjà perdu. Mon isolation fut nécessaire derrière un rideau dans notre modeste maison de la rue des Américains. Deux mois d’un traitement antibiotique fortement dosés me donnaient l’impression de survoler le petit lit sur lequel je restais couché. De rares visites, toutefois celle d’un camarade d’école qui m’apportait les cours que je ne pouvais suivre. Un garçon vraiment courageux, qui, il est vrai, me paraissait particulièrement costaud et déterminé. Je ne sais ce qu’il est devenu, mais j’ai conservé ce souvenir de sa très humaine et audacieuse gentillesse.

Lorsque parfois, j’avais un mot dur pour Mémé, ma mère me rappelait que si mon autre grand-mère, Marie Rosalie, qui me démontrait nettement plus d’affection, n’apparut pas durant ces deux mois, ce fut Clotilde qui vint me prendre par la main pour me conduire au dispensaire afin de vérifier que j’étais parfaitement rétabli.

 

Je surpris un jour Clotilde en train de pisser debout dans le jardin à l’arrière de la maison. Nous savons désormais que diluée l’urine est le meilleur des engrais. Les plus beaux hortensias étaient chez mon autre grand-mère, ‟Villa Élina”, rue Jeanne d’Arc, à Périgueux. Mamie les arrosait avec l’urine maison diluée à l’eau. En plus d’être resplendissants, ils arboraient de fières couleurs bleues et violacées ! Pour Clotilde c’était le port de ces culottes spéciales fendues qui autorisaient cette station debout, jambes écartées que je n’ai jamais plus revue ensuite !

 

Il serait tellement injuste de ne point évoquer les dimanches, les jours de fêtes, à la table fastueuse de notre grand-mère. Cà fleurait bon le poulet rôti et un dessert mirifique, toujours servi pour Pâques ; les îles flottantes de Clotilde étaient insurpassables, un bonheur absolu. Selon la tradition paysanne nous nous réunissions pour les moissons, les vendanges, et encore ‟La tue-cochon” ou « tuaille du cochon », rituel qui avait nettement moins mes faveurs, mais qui autorisait rillettes, enchauds, saucisses, boudins, andouillettes, côtes de porc… Et pour tout l’hiver et au-delà il y avait les saloirs à jambons sous l’escalier.

 
 
Mes grands-parents, diapositive début des années 70
 
 

 

Les vacances de Pâques, de Noël et les grandes vacances se partageaient entre la rue Jeanne-d’Arc et les ‟Petites Brandes”, et quel plaisir au printemps ou à la belle saison que ces ruisseaux temporaires, ces mares silencieuses, troublées de temps à autre par quelque animal aquatique, ces forêts et ces fougères qui sont mon plus sérieux repère ! Il faudrait causer de l’historique de mes cabanes, du petit voisin de mon âge, Michel, et des ballades avec mon grand-père sur les routes qu’il entretenait et dans les déchetteries que nous appelions des ‟bourriers” de la ville dans lesquels je dénichais des choses tellement improbables et inattendues ; déjà des produits chimiques qui me permettaient de réaliser des mélanges inflammables, propulsant de petites fusées grâce à ces produits résiduels de droguerie.

 

Clotilde faillit nous faire honte avec la vache d’Anaïs Joubert (sans lien de parenté avec nous, mais apparentée du côté Roussarie). Nous voici partis au Lyonnet (commune d’Agonac) avec ma grand-mère, mon père dans la 4 CV et une corde. Clotilde voulait récupérer un prêt qu’elle avait fait à ces pauvres gens et elle était déterminée à revenir avec une vache si Anaïs ne lui rendait pas son argent. Anna, la mère d’Anaïs, selon mes souvenirs, était sur son lit, en fin de vie, avec un parapluie au dessus du lit censé la protéger d’une fuite de la toiture. J’imagine ce qu’aurait pu être la traversée de Périgueux avec une vache attachée par une corde au pare-choc de la voiture. Une scène qui certainement eut intéressé les badauds et la maréchaussée ! Heureusement il n’en fut rien. Mais ce jour là je ne l’ai pas aimée, je l’ai trouvé « vache » et ce fut bien la seule que nous ramenâmes aux ‟Petites Brandes”! Mon père avait une patience que je ne saurais avoir avec de semblables pratiques. Si elle m’avait fait une pareille proposition à l’âge adulte, elle eut frémi de ma réaction et de mon rappel à l’ordre. Garde à vous Mémé !

