Chant des jours [Novembre 2019]

 

 
 
 

« L’écriture n’est pas un but en soi, mais une façon de chercher et de dire le sens même de la vie individuelle ou collective. »

 

Francis COMBES, Préface de Ce que signifie la vie pour moi de Jack LONDON.

 


 
 

Journal 2019 : Chant des jours [Novembre 2019]

 

 
 

 

 
 
 

« La dictature est faite de mépris pour l’homme. »

 

José CASAJUANA dit ANARIN, Pensées, Nouvelles Éditions Debresse, 1970.

 

 

« Mais, lorsque le vaincu travestit ses revers en victoires morales, lorsqu’il se fait un manteau de théâtre du haillon de drapeau qui lui lut laissé, lorsqu’il prend des poses, crâne, parade, provoque, rentre dans son trou au premier signe de danger, en sort plus insolent que jamais, braille, brait, aboie, jappe, insulte, menace, disparaît pour reparaître et pour faire la roue : alors, le vaincu n’est pas seulement une chose laide c’est une sale et méprisable chose, c’est une ordure. »

 

Georges DARIEN,  La belle France (French Edition) (pp. 7-8). Les Editions de Londres. Édition du Kindle.

 

 

 

« Toutes les cinq secondes, un enfant de moins de dix ans meurt de faim. Cinquante-sept mille personnes meurent de faim ou de ses suites immédiates chaque jour et près d’un milliard souffrent en permanence de malnutrition grave. »

 

Jean ZIEGLER, Le Discours censuré de Salzbourg (French Edition). Le Livre de Poche. Édition du Kindle.

 

 

 
 

 
 
 

15 & 29 novembre 2019

 
 
 

 

Ramona… une fée est passée dans ma vie

 
 

 

Après que l’amour est passé, on se tait longtemps.

Le bonheur nous a effleuré, alors qu’il semblait, par le temps si longuement écoulé, inscrit aux espérances désertées.

 

 

Ramona n’a pas compris ce qui lui arrivait, pas plus que moi que l’on pensait sec, remisé, condamné à l’absolue solitude. D’ailleurs, il en fut ainsi, il devait en être ainsi, à moins de convoler avec d’improbables laissées pour compte, plus mégères que compagnes de rêve. Après tout, comme tant d’autres, pourquoi ne pas se contenter de l’utilitaire, annexer une colonie pour pauvre, ce que les femmes sont bien trop souvent. Je n’avais pas envisagé de posséder une femme toutes mains, ni une soubrette affriolante et encore moins une duègne, qui de son poids, écraserait tout velléité de ma part. Je n’avais jamais envisagé l’amour que comme une union de deux personnes autonomes, qui se refusent à marcher obligatoirement seules sur ce petit bout de chemin terrestre. Une sorte d’alliance culturelle et affective. Un partage où chacun apporte sa pierre, sans exigence de soumission, de contrainte. C’est plus ambitieux qu’une association utilitaire à laquelle je ne saurais me résoudre ! C’est comme prendre refuge dans une secte, secte partenariale nous enfermant dans des contraintes qui gâchent tout l’intérêt du principe d’alliance. Où serait alors la complicité ?

 

 

Elle était mariée, mais pas heureuse – sans en faire trop mention cependant –, car indûment associée. Son fils Stéphane, pianiste, la retenait de toute évasion qui lui aurait été propice, mais qui le lui ferait abandonner à un destin auquel elle se refusait. Il est vrai que la vie en RDA mettait peu d’étincelles dans les yeux de ses « prisonniers ». Le mur était tombé, mais pas sans dégâts. Ceux de l’Est étaient les cousins misérables de ceux de l’Ouest. La vie était chiche, la liberté, un mot que l’on ne prononçait pas sans crainte, dont même on s’abstenait, ne sachant pas ce que c’était, et à quoi cela pouvait bien ressembler.

 
 
Ramona au milieu de mes collègues de la DDTEFP, 1998
 
 
 
 

 

C’était à la fin des années 90, dans le cadre des échanges entre les services des ministères du travail allemand et français, que nous vîmes Ramona arriver chez nous, en Dordogne, à Périgueux. Magali, une charmante inspectrice du travail, venait de remplacer un inspecteur caractériel. Magali avait tout pour plaire, la jeunesse, la compétence, la délicatesse. Les deux secrétaires, Patrick et moi nous l’adorions, d’autant plus, après la traversée des tristes mois passés sous des vents contraires. Je disais à Patrick : « Ne serions-nous pas un peu comme les deux vieux de la loge-balcon du Muppets Show ? ». Il acquiesçait, amusé !

 

 

Ramona était délicate, souriante, gracieuse, pleine de fraîcheur, un vrai bouquet des Alpes où Eidi avait grandi auprès de son grand-père. Notre amie allemande était Eidi à 40 ans, l’Edelweiss de sommets inaccessibles.

 

 

Si elle était affectée principalement dans notre section, elle se rendait aussi dans la seconde section d’Inspection du Travail où elle fut également invitée à des repas, des moments de convivialité. Elle se montra très surprise de nos festivités, qui, reconnaissons-le, se trouvèrent multipliées de par sa présence, nous ne souhaitions pas la laisser seule dans son hôtel, en particulier le week-end, alors qu’elle se trouvait éloignée de sa famille, de ses amis.

