Textes des décennies 2000-2010

     
     
     
   
     
     
     
     

 

 

Mercredi 27 janvier 2000

 
 
 

Champs brunis, émeraude délavée, campagne hibernante de janvier.

Dur et coupant, le vent du nord.

Éteignoirs invitant la morosité pour compagne.

 
 

Accueillons-là puisque c’est son jour de visite.

Faisons-lui place en nos humeurs maussades.

Juste pour le plaisir de ne pas sourire avec exactitude.

 
 

Savourons cette manière de dire merde aux éléments…

Mais encore à un dieu dément, aux politiques matés.

Exprimons notre morgue avec jubilation.

 
 

Quelle soit ronde exaltée, furioso d’un carnaval privé.

Danserie maléfique à l’œil noir et vindicatif

Gifle acérée autant que le tranchant du rasoir.

 
 

Tête noire à chapeau, comme une vieille résurgence d’amis,

Les revoici 40 années moins loin, lui et sa Luce,

Lorgnant d’un œil désabusé les programmes du ciné.

 
 

Une oie des villes avance en dandinant derrière un landau.

On ne sort pas les mouflets par ce temps,

Ça leur pique le nez, ils vont éternuer.

 
 

La lumière glacée de 4 heures coiffe son dôme,

Kiosque-simulacre, ton vert bouteille ne démérite pas.

La mode est au noir cette année, la police municipale n’y fera rien.

 
 
 

 
 
 

L’Atelier de Pablo

 

22 août 2006

 
 
 

Au déclin de la force

Un feu très sombre déambule.

Paul Eluard, Après moi le sommeil[1]

 
 
 

D’un temps qui fut mien, antérieur de plus de dix ans, Pablo avait quinze ans. Il incarnait le fils idéal, l’enfant roi. Des éloignements intervinrent, sans que notre naturelle complicité en soit perdue ni même estompée. Il est des êtres qui se comprennent sans avoir à dire, les regards y suffisent.

 

 

À vingt-sept ans aujourd’hui, je le retrouve avec la même fraîcheur d’âme, celle d’un autre Gémeaux. Cela fait quelques années que j’observe son travail de peintre avec curiosité d’abord, maintenant avec attention. L’enfant magique n’a pas disparu, il se fait sensiblement Homme, fouillant l’essence de nos silences. À travers les regards de ses personnages, on le devine cherchant à pénétrer les cœurs, s’ingéniant à découvrir nos univers de rêves suspendus, filants ou perdus.

 

 

Pour la première fois, il donne une incarnation aux objets, aux choses. Ce phénomène de maturation m’aura inlassablement happé ; vrai déjà dans le dessin de son atelier qui nous accueille sur son site (www.atelierdepablo.com), vrai encore dans sa vue de la gare de Périgueux et de sa passerelle — unique tableau sans personnage —, vieille gare qui nous pleure son abandon.

 

 

Le Dernier Voyage, œuvre tragique, réaliste et poétique exprime par son contexte, par les choses, l’angoisse, la déroute humaine. De la capture du regard naquit mon émotion, forte, âpre. Arrivé au seuil des soixante ans, nul n’ignore la précarité de ses voyages, même sans deviner lequel sera l’ultime. « J’entrai dans cet état qui joue sa fin[2]. », nous confie Eluard.

 

 

Comment un si jeune homme passant en voiture sur les quais, à Bordeaux, a-t-il eu, en apercevant le vieil homme cheminer avec son sac sur le dos, l’impératif désir de fixer ce moment de vie en fuite ? Dans cette œuvre tout concourt, et ce me semble neuf chez cet artiste, à exprimer la fin, sa tragédie, l’amertume qui l’imprègne. Fado, dont dès lors Pablo est porteur au tréfonds. De ses origines lui advient cette poésie ineffable faite de tendresse pour l’humain et de mélancolie face à sa tragique destinée — et devant ce tableau, nous l’observons, nous la partageons, nous la subissons.

 

 

Éternels vagabonds, du moins tant que nous sommes en vie.