 

Mes deux grands-mères s’emmêlaient les pinceaux avec les noms anglais et nous alambiquaient des formules irrésistibles, surtout Marie Rosalie qui nous faisait rire à en mourir avec ses confusions et qui riait de bon cœur avec nous de ses égarements. Elles avaient longuement parlé patois dans leur jeunesse, le français était leur seconde langue. Entres eux, Pépé et Mémé parlaient patois. Clotilde, pour une fois, mit en joie mon père, lorsqu’au retour de Périgueux où il l’avait conduite pour une formalité ou des courses, elle aperçut à Saint Georges au début de la route de Bergerac un tout nouveau pressing et eut cette réplique savoureuse : «  Je n’avais pas vu qu’on avait ouvert un présinge ! »

 

Une première fin à ce qui semble immuable survient lorsqu’un des partenaires d’un couple disparaît ; c’est également vrai pour nos grands-parents. Ce moment douloureux est survenu le 4 juillet 1972, lorsqu’une seconde hémorragie cérébrale eut raison de Léopold. Ce fut un moment bien particulier que j’évoquerai dans un texte consacré à mon grand-père qui a compté pour moi plus que quiconque. Ma grand-mère commença une vie de plus grande solitude même si elle avait la fâcheuse habitude de bouder, et donc de ne plus adresser la parole à mon pauvre grand-père, parfois un mois durant, qui cependant n’était pas très bavard lui-même. Pour autant, je ne doute pas qu’elle fut davantage soumise à l’aide et à l’arbitrage de mon père et de sa fille et perdit ainsi une part de son indépendance qu’elle appréciait comme tout Rivière qui se respecte ! On ne mesure pas toujours la terrible solitude qui s’installe dans les vies, lorsque le vieillissement s’intensifie.

 

     
     
 
Clotilde chez elle vers la fin de son existence (photos restaurées)
     
     

 

Dans ses dernières années aux ‟Petites Brandes”, la cataracte, une vue très affaiblie ne lui permettait plus de voir précisément ce qu’elle faisait et pourtant elle avait voulu inviter mes sœurs et moi à un petit repas, le dernier que nous prîmes avec elle dans sa maison. Le vermicelle qu’elle nous servit en entrée fut le sujet d’une stupéfaction puis d’un fou rire mémorable. Comme chez moi, ses sachets de céréales une fois ouverts s’immobilisaient parfois un peu longuement dans son buffet. Ce fut moi avec mon œil coquin qui découvrit que le vermicelle avait été remplacé par de petits cussous blancs propres à donner l’illusion. Lorsque je fis part de ma découverte, évidemment je plombais l’atmosphère. Mais il fallut bien se rendre à l’évidence, ce potage très riche en protéines n’était pas ce que ma pauvre grand-mère avait souhaité nous préparer. Nous avons beaucoup ri de cette étrange inadvertance. Le reste du repas nous consolât et Clotilde avec nous.

 

Vers la fin de son existence, se produisit un fait qui fut cruel pour ma mère. Ma grand-mère sachant que je serais attentif à sa demande exprima le désir d’obtenir une couverture supplémentaire pour son lit, car elle n’avait pas chaud l’hiver dans sa maison très mal chauffée. Elle était habituée à la dure, mais avec la fragilité des années, elle manifesta ce besoin. Lorsque j’en fis part à ma mère qui habitait la maison contre le bois non loin de la sienne, elle alla chercher dans ses armoires une couverture légère, du style de celle que l’on voit sur les couches militaires. Je n’étais pas convaincu que cette couverture répondrait à l’espérance de Clotilde et j’en fis part à ma mère. Elle me répondit sèchement que ça devrait lui suffire. C’est alors que je lui réclamais une paire de ciseaux. Elle me demanda ce que je comptais en faire et là je fus d’une implacable dureté : « C’est pour couper la couverture en deux et garder la seconde moitié pour toi, lorsque tu seras vieille et que tu auras froid à ton tour. » Blessée mais convaincue par mon argument elle me tendit une couverture hivernale qui mit ma grand-mère au chaud dans son lit.