 
 

 

Saint-Pantaly-d’Ans, ‘Chez Nicolas’

de gauche à droite : Magali, Alain, Ramona, Jean-Luc

 
 

 

Nous eûmes un repas mémorable ‘Chez Nicolas’ à Saint-Pantaly-d’Ans qui proposait à l’époque des repas tout à la truffe. Sa cuisine était succulente, une rare photo, de qualité médiocre, atteste de ce moment heureux et gustatif. Ramona disait que nous vivions comme des princes ici, alors que chez eux la vie était toujours étriquée, difficile.

 
 
 
Ramona au Jardin des Rolphies, 1998
 
 

 

 

 

Elle aimait venir aux Rolphies, le jardin était lors de sa venue, au printemps, d’un grand charme et s’acheminait vers sa maturité. Il avait du succès, que l’arboretum d’aujourd’hui pourrait lui envier. Les âges de la vie et celui des jardins ont quelques similitudes parfois. En cette demeure modeste régnait la musique avec des milliers d’enregistrements. La maison était peu meublée à cette époque et le séjour très lumineux et spacieux. Nous nous mettions à table en toute simplicité, en toute liberté, dans le charme que représente une maison au cœur d’un beau jardin fleuri et parfumé. Une autre photo atteste du plaisir de Ramona de se trouver en ces lieux. Nous étions bien ensemble, même sans trop parler, simplement heureux, en confiance. Cette réelle identité de penser, de ressenti nous autorisait d’indicibles émotions. Les regards y suffisaient.

 

Le soir de ce jour, elle était invitée chez mon collègue Patrick qui résidait dans une belle demeure, à Manzac-sur-Vern, à moins de quatre kilomètres d’ici. Dans la journée, nous avions fait une ballade d’agrément dans le secteur et faisant halte chez Patrick et son épouse, elle avait aperçu la table royalement dressée, des couverts de grande classe, avec une multitude de verres, couteaux, fourchettes et cuillères en argent, si bien que ma petite Ramona qui n’avait jamais vu cela de sa vie, ne sachant comment en user, s’en trouva paniquée. Elle me demanda de la garder chez moi, où une certaine simplicité la rassurait à l’opposé de cette table princière, car Patrick était d’origine aristocratique. Il me fallut la convaincre pour qu’elle accepte de s’y rendre en lui expliquant que ce décor fastueux était dressé en son honneur, devant accompagner un repas royal, mais que la simplicité et l’immense gentillesse de l’hôte lui permettrait d’être très à l’aise. Et je sais qu’il en fut ainsi.

 

 

Les fêtes, bien sûr, cachaient l’inexorable écoulement des jours et déjà une certaine tristesse révélait la crainte de la séparation, la fin de l’enchantement. Une nostalgie remplaçait la joie des premières semaines. Alors que nous traversions la cour pour nous rendre dans les locaux du service dédiés aux travailleurs handicapés, on nous regardait passer d’un même pas, sachant que notre belle histoire était en train de s’achever. Je pense que beaucoup en furent surpris et certains même émus.

 

 

Et le jour du départ vint. Il fallut s’embrasser et se dire adieu. L’émoi dans notre section était grand. Nous étions tous tristes mais toutefois heureux de cet échange enchanteur, Ramona, aussi.

 

Elle prit le couloir pour sortir de nos bureaux. Désormais seul dans mon bureau, je pleurais en silence. Elle passa dans la rue devant ma fenêtre pour rejoindre son hôtel, et je vis qu’elle pleurait elle aussi. ♦

 
 
 

 

 
 

Mercredi 20 & mercredi 27 novembre 2019

 
 
 

Une leçon de fraternité

 
 

  Texte dédié à Alonzo

 

 
 

Il y a une indécence dans le comportement de simples cloches qui s’apparente à celles des puissants, des parvenus, de l’élite inauthentique. Avoir l’esprit bourgeois, empâté, préoccupé essentiellement par soi-même y contribue ! Certains se revêtent de carapaces, d’armures fictives pour croire avoir une quelconque importance. C’est un signe caractéristique d’une profonde faiblesse et incomplétude. C’est même la garantie de l’extrême solitude.

 

La jalousie m’a toujours indifférée, lorsque je l’observe, seul un mépris m’advient. Je n’en vois pas l’utilité, ni l’intérêt. Et même si on croit pouvoir la dissimuler, elle apparaît tel un symptôme de bassesse en ses souterraines intentions.

 

On peut toujours vouloir faire du bien aux gens, s’ils n’en veulent pas, rien n’adviendra. J’ai une vaste, instructive autant qu’inutile, expérience du secours improductif.

 

À l’opposé, lundi 18 novembre, une bien belle aventure m’est advenue, juste après la marche que je souhaite quotidienne le long du canal à Saint-Astier. Alonzo (d’origine espagnole, de dix ans plus âgé que moi), que j’accompagne sur ce trajet de temps à autre, évoque chaque fois la devise de la France : « Liberté, Égalité, Fraternité », cette devise que l’on proclame haut et fort, tout en y dérogeant, lorsque ce n’est pas en la piétinant avec constance !