 

Lors d’une de mes visites, il est certain pas assez nombreuses, au pavillon de Parrot, dépendance de l’hôpital de Périgueux, où après avoir eu des gestes déplacés avec ma mère, dus à un début de sénilité, elle fut hospitalisée, elle me déclarait voir des rats un peu partout, aux murs, au plafond… peut-être un souvenir de jeunesse. Un jour je fus pris à partie par l’infirmière furibonde, car Clotilde s’était rendue pendant son absence dans son bureau, avait poussé les papiers qui étaient sur son bureau par terre et avait fait ses besoins dessus. Je ne cache pas que ça m’avait enchanté ! L’infirmière ne fut pas contente lorsque je lui ai reproché de laisser ce dortoir de huit personnes plus ou moins valides, avec des pathologies cognitives sérieuses, sans surveillance. Plus loin trois ou quatre aides-soignantes palabraient dans l’encoignure d’une porte. Une autre fois où je faisais remarquer à une de ces bavardes indifférentes qu’une voisine de ma grand-mère mangeait sa banane avec la peau, elle me répondit : « Mais elle fait toujours ainsi ! », ce à quoi j’ai répondu : « Et par exemple, il ne vous viendrait pas à l’idée de lui peler sa banane, ce qui demande peu d’effort, afin qu’elle ne puisse plus la manger avec sa peau, car je ne crois pas que cela puisse lui faire vraiment de bien ? » Dans le cas présent et compte tenu de mes activités professionnelles je n’aurais pas hésité à lui retirer un mois de salaire pour faute professionnelle sérieuse, ce que j’hésitais à faire subir aux demandeurs d’emploi que je contrôlais et qui eux travaillaient comme des esclaves dans les entreprises dont ils avaient été licenciés.

 
 
Clotilde dans les années 70 (photo restaurée)
 
 

Clotilde nous quitta le 8 mars 1988, à l’âge de 91 ans. Elle repose avec grand-père au cimetière de Coulounieix. Sa vie n’eut rien de facile, ni de très passionnant, elle n’avait pas l’art d’ailleurs d’y ajouter elle-même des saveurs, du piquant ; les épreuves l’avaient plombée et sans doute privée d’espérance. Malgré ses défauts, nous l’aimions bien mes sœurs et moi et nous pouvons dire tous les trois qu’elle fut une bonne grand-mère, parfois un peu dure, boudeuse et pingre mais qui cachait une grande tendresse pour ses petits enfants. Comme nous aimerions pouvoir embrasser encore cette jolie pomme plissée… ♦

 

 
 
 

 

 
 

Mardi 13, jeudi 22, vendredi 23 août 2019

 
 
 

 

Jean Gilles à Saint-Avit-Sénieur

 
 
 

 

 

L’abbatiale de Saint-Avit-Sénieur[1], située entre Beaumont du Périgord et Montferrand du Périgord, depuis que je l’ai découverte lors de mes déplacements professionnels m’a toujours impressionné. Si j’en déplore le pseudo retable, les statues et les peintures, la voûte restaurée et son décor, quelques fragments de fresques sont un émerveillement. J’y ai fait à plusieurs reprises des photos. Ce qui reste du conséquent monastère mériterait une restauration.