 

Beaucoup, à juste titre, s’indignent de la pauvreté croissante, de la situation des SDF, mais jamais ou rarement, ne contribuent, frileux et éberlués, sans doute comme moi-même, à agir pour tenter d’atténuer ces infamies de notre temps.

 

Nous venions de terminer notre marche. Il était environ 12 h 20. Deux fourgons de CRS étaient garés sur le parking, avec un seul chauffeur présent. Nous reprenions nos véhicules afin de regagner nos domiciles respectifs.

 

En amont du pont, un très long véhicule (d’environ 15 mètres de long), d’un seul tenant, opérait une marche arrière, n’ayant pas pu s’engager sous le pont de chemin de fer à l’entrée de Saint-Astier. Le chauffeur n’avait sans doute pas vu le panneau au niveau des ‘Quatre Routes’. Par ailleurs la route des ‘Sablières’ et du ‘Roudier’, sur la droite, juste avant le pont, n’autorise pas de manœuvre à de si longs véhicules. Alonzo, qui me devançait de peu, venait de garer sa voiture pour porter aide à ce travailleur en grande difficulté, qui devait bien avoir 700 mètres à parcourir en marche arrière, avec un virage significatif avant de traverser le lieu-dit ‘La Grange-Le Port’. Par solidarité avec Alonzo, je me sentis aussitôt en devoir de garer moi aussi mon véhicule. Nous nous plaçâmes aux deux extrémités du véhicule, afin de tenter d’assurer la sécurité des voitures entrant ou quittant Saint-Astier. Reconnaissons-le, la circulation était relativement modérée à cette heure-là.

 

Le chauffeur cherchait à se rendre dans le village de Celles entre Villetoureix et La-Tour-Blanche. Le véhicule reculant en droite ligne de la cabine de conduite, sur une si conséquente longueur, occupait toute la chaussée dans les parties courbes et devait faire plusieurs manœuvres pour se remettre dans l’alignement du bord gauche de la voie. Après plusieurs interruptions de la circulation, sans nous être faits insultés par les conducteurs surpris mais raisonnables, nous fîmes reculer le véhicule à l’entrée des HLM des ‘Quatre Routes’ où il put finalement repartir pour rejoindre, à proximité, la Nationale 89. Auparavant, Alonzo, le bon Samaritain, lui avait donné sa carte routière pour qu’il puisse trouver plus certainement sa route.

 
 
Village de Celles -Dordogne (Ribéracois)
 
 

 

Il avait parlé de l’hôpital à Celles. À une époque, je traversais ce village pour me rendre chez les Pin, au château de ‘Teinteillac’ et il me semblait tout à fait impossible d’imaginer un hôpital dans ce très charmant village. Je m’étais même demandé si c’était vraiment le village où notre chauffeur devait se rendre. Avec mon habituelle curiosité, je me suis donné l’opportunité d’interroger le maire de cette commune qui m’expliqua que ‘L’Hôpital’ était un hameau situé entre Celles et Saint-Victor (un autre très joli village), probablement en raison de l’existence d’une ancienne maladrerie (on trouve d’ailleurs à proximité un lieu-dit ‘Le Repos’ où étaient certainement ensevelis les lépreux). Il m’assura que les routes permettaient à ces 38 tonnes de circuler normalement et de livrer à des agriculteurs du matériel de construction de hangars, d’installation de panneaux photovoltaïques… J’étais enfin rassuré sur la fin de cet étrange périple.

 

D’avoir pu rendre service à ce jeune – qui n’avait pas, semble-t-il, de GPS, ni de carte routière, pour l’aider à livrer le contenu de ce camion imposant –, tout en évitant des accidents avec les automobilistes, me fit goûter à ce dont parle Alonzo : la fraternité. Cette fraternité entre simples humains qui pourraient souvent alléger ainsi leurs ennuis. J’en étais ravi et en même temps comme affranchi d’une frilosité dommageable. ♦

 
 
 

 
 
 

Vendredi 15 novembre 2019

 
 
 

 

Immaculée Conception à Auchan

 
 
 

 

 

À l’issue d’une journée quelque peu morose où je reprenais la plume pour un texte majeur dans l’histoire de ma vie, une lumière s’était allumée car si j’ai été, comme le déclare ma sœur Christine, l’«homme de compagnie» de pas mal de dames qui vivaient leurs derniers beaux jours, de blessés de la vie et le psychanalyste bénévole de quelques autres, l’Amour est passé furtivement dans ma vie comme un rêve impossible, et cependant éblouissant.

 

Je l’avoue, j’étais triste et par miracle, en passant un coup de fil pour prendre des nouvelles de Khadra et du protocole qu’elle allait devoir aborder à la fin du mois, Marie Chantal me répondit depuis Biscarosse où elle passait le week-end avec notre amie et me conta un événement qui lui était advenu hier aux caisses rapides d’Auchan où elle est affectée, connue d’une multitude de clients qui l’apprécient beaucoup et à juste titre.