 

 

     
     
 
Abbatiale de Saint-Avit Sénieur
     
     
     
     
 
L’ancien monastère de Saint-Avit Sénieur
     
     

 

 

J’avais découvert le Requiem[2] de Jean Gilles par un disque vinyle qui venait de paraître lorsque j’officiai chez Neyrat-Montaigne dans les années 1965-67. Cette version Frémaux parue chez Erato est encore disponible en CD, mais des versions plus récentes (Philippe Herreweghe, La Chapelle Royale chez Harmonia Mundi) et (Hervé Niquet, Le Concert Spirituel chez Accord) l’ont sans doute supplantée, auxquelles s’ajoute celle dirigée par Jean-Marc Andrieu spécialiste du compositeur[3], publiée chez Ligia (3 CD avec les Lamentations, la Messe en ré, le Te Deum et des Motets).

 

     
 
     
     
     
     

 

     
     
 
     
     
     

 

 

 

 

 

Mais ce soir contrairement à un réflexe stupide que j’eus, il n’en fut pas question bien qu’au premier rang on eut pu trouver justification à prononcer ces mots funèbres qui parfois ont de l’onctuosité et comme un parfum d’indulgence : Requiem Aeternam !

 

Car, peu de temps auparavant, dans le frémissement des allées et venues des placiers, à la croisée du transept, apparut peuchère, en un doux frémissement soyeux, une antiquaille empanachée d’un casque d’or recyclé de l’époque baroque, comme en un défilé sponsorisé par les Pompes Funèbres Générales de Première Classe… je jubile à la vue de ces vieux tableaux prétentieux, malséants, ridicules tout en sachant l’immense énergie qu’il faut déployer pour s’acharner à croire pouvoir donner une fois encore, en pleine décrépitude, une image affriolante de soi… Allons, soyons bon public et observons que si tel spectacle venait à manquer, rien d’autre ne saurait nous procurer une aussi sadique et émoustillante jubilation !

 

     
     
 
     
     
     

 

     
 
     
     
     
     

Ce concert, relativement éloigné de Périgueux, m’autorisa une soirée fort agréable passée en compagnie de Marie-Annick, sur des lieux que nous apprécions tous les deux (nous y vînmes en 2018, et fûmes impressionnés par la floraison d’un laurier rose éblouissant abrité par les pierres d’une belle demeure à l’arrière de l’église et du monastère. Par ailleurs, Marie Annick y retrouvait le chef Jean-Marc Andrieu et son épouse, sœur d’une de ses deux plus proches amies de collège. Nous avons assisté pour la première fois à une des soirées prestigieuses du Festival du Périgord Pourpre. Et nous avons eu le grand plaisir d’y croiser Pierre-Yves Besse et sa très charmante fille. Pierre-Yves est un fidèle du festival depuis ses débuts, dont il possède d’inoubliables souvenirs…

 

 
 
Le laurier rose de Saint-Avit Sénieur
 
 

 

Nous vivions-là une des plus belles soirées de l’été 2019, grâce à la superbe musique d’un de nos compositeurs français, excellent mélodiste, au catalogue relativement modeste, entendu dans une interprétation prestigieuse, sous une direction habitée et généreuse, dans des lieux historiques particulièrement inspirants. Comment ne pas s’avouer comblés ? ♦

 

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[1] L’église de Saint-Avit-Sénieur est classée sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco en 1998, au titre des chemins de Saint-Jacques-de-Compostelle en France. Les dimensions imposantes de cet édifice roman (55m de long) sont dues au pèlerinage et à la notoriété de saint Avit, dont les reliques (aujourd’hui disparues) avaient été transférées dans l’édifice au début du XIIe siècle. Entre 1060 et 1065, un petit groupe de moines vit près du tombeau de saint Avit qui se trouvait dans la vallée à l’ouest de l’abbaye. Un récit hagiographique rédigé par une personne liée à l’abbaye Saint-Martial de Limoges au XIe siècle raconte qu’Avit serait né à Lanquais vers 487, aurait servi Alaric II et aurait combattu à la bataille de Vouillé avant de mener une vie d’ermite dans la vallée proche de Saint-Avit-Sénieur. Il serait mort en 570 et enterré dans la chapelle Notre-Dame-du-Val qu’il aurait construite. La construction de l’abbaye est entreprise au début du XIIe siècle. (d’après WikipédiA)

[2] Jean Gilles, dit de Tarascon, est un compositeur français (1668-1705). Après ses débuts à Aix-en-Provence, en 1697, il devient maître de musique de la cathédrale Saint-Étienne de Toulouse. Sa musique est inspirée de celle de son compatriote André Campra. Il nous a laissé 11 grands motets, trois Lamentations, deux messes et un Requiem dont l’histoire est glorieuse puisqu’il sera donné, entre autres, lors des services funèbres de Rameau et de Louis XV.