 

Un jeune homme, très à l’aise s’avança vers elle et lui mit son bébé d’environ six mois sur les bras pour avoir les mains libres afin de passer ses articles à la caisse rapide. Ce garçon appliquait magnifiquement la phrase du cinéaste portugais Joao César Monteiro que publiait hier, sur sa page Facebook, l’artiste José Corréa : « Même par temps d’Apocalypse, il faut garder son flegme. » L’apocalypse montre son nez, semble-t-il, mais la situation d’hier était nettement plus humoristique que tragique. Le public étonné par la scène était hilare, Marie Chantal, un peu moins à l’aise, car elle devait intervenir sur les caisses pour les débloquer – ce qui s’avère être un travail de vigilance qui demande une réelle vivacité en allant d’une caisse qui klaxonne à une autre – elle aussi bloquée par de mauvaises manœuvres des clients. Avec un bébé sur les bras, c’était nettement moins aisé. Il fallait asseoir l’enfant sur la caisse et procéder au déblocage sans le perdre de vue et le maintenir en équilibre. Dextérité obligée au milieu des rires qui fusaient de partout, aussi n’avait-elle pas reçu ce don comme une bénédiction ; mais comme elle possède un cœur d’or, j’espère lui en avoir fait ressentir toute sa beauté.

 

Le jeune homme, après avoir passé ses articles, reprit son bébé et salua Marie Chantal qui n’en est pas encore revenue !

 

Situation totalement imprévue, qui était une première pour elle et toutes ses collègues. Marie Chantal est déjà particulièrement populaire dans ce magasin, en raison de sa manière d’être avec les autres qui n’est pas commune. Aucune timidité : elle va spontanément au-devant des clients, de ses collègues et évidemment de ses relations et amis. Mais là, elle ne s’attendait vraiment pas à ce geste, qui, de la part d’un inconnu, m’apparaît comme la marque d’une grande confiance. Il ne s’était pas trompé en remettant ce qu’il avait de plus cher à une personne qui porte une attention exceptionnelle aux autres, et de manière constante.

 

Si j’avais été à sa place, j’en aurais probablement pleuré de joie, les enfants que je n’ai pas eu représentant ma plus cruelle blessure.

 

J’ai voulu raconter ce petit événement pour dire comment parfois des gestes totalement imprévus peuvent nous enchanter. ♦

 
 
 

 
 

Du lundi 4 au lundi 11 novembre 2019

 
 
 

 

 

Je n’sais comment çà s’fit, mais çà s’fit !

 
 
 

 

Alerte orange, tempête de vent, avalanches d’eau. Le préfet de la Dordogne recommande vigilance et abstinence de déplacement ! Cà tombe bien, pour une rare fois où je pensais bouger !

 

Toujours l’obstacle lorsque je projette une sortie (par précaution, fort rarement), violemment agacé par cette obstruction permanente, lisible sur mon thème astral et qui me fait écumer !

Dieu s’est fait bénir ! Deux cent moines et religieuses ne suffiraient pas à couvrir mes imprécations injurieuses et comme souvent, le vieux Jéhovah, désemparé et déconfit, recule d’un pas, pour me laisser passer !

 

Il n’était pas encore 9 h 15, que Pierrette, arrivant de Lembras avec Jean-Pierre au volant, débarquait pour me récupérer. Halte ensuite à Périgueux pour attraper au vol Mary Poppins !

 

Vent assez modéré, mais beaucoup d’averses, et la route nous conduisit jusqu’à Limoges, dans la rue François Perrin, rue la plus longue de la cité, une ville grise, terne. On chercherait en vain les hauts-fourneaux ! Nous nous garons très vite. Nous y sommes.

 

À notre arrivée, la soprano en est toujours à ses vocalises. La voix se travaille chaque jour. Être cantatrice demande une rigueur toute sportive. Je crois que la jolie Dame est exigeante, très exigeante avec elle-même. C’est donc Patrick, mon petit-cousin (qui ne m’a jamais vu), fils de Pierrette et de Jean-Pierre, qui nous ouvre la porte en nous surplombant de beaucoup. Il est le grand homme de la famille !

La jolie maison des amoureux est un ravissement d’harmonies lumineuses et joyeuses. C’est un écrin pour le bonheur, une maison d’artiste. Nous verrons plus tard le lieu des répétitions qui est d’un grand charme et où les rayons de partitions sont florissants, dont celle de Madame Favart !

 

Un repas sobre et délicieux, comme je les apprécie, nous réuni autour d’une table sous ce dôme-véranda blanc en demi-cercle qui accueillait les rayons de soleil que de subreptices éclaircies voulurent bien nous accorder.

 

Patrick a la gentillesse, qui lui est très naturelle, de nous conduire jusqu’à l’Opéra de Limoges. La façade est une parfaite horreur, l’intérieur plus chaleureux. Ce serait presque parfait si nous avions conservé notre allure juvénile tant l’espace est limité et les sièges étroits. Attention les genoux !!! J’ai donc réfléchi à des solutions alternatives : enlacer avec les jambes le cou de la spectatrice de devant, agréant celle de derrière d’en faire autant avec nous. Autre solution moins acrobatique : à la manière du vieux prisonnier au troisième acte de La Périchole qui creuse un passage avec son petit couteau, ici pour faire des entailles dans le dossier du fauteuil de devant afin d’y loger un peu moins mal nos genoux. En l’état actuel, les plus grands étant obligés de prendre leurs jambes à leurs cous !

Pierrette n’en gardera pas un bon souvenir !

 

J’étais un peu fébrile, comme s’il s’agissait de la reprise d’une œuvre de mon arrière-grand-père.