[3] « Jean-Marc Andrieu se passionne pour la musique ancienne. Il est depuis 1991 directeur du Conservatoire de Montauban. En 1986, il crée à Toulouse un ensemble instrumental baroque dont la notoriété ne cessera de grandir et qui deviendra, en 1991, l’Orchestre Baroque de Montauban, puis ‟Les Passions” en 2003. Il est régulièrement invité par de nombreux festivals prestigieux. En 2011 il fonde le Festival Passions Baroques à Montauban, ville où l’Orchestre est en résidence. Au-delà du grand répertoire baroque, il s’attache à faire revivre des œuvres inédites ou oubliées et montre une âme de découvreur de partitions rares pour lesquelles il réalise un très important travail de restitution. Son intégrale, à la scène comme au disque, des œuvres majeures de J. Gilles est une référence de portée internationale. Pour les 30 ans des ‟Passions”, il met sur le devant de la scène un compositeur méridional peu connu : Antoine-Esprit Blanchard. Sa double compétence de chef d’orchestre et chef de chœur, l’amène à diriger régulièrement des programmes et des enregistrements de musique baroque ou lyrique tant en France qu’à l’étranger. », d’après la biographie du chef d’orchestre, Jean-Marc Andrieu sur le site ‟Les Passions” : https://www.les-passions.fr/fr/biographie-jean-marc-andrieu/

 
 
 

 
 

Mercredi 14, jeudi 15 août 2019

 
 

 

Texte dédié à mon petit cousin David RIVIÈRE, à sa compagne Julie DELVAS, et à leurs deux magnifiques fils : Tom & Yann

 

 

 

En Hommage aux excellents parents de David et Alexandre :  Jeantou et Annick RIVIÈRE

ainsi qu’à ses vaillants et courageux grands-parents : Paul et Christiane RIVIÈRE

 

 

 
 

 

La jeune génération Rivière

 
 
 

C’est la lumière qui éclaire toute cette maison, où les pièces s’articulent avec sobriété et bonheur. L’agrandissement conséquent réalisé par un jeune père doué pour tous les travaux du bâtiment, y compris les délicats carrelages au sol, et le sens des concordances harmonieuses d’une mère, engendrent une sensation de perfection dans cet espace approprié à l’art du bien vivre d’une famille où s’exprime la vitalité de la jeunesse.

 

Nous sommes à Lamonzie-Saint-Martin dans le Bergeracois. Habite là un couple soudé et dédié à leurs deux jeunes enfants. L’aîné, Tom a 4 ans, il est la beauté même, gracile autant que gracieux, il vit dans un monde très riche dont il anime les multiples possibles. S’il communique assez peu, c’est qu’il possède une réserve que l’on rencontre souvent du côté masculin chez les Rivière. Le père, le grand-père, le grand-oncle, l’arrière-grand-père en sont des exemples probants. Yann, a moins d’un an, quelques dents et un sourire ravageur. On le trouve vibrant du plaisir de regarder les autres, tous les autres, manifestant une vigoureuse joie de vivre extrêmement communicative. Il sera peut-être davantage du côté souriant de sa maman, Julie : jolie, investie, assurée. Je suis persuadé que Yann sera la source permanente de stimulation joyeuse pour son frère qui possède déjà les traits d’un penseur.

 

Je me suis pris à imaginer le vieux père Jean Rivière des “Volves” de Biras, homme courageux, déterminé et sévère, la douce arrière-grand-mère, Françoise Parcellier, devant ce tableau enchanteur… Ils en pleureraient probablement de joie et de reconnaissance, heureux de voir que leur sueur, leurs incessants efforts, leurs privations ont trouvé accomplissement à travers leur arrière-petit-fils, David. Si on ne peut être fier devant ce tableau familial, c’est qu’il est impossible de l’être jamais.

 

Je croyais trouver là une famille dans l’épreuve, or ce qui se manifeste c’est l’ordre, le courage, l’abnégation, la beauté. C’est vous qui recevez le réconfort que vous pensiez devoir apporter. Comme chez Laetitia et Éric nous découvrons l’harmonie des vrais couples, une trajectoire sans doute non exempte de soucis, mais tracée pour être une réussite au sens noble : réussir sa vie c’est l’accomplir et en éprouver de la joie et de la fierté.

 

David veut regarder devant lui. À 35 ans débute l’âge de la réalisation et son projet de vie avec Julie mérite notre respect. Il n’aura sans doute pas l’esprit combatif pour le collectif que sa mère possède à l’envie, mais à y bien réfléchir, il regarde droit devant lui, réalisant, construisant, farouchement indépendant, insoumis au crétinisme commun et bien décidé à porter ses efforts et ses compétences là où la réalisation de soi n’est pas bridée. Il pourrait bien avoir l’énergie indispensable à un créateur d’entreprise.

 

Son frère aîné, Alexandre, possède une vitalité qui lui est propre. Elle est non dépourvue de sagesse, d’adaptabilité exempte d’arrivisme, mais particulièrement soucieuse d’œuvrer là où elle trouve un plein épanouissement. Nous le voyons pour la seconde fois ; Marie Annick, comme moi, le trouvons détendu, en forme, très certainement heureux de passer ce moment en famille avec ses adorables neveux. La reprise du travail après les congés d’été se fera sans difficulté lundi !

 

Mon cousin Jeantou et Annick son épouse, ont le droit d’être fiers de leurs deux fils. C’est bien ainsi que j’espérais la lignée Rivière : ferme, solide, déterminée. De ces deux jeunes hommes dépend aujourd’hui la perpétuation de ce nom qui dans ma propre famille eut une si grande importance, participant à tous les événements marquants de l’existence.

 

Pierre, second fils de Paul, s’était joint à nous. On devine une grande sensibilité derrière ses mutismes. Mais il est de nous tous le mieux instruit des secrets douloureux de cette famille comme celui de l’achat du ‟Prat” à Eyvirat par Jean et Françoise Rivière comme aboutissement de leur travail, de leurs privations afin d’offrir à Paul, unique fanal de la lignée Rivière, un lieu de vie sans les incertitudes que connaissent domestiques, journaliers, métayers. Le rôle inique de Marie – que désormais je considère comme une insulte à notre famille – est impardonnable en raison du rapt calamiteux qu’elle fit de cette propriété. Elle est responsable du chemin de croix de Paul. Pierre connaissait aussi les dérives dégoûtantes de cette oie sans tête, au temps de la guerre de 39-45 où Henri se trouvait au travail obligatoire en Allemagne. Dans sa chambre Clotilde chuchotait beaucoup, je l’ai surprise maintes fois en conversation avec elle-même, elle a beaucoup pleuré son petit frère Henri… Je commence à percevoir l’ampleur de son chagrin comme sa rage contre sa misérable belle-sœur. Deux femmes ont joué des rôles ignobles contre notre famille : l’épouse de Marcel et celle d’Henri.

Pierre porte ces secrets de famille trop seul, on comprend combien ils lui pèsent. Est-ce la translation de confidences que lui firent son père, peut-être sa mère… ou encore l’ami Jean-Claude !

 

En observant les chemins de réalisation de mes petits cousins je note que les obstacles dressés par ces deux femmes irresponsables ont été dépassés, mais je n’oublie pas la vie cruelle qui fut imposée à Paul et Christiane, les répercutions sur la jeunesse de leurs sept enfants, avant que les générations suivantes ne viennent contrecarrer ces indignités.