 

 

Après le grand succès de l’opéra féerie en quatre actes, Le Voyage dans la lune, donné le 26 novembre 1875 au théâtre de la Gaîté, Offenbach, entre son voyage en Amérique en 1876 et quelques œuvres qui ne rencontrent pas tout le succès espéré, La Boulangère a des écus (1876), La Boîte au lait (1876), Le Docteur Ox (1877), La Foire Saint-Laurent (1877), Maître Péronilla (1878) se trouve être surclassé par les succès de ses rivaux, Charles Lecoq et Robert Planquette. Lors de L’Exposition Universelle de 1867, Offenbach était incontestablement le roi du Second Empire, La Grande Duchesse de Gérolstein étant le clou de l’exposition, dix théâtres proposaient une œuvre du maître. Il en est tout autrement lors de L’Exposition Universelle de 1878, aucune nouveauté signée d’Offenbach, seulement la reprise d’un de ses plus grands succès, remanié en 4 actes, en 1874, Orphée aux enfers, au Théâtre de La Gaîté, avec, dans le rôle de Jupiter, son concurrent et ami, le compositeur Hervé. Si c’est bien évidemment l’apothéose d’une de ses plus remarquables œuvres, Émile Zola, pourfendeur de la légèreté du Second Empire expiré (voir Nana), se montre particulièrement virulent vis-à-vis du maestro dans une chronique publié au Voltaire :

 

« Songez donc ! M. Offenbach a été roi. Il n’y a pas dix ans, il régnait sur les théâtres ; les directeurs à genoux lui offraient des primes sur des plats d’argent ; la chronique, chaque matin, lui tressait des couronnes. On ne pouvait ouvrir un journal sans tomber sur les indiscrétions relatives aux œuvres qu’il préparait, à ce qu’il avait mangé à son déjeuner et à ce qu’il mangerait le soir à son dîner. […] Il y a dix ans ! et bon Dieu ! comme les temps sont changés ! Il faut se souvenir que ce fut lui qui conduisit le cancan de l’Exposition Universelle de 1867. Dans tous les théâtres, on jouait de sa musique. Les princes et les rois venaient en partie fine à son bastringue. […] Et voilà qu’aujourd’hui le dieu est par terre. Nous avons encore une Exposition Universelle ; mais d’autres amuseurs ont pris le pavé. Toute une poussée nouvelle de maîtres aimables se sont emparés des théâtres, si bien que l’ancêtre, le dieu de la sauterie, a dû rester dans sa niche, solitaire, rêvant amèrement à l’ingratitude humaine. À la Renaissance, Le Petit Duc ; aux Folies-Dramatiques, Les Cloches de Corneville ; aux Variétés, Niniche, aux Bouffes, clôture ; et c’est certainement cette clôture qui a été le coup le plus rude pour M. Offenbach. Les Bouffes fermant pendant une Exposition Universelle, les Bouffes qui ont été le berceau de M. Offenbach ! N’est-ce pas l’aveu brutal que son répertoire, si considérable, n’attire plus le public et ne fait plus d’argent ?[1] »

 

L’année 1878 avait elle aussi assez mal débuté avec la création de Maître Péronilla. Malgré une très belle partition – une des meilleures du compositeur, que nous redécouvrons aujourd’hui –, ces 3 actes sur un livret quelque peu rocambolesque, représentés le 13 mars aux Bouffes Parisiens, ne tiendront l’affiche que pour cinquante représentations. La version agrandie des Brigands, donnée le 25 décembre 1878, au théâtre des Variétés fait regretter la version de 1869.

 

     
     
     
 
     
     
     

 

Mais quelques jours plus tard, le 28 décembre, Madame Favart, opéra comique en 3 actes, créé au théâtre des Folies-Dramatiques, dont les représentations vont dépasser rapidement la centième, infléchit favorablement la tendance jusqu’à l’immense succès de La Fille du tambour-major (représentée le 13 décembre 1879, de nouveau au théâtre des Folies-Dramatiques, le soir de la première, presque tous les numéros de la partition furent bissés ; Offenbach épuisé assistera à la centième représentation de cette œuvre qui fut longuement la plus joué de son corpus immense), puis au triomphe et à la consécration à l’Opéra Comique avec les Contes d’Hoffmann, en février 1881.

 

Ainsi Madame Favart apparaît-elle comme la pièce du renouveau pour Jacques Offenbach. Comme l’écrit Jean-Claude Yon dans sa biographie[2] : « Celui que les reprises des derniers mois ont semblé renvoyer impitoyablement au passé prouve tout à coup qu’il n’a rien perdu de son génie créatif et qu’il peut concurrencer Lecocq sur son propre terrain. L’ouvrage qui semblait n’être qu’un plagiat de La Camargo[3] ne tarde pas à éclipser la pièce rivale et modifie l’image du compositeur. » La toute nouvelle Revue du monde musical salue Offenbach « le musicien de tant d’opérettes centenaires, séduit probablement par un sujet aussi en rapport avec la nature de son inspiration et de son savoir faire, c’est répandu en mélodies alertes, primesautières et communicatives[4]. » Édouard Noël et Edmond Stoullig (Les Annales du théâtre et de la musique, année 1878) observent le soin apporté par le compositeur à cette partition nouvelle et en soulignent la subtilité : « Sans rien perdre de sa verve, Offenbach a su se mettre au ton de l’opéra-comique et rester souvent original, après tous les ouvrages qu’il a déjà composés : rare exemple de fécondité que nous ne saurions guère comparer qu’à Auber, dont l’auteur de Madame Favart se rapproche aujourd’hui par plus d’un côté. »