 

Être resté si longuement éloigné de ces cousins m’apparaît aujourd’hui proprement incroyable, car ils sont bien de mon sang et une part de mon histoire. Ce qui leur advient me concerne et me touche. Depuis l’appel de Pierrette, en janvier 2019, que de choses sont advenues ; les chemins désertifiés sont devenus des voies de communication, d’échange, de partage et de paix. C’est tellement plus facile de porter fraternellement ce passé douloureux et de partager les joies nouvelles. Certes, un de ces jours, nous partirons, mais pas sans avoir renoué avec ce qui nous relie depuis que Jean Rivière a dû s’inventer une nouvelle famille avec Françoise Parcellier, puisque ses géniteurs l’avaient laissé grandir tout seul.

 

Faisons le reste du chemin ensemble, nos aïeux et nous-même méritons cette chance. □

 
 
 

 
 

 

Mercredi 7 août 2019

 
 
 

 

Saint-Affront, Monseigneur Louis

 
 
 

Après cette mirifique assomption avec crash sur les coupoles de Saint-Front organisée par la SHAP(ardeuse), glaces à la violette, à la figue, à l’Amaretto, menthe chocolat, loukoums à la rose… ne furent pas de trop pour éponger cette déception monumentale, magistralement désorganisée ! Le bon dieu tel un faussaire (ce que je crois depuis longtemps) et une église en trompe-l’œil…

 

 
 
Les coupoles de la Cathédrale St Front / © Cap Sud Ouest – France 3 Aquitaine
 
 

 

Lots de consolation : retable, crypte, cloître, vitraux. Nous nous retirerons des visites après la visite de la crypte.

 
 
Retable de Saint-Front©Jean-Christophe Benoist, 2017
 
 

 

Un monsieur charmant, ne manifestant nulle prétention, nous renseigna sur l’histoire du Tabernacle et du Retable[1] du XVIIe qui ornent l’abside de la cathédrale. Le grand retable provient de la chapelle du Monastère des Jésuites qui se trouvait place Hoche (actuel Espace François Mitterrand[2]). Le sculpteur, un jésuite : Charles de Belleville, aurait mis 4 ans à le sculpter, entre 1784 et 1788. De taille colossale : 9,40 m de hauteur et 11,10 m de largeur, il est fait d’un mélange de noyer et de châtaigner. Conçu sur trois thèmes mariaux : l’Incarnation, l’Annonciation et l’Assomption, il aurait été inspiré par des récits apocryphes repris dans La Légende dorée de Voragine, sorte de synthèse de faits authentiques et de merveilleux. Dans la figuration de l’Annonciation, l’ange serait un portrait de Louis XIII et Marie serait celui d’Anne d’Autriche !

 

Son créateur eut un parcours inattendu. Après avoir terminé ce monumental retable, il fut missionné en Chine pour ses talents qui lui valurent l’estime de l’empereur. Lors de son retour pour l’Europe, il fut pris de faiblesses et se fit débarquer au Brésil, croyant ses jours comptés. Il y vécu trente années encore où il fut apprécié pour son talent de peintre de sujets religieux.

 

Les stalles datant de la même époque, proviennent de l’abbaye royale de Ligueux (Dordogne). Certaines sont surmontées d’un cadre sculpté contenant un panneau peint où figurent la nativité, la crucifixion, des apôtres et des saints.

 

Puis nous accédons à la crypte construite sous l’abside de la cathédrale au moment de la restauration. La première salle, ressemblant davantage à une sorte de couloir recèle des vestiges de l’édifice, datant de toutes les époques dont l’ancien coq conséquent qui ornait le clocher après la Révolution. Des éléments de l’ancienne cathédrale sont conservés dans une des salles suivantes, qui porte le nom de Musée lapidaire.

Huguette Bonnefond, nous conduit enfin dans la salle voûtée, la plus lumineuse de la crypte, où nous retrouvons allongés, huit évêques de Périgueux, de la fin du XIXe et du XXe siècle. Les autres évêques sont inhumés à l’église de la Cité, ancienne cathédrale de Périgueux.