 

 

Le maréchal de Saxe veut séparer Charles-Simon et Justine Favart afin de faire de l’actrice, sa maîtresse. Voilà le couple forcé de vivre caché, mais leur fabuleux génie de l’intrigue va déjouer les espérances du Maréchal de Saxe comme ceux du gouverneur de l’Artois, le marquis de Pontsablé. Deux couples vont donc occuper principalement l’action de ces trois actes, celui qui va se former durant l’intrigue entre Hector de Boispréau et Suzanne Cotignac et le couple Favart qui se retrouve à l’auberge de Biscotin, leur ami. Charles-Simon Favart, ex-directeur de théâtre et dramaturge fuit les soldats, il se cache dans la cave de son ami aubergiste. Hector de Boispréau, simple greffier est amoureux de Suzanne, fille du Major Cotignac. Ils se suivent jusqu’à Arras pour obtenir la place de Lieutenant de Police auprès du gouverneur de l’Artois, le marquis de Pontsablé. L’un postule pour un gendre idéal qu’il souhaite voir épouser sa fille, l’autre pour améliorer sa propre situation et afin que le major prenne en compte les sentiments que lui dévoilent alors sa fille. Pour contrer cette idylle, il impose comme enjeu le poste de Lieutenant de police qu’ils vont donc se disputer. Justine Favart, présente sous un déguisement de soubrette dans l’auberge, décide secrètement, afin de favoriser l’espérance d’Hector, d’aller défendre sa candidature en jouant les séductrices auprès du marquis, grand amateur de jolies femmes. Justine Favart, en fausse amoureuse d’Hector, lui obtient le poste et la main de Suzanne ; en retour, celui-ci emmène le couple Favart en qualité de domestiques pour les cacher dans sa résidence que lui offre son tout nouveau poste à Arras.

 

La mise en scène m’a semblé étrange sans être révolutionnaire ou ridicule, ce qui est trop souvent le cas aujourd’hui. Aussi, pourquoi avoir transformé l’auberge de Biscotin en atelier de couture ? Le premier acte y est comme à contresens, mais ce n’est pas franchement gênant.

 

L’ouverture, de facture très classique à la manière de celle des compositeurs reconnus de l’époque pour être les maîtres de l’opéra comique français : Adam, Boieldieu, Auber… propose quelques uns des thèmes de l’ouvrage.

 

Acte I.

 

Je note qu’aucun des huit morceaux qui l’occupe n’ont été applaudis. Il y a pourtant là de la bien belle musique. La salle était-elle surprise par les décors ou par un Offenbach plus sage ?

 

Le numéro 1 est une toute classique Introduction menée par Biscotin, les servantes et les convives de l’auberge.

Le Trio et couplets suivants se déroulent entre Suzanne, son père et Hector. C’est la révélation pour le père de la relation entre sa fille et Hector, avec la valse amoureuse de Suzanne : « Un soir, nous nous rencontrâmes chez ma tante dans un bal ».

Sémillant, le définissant bien, c’est ensuite le premier air de Favart (numéro 3 de la partition) : « Et gai, gai, gai, c’est ma devise, je ne suis pas un savant, mon seul désir c’est qu’on dise, Favart, Favart est un bon vivant ! ».

Voici le premier air de Madame Favart déguisée après s’être enfuie du couvent. Elle va retrouver son mari caché dans la cave de Biscotin. Le 6/8, « Je suis la petite vielleuse, qui va courant par les chemins… » est suivi par La Ronde et Chœur (numéro 6) de Justine Favart qui est un des sommets de la partition (le seul d’ailleurs à avoir gardé une certaine résonance dans les mémoires) : « Ma mère aux vignes m’envoyit, aux vignes m’envoyit, je n’sais comment çà s’fit… ».

Le 6/4 du numéro 7 de l’œuvre, intitulé Trio de l’enlèvement détaillé par Suzanne : « Rien de plus charmant, qu’un enlèvement, de suite çà fait un terrible effet… » se révèle plein d’élan et de suavité. Suzanne, elle encore, nous enchante avec sa requête attendrissante adressée à son père, dans le final de l’acte premier. Final (no 8) qui se clôt vivement dans une strette galop dont Offenbach possède le secret, mais qui, ici, n’est pas sans me faire penser à  « Mes amis, écoutez l’histoire… » du Postillon de Longjumeau d’Adolphe Adam.

 

Acte II.

 

Le bref entracte qui ouvre l’acte 2 m’était inconnu. C’est une charmante reprise pour vents et cuivres de la célèbre ronde de madame Favart. Hector déclare sa flamme pour Suzanne dans sa romance (numéro 9 de la partition). La page suivante est, à mon sens, un autre sommet de cet ouvrage. Cette Chanson de l’Échaudé (no 10), qui décrit un biscuit qui a bonne mine mais qui est creux, si typique du style du maître. Pas d’applaudissements pour ce joyau qui définit si bien notre actuel président et sa troupe de saltimbanques véreux : « … Chacun dit : la belle mine ! C’est un gâteau sérieux ! Mais pour peu qu’on l’examine, on s’aperçoit qu’il est creux. Bien des gens dans notre France, ainsi peuvent se juger, tout pleins de leur importance, vous les voyez se gonfler. Mettez-les dans la balance, c’est léger, léger, léger, léger, léger, léger… ».