Sous la voûte de Saint-Front, les noms et les temps d’épiscopat sont gravés sur les pierres, à même le sol, qui recouvrent leurs dépouilles. Depuis Alexandre-Charles-Louis-Rose de Lostanges-Sainte-Alvère (1763-1835), évêque de 1817 à 1835, jusqu’à Gaston Poulain (1927-2015) évêque de Périgueux de 1988 à 2004. La secrétaire de la SHAP nous évoque en un récit émouvant un prêtre qui avait apprécié lors de son temps de formation notre évêque émérite, lui rendant fidèlement visite jusqu’à ses derniers jours à Lisieux et qui cherchait son lieu de sépulture. Nous retrouvons dans cette crypte Monseigneur Patria (1915-2001), évêque de 1965 à 1988 et Monseigneur Georges-Auguste Louis (1882-1967) qui fut évêque de Périgueux et Sarlat de 1932 à 1965 (l’évêque de ma Communion Solennelle), qui eut, nous déclara Huguette Bonnefond, pendant la guerre, à titre privé, des actions qui lui font honneur et devraient engager un historien à lui rendre justice.

 

Peut-être trouverions-nous là une histoire parallèle à celle de Monseigneur Pierre-Marie Théas (1894-1977) du diocèse de Montauban. Si un certain équilibre est respecté par le prélat durant les premières années du régime de Vichy, Mgr Théas, à partir de septembre 1941, bascule dans une opposition de plus en plus ouverte au régime, il est finalement arrêté par la Gestapo le 9 juin 1944, le même jour que Mgr Saliège. Interné à Toulouse puis au Frontstalag près de Compiègne, il est libéré la nuit du 31 août au 1er septembre 1944. Reconnu Juste parmi les nations, son nom reste attaché au fait d’avoir été un abbé Pierre avant l’Abbé Pierre.

L’action de Monseigneur Louis restera plus discrète[3] et moins affirmée que celles de ses confrères Mgr Théas et Mgr Jules-Géraud Saliège, cardinal de Toulouse (1870-1956) particulièrement connu pour ses prises de position pendant l’Occupation, où il dénonça les déportations de Juifs, le STO et les exactions nazies. Bien que n’ayant jamais rejoint la Résistance proprement dite, il fut reconnu « Compagnon de la Libération » par le Général de Gaulle et il a reçu, comme Mgr Théas, la distinction de Juste parmi les nations. L’action de Mgr Théas et Mgr Saliège durant les années noires, fut si minoritaire dans l’épiscopat français qu’elle en est devenue exemplaire, mais semble-t-il, d’autres formes de résistances, moins décrétées, mais néanmoins utiles, bienveillantes et efficaces sont à connaître et à saluer. ♦

 

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[1] Retable : francisation du provençal “reiretaulo” : arrière table d’un autel comme un dossier auquel celui-ci s’appuie.

[2] L’Espace culturel François Mitterrand à Périgueux fut initialement un collège de Jésuites, en 1530. Une chapelle a été ajoutée, puis détruite et remplacée par une autre en 1643. Les jacobins, puis la Petite Mission, puis les Doctrinaires et l’École Centrale du département l’occupent jusqu’après la révolution. En 1811, la chapelle est rasée et une partie des matériaux sert à construire le porche d’entrée. La préfecture de Dordogne occupe les lieux jusqu’en 1862. Ensuite il servit de caserne, puis d’école de dessin, puis à partir de 1883, l’École Normale d’Institutrices, l’Inspection Académique et enfin les Archives départementales. Suite à la construction de nouvelles archives, il devient en 1996 l’Espace Culturel François Mitterrand, place Hoche.

[3] Dans un texte de Jacques Baudet sur l’Abbé Boisseuil (1901-1944) accusé par l’occupant nazi d’avoir hébergé des juifs et des résistants, et déclaré en chaire, qu’il fallait prier pour le peuple russe. Arrêté en 1943, il fut déporté à Drancy et mourut au camp de Dora. Le 1er juin 1945, Mgr Louis, évêque de Périgueux, est venu à Champcevinel présider un service funèbre pour le repos de l’âme de l’abbé Boisseuil.