Puis, viennent le Chœur et les couplets des aïeux (numéro 11). Eric Huchet est excellent dans le rôle de vieux barbon libidineux et corrompu incarné par le Marquis de Pontsablé et détaille martialement (un peu comme le fait le Général Boum à l’acte premier de La Grande Duchesse de Gérolstein) sa devise : « Par respect pour ma famille, je fais comme mes aïeux ». Il aurait mérité d’être applaudi pour la clarté de sa ligne vocale et son jeu.

Le Quatuor (no 12) qui suit, met en scène les deux couples et leurs craintes d’être embastillés ou de se retrouver au couvent.

L’Ensemble de la sonnette (numéro 13) nous montre un mari jaloux, travesti en chef de cuisine, avec ses marmitons et ses pâtissiers, trouble-fêtes à souhait, s’invitant, à deux reprises, au son de la petite sonnette de Favart devenu domestique du lieutenant de police et censé avertir le marquis de toute intrusion qui pourrait gêner ses plans de séduction de celle qu’il croit être l’épouse d’Hector (il n’a jamais vu ce dernier), mais qui est en réalité celle qui était venue solliciter le poste pour Hector, Justine Favart. Le vieux barbon en sera pour ses frais et se trouvera déconfit !

Avec un nouveau déguisement qui a mis le public en délire, Justine devient la Douairière, tante d’Hector, la comtesse de Boispréau qui l’avait reconnue lors d’une précédente visite chez son neveu et dénoncée au marquis de Pontsablé. Le Menuet et surtout le Rondeau de la vieille est le joyau de cette partition, égrainant les saisons de la vie. Offenbach est lui-même arrivé à l’hiver de la sienne (il a moins de deux années encore à vivre) ; cette page comme le numéro 22 de Belle Lurette[5] (3 actes dont la création aura lieu quelques jours après sa disparition, fin octobre 1880, au Théâtre de La Renaissance) sont symboliques des adieux du compositeur à son public. Et pourtant pas d’applaudissements non plus à la fin de cette page émouvante que Marie-Annick a tout de suite remarquée pour sa subtilité.

La vraie comtesse apparaît et déclare que Justine Favart se cache sous un habit de servante, si bien que le marquis fait arrêter par erreur Suzanne (Justine Favart passant à ses yeux pour l’épouse d’Hector) et Favart.

C’est le finale très martial de l’acte 2 : « Après la guerre, le militaire aime à s’offrir quelque plaisir. Là sous la tente, on rit, on chante… », un autre des « tubes » de cette partition, une mélodie qui s’incruste avec une certaine insistance, bien au-delà du final !

 

En dehors des applaudissements à chaque fin d’acte, aucun morceau ne le fut. Voilà qui va changer avec l’acte III qui, je dois l’avouer, m’était presque entièrement inconnu.

 

Acte III.

 

Il va appartenir à Madame Favart de trouver une sortie à cet imbroglio et tenter d’éviter la prison à son mari et à ses amis.

Je ne me souviens pas avoir entendu l’entracte du troisième acte. Bien entendu, comme nous nous trouvons dans le camp du Maréchal de Saxe, l’Introduction (no 16) est toute militaire avec les petits fifres, les vivandières et les trompettes.

Charles-Simon Favart s’épanche amoureusement sur l’absence de son épouse dans une romance : « Quand il cherche dans sa cervelle, pour parler la langue des dieux ». Le numéro 18 de la partition intitulé Chœur et Tyrolienne eu les faveurs du public. Il est vrai que le maestro y excelle et nous en aura donné un certain nombre tout au long de ses compositions. Elles sont toutes savoureuses et enchantent le public. Viennent ensuite les Couplets piquants entre Hector, jaloux encore et toujours, et Justine, qui démontrent que soixante-mille hommes de garnison représentent moins de danger qu’un seul, très entreprenant, comme nous le vîmes à l’acte précédent avec le marquis de Ponsablé.

Madame Favart nous raconte dans son Air au numéro 20, son émotion lorsqu’elle s’est présentée devant le roi Louis XV, lui avouant leurs ennuis, les pressions du marquis. Le roi s’en montrant fort amusé.

Le Chœur et Duo suivant nous montre un Favart inquiet, tremblant d’effroi devant le sort qui pourrait lui être réservé.

Mais la gerbe de fleurs remise, de la part du roi à Madame Favart va rassurer tout le monde sauf le marquis de Ponsablé mis à la retraite d’office alors que le privilège du théâtre de l’Opéra Comique échoie au génial créateur qu’est Charles-Simon Favart. J’imagine que Jacques Offenbach se projetait, sans doute, dans la situation de Favart en écrivant cette page. Régner à l’Opéra Comique ! Son rêve de toujours qui va se réaliser quatre mois après sa disparition lors de la création triomphale de ses Contes d’Hoffmann. Le Chœur (numéro 22 de la partition) fête le couple Favart, exemple idéal d’une union artistique et sentimentale dans la France du XVIIIe siècle. Victoire obtenue par Justine. Toujours la femme triomphe, comme dans chaque œuvre d’Offenbach. À l’impossible, là où les dieux et les hommes épuisent leurs forces, la femme y atteint !

Un bref finale clôt joyeusement la pièce, en reprenant les airs principaux des deux premiers actes.

 
 
 
Troupe de l’Opéra Comique
 
 

 

 

Nous venions d’assister à Madame Favart dans la mise en scène de l’Opéra Comique de Paris réalisée par Anne Kessler. Laurent Campellone, pendant deux heures et demie, assurait la direction de l’ouvrage en respectant la partition, ce qui mérite d’être souligné.

Marion Lebègue (mezzo-soprano) incarnait un peu difficilement Madame Favart (elle aurait mieux eut le profil de Boulotte dans Barbe-Bleue, sauf qu’il y faut encore plus d’abattage face à son monstre d’époux. Elle était la moins audible du plateau). Le reste de la distribution était très satisfaisant et même excellent avec Anne-Catherine Gillet dans le rôle de Suzanne (Soprano), Christian Helmer était Charles-Simon Favart (baryton), François Rougier jouait Hector de Boispréau (ténor), Raphaël Brémard (Sergent Larose, ténor), Lionel Peintre (Biscotin, baryton). Éric Huchet, ténor, incarnait superbement le Marquis de Pontsablé et l’admirable – quelle diction ! – Franck Leguérinel (baryton), le Major Cotignac. Le chœur de l’Opéra de limoges était aussi performant vocalement que scéniquement. Nous y avons admiré la jolie silhouette de Véronique.

 

Patrick était revenu nous récupérer après avoir attendu très patiemment plus d’une demi-heure dans la voiture ! De retour dans leur petit paradis, nous prenons un verre avec l’artiste qui nous avait rejoints.

 

Nous ferons le voyage de retour à la nuit tombante, puis nuit noire, non sans averses, heureux d’avoir pu voir une des dernières œuvres de celui qui occupe mon cœur depuis l’âge de 15 ans et qui m’aura accompagné fidèlement tout au long des années, dans les moments les plus sombres, comme dans les plus festifs et heureux. Certains se souviennent encore des fêtes au jardin auxquelles je l’associais naturellement, de grand cœur. Ce n’était certes pas du goût de tout le monde, mais c’est ainsi que cela se fit ! J’étais prince en mon royaume et Jacques Offenbach y était couronné et adoré.

 

Comment ne pas exprimer notre gratitude à Patrick et Véronique pour leur accueil, leur gentillesse, mais encore à Pierrette et Jean-Pierre, qui osèrent en pleine tourmente atmosphérique, ce voyage qui s’avérait téméraire et auquel, seul, j’aurais renoncé. J’ai compris que mes cousins, qui ne furent pas empaillés comme je le fus par d’infinies protections, habitués à l’adversité et à la lutte, ne s’en laissent pas compter et résistent naturellement aux obstacles qui me mettent en rage. Je n’étais pas fâché non plus, grâce à leur vaillance, d’avoir pu pisser au cul de Dieu, la joie de ma vieillesse !

 

Ce voyage avait cependant un prix pour mes cousins. Peu après leur départ de Lembras, l’électricité fut coupée dans tout le secteur et, chose dommageable, ne leur sera rendue que le lendemain lundi en toute fin de matinée ! Et pour autant, je suis certain, malgré tous les soucis qui en découlèrent dans l’urgence (déjà sauver des congélateurs pleins, entre autres soucis), qu’ils n’exprimèrent pas le moindre regret de s’être ainsi enfuis de chez eux en un moment qui pouvait être préjudiciable. Il y a là, une leçon de vie, particulièrement instructive.

 

Le voyage, non pas dans la lune, mais à Limoges, par très gros temps, je n’sais comment çà s’fit, mais çà s’fit ! Et pour plusieurs raisons, c’était jubilatoire ! Merci à ceux à qui nous devons cette journée à marquer d’une pierre blanche ! ♦

 

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[1] Émile Zola, dans Le Voltaire, article du 13 août 1878 repris dans Le Naturalisme au théâtre. Cité par Jean-Claude Yon dans sa biographie du compositeur (voir note n° 2).

[2] Jean-Claude Yon, Jacques Offenbach, Biographies nrf Gallimard, Paris, 2000, p. 587.

[3] La Camargo, Opéra-comique en 3 actes de Charles Lecocq (1832-1918), sur un livret d’Eugène Leterrier et Albert Vanlooo, représenté le 20 novembre 1878, au Théâtre de la Renaissance.

[4] Revue du monde musical, n° 1 du 4 janvier 1879, critique de Madame Favart par Léon léon Kerst. Cité par Jean-Claude Yon dans sa biographie (voir note 2).

[5] Belle Lurette (1880), numéro 22 de la partition : « On s’amuse, on applaudit/pendant que dure la pièce/Et puis le rideau se baisse/Et quelqu’un vint qui vous dit :/Demain affiches nouvelles,/ Aujourd’hui plus rien à voir/Adieu, les amis, adieu bonsoir/On va souffler les chandelles. »