Mais le monde est peuplé d’objets. Sur ses rivages, leur foule infinie, leur collection nous apparaît, certes, plutôt indistincte et floue[3].

 

 

Il faut un regard d’Homme au sens plein ou d’un poète pour dire ainsi avec une économie de touches et de couleurs, l’aventure de l’ultime voyage. La passerelle symbolise au-dessus du voyageur le chemin de vie. Ne sont visibles ni son début ni sa fin, lui donnant ainsi le sens d’un long parcours ; la régularité répétitive de sa forme pourrait exprimer une impression d’immobilité, de permanence, d’infini. L’attitude tirée vers l’avant du personnage malgré un sac un peu lourd à porter incarne le mouvement, un temps du voyage. Sous la passerelle à droite, un bloc dense et abstrait exprime le poids et l’ampleur du vécu, où seul un petit espace de lumière vient signifier le temps restant à parcourir. L’expression de fatigue, de lassitude, d’angoisse du voyageur est exprimée dans le flou des formes de gauche, instables et incertaines. Le décor ici nous conte son désarroi intérieur, sa conscience du temps expiré, la fin de son voyage terrestre.

 

Et voici un jeune artiste qui en a été saisi en un instantané et qui nous le livre avec toute la ferveur de son art. « Le poète supérieur dit ce qu’il ressent vraiment[4]… ». « L’art, en somme, est l’expression harmonieuse de la conscience que nous avons des sensations, autrement dit nos sensations doivent être exprimées de telle sorte qu’elles créent un objet qui deviendra pour d’autres une sensation.[5] » □

 

 


[1] Paul Eluard, Après moi le sommeil in Œuvres complètes, (Paris, Gallimard, La Pléiade, 1968).

[2] Paul Eluard, Ibid.

[3] Francis Ponge, L’Objet, c’est la poétique in Nouveau Recueil, (Gallimard) et Marcel Spada, Francis Ponge (Paris : Seghers, Poètes d’aujourd’hui, 1974, n ° 220, p. 148).

[4] Fernando Pessoa, A. de Campos, Note au petit bonheur, in Fernando Pessoa, fragments d’un voyage immobile (Paris, Éditions Rivages, Petite Bibliothèque, 1990)

[5] Fernando Pessoa, lettre à un éditeur anglais (1916), ibid.

 
 
 

 
 
 

Comme un soir d’été

 

23 avril 2009

 
 
 

Sur les toits de Périgueux, Émilie, elfe chaussé d’or, devant un aréopage charmé.

 

Que dansent nos esprits sur la coupole de la Cité et s’envolent au-dessus des collines s’habillant de la vaste palette des verts qui n’appartiennent qu’au printemps.

 

Andrée, la belle et souriante centenaire avait gravi les marches du palais, la très charmante Jeanne, prisonnière en sa tour à l’ouest de la ville, s’en était envolée pour cette soirée. Avec une heureuse vivacité, Arlette nous rejoignait pour la première fois.

 

L’admirable Amoureuse de Jean Chalon en avant-première, Maria, Elvire et Edwidge ressuscitées par la magie d’un troubadour exquis, Claude Véga, Maria Rémusat avec sa Tamise et son jardin… toutes les merveilleuses découvertes de ce petit-fils du président René Coty.

 

Benoit qui met Les pieds dans l’eau, et même parfois dans les plats lorsque soudain il plonge le bourgeois bienséant dans l’océan ou le roule sur les galets. Écrivain, musicologue qui adore les boîtes à souvenir et les cartes postales sépia. Étretat nous réunit autour de la Villa Orphée de l’impertinent monsieur Offenbach.

 

Avant de se quitter, cidre doux, clafoutis de pommes « fait main » et macarons firent nos délices.

 

À la tombée du jour, je survolais les rues tranquilles de la ville pour rejoindre la maison des bois.

 
 
 

 
 
 

Les saints de glace

 

29 avril 2009

 
 
 

On voudrait bien vous mettre dehors messieurs, sous votre pluie morose.

 

Saints, épiciers des chapelles innombrables, souverains pontifes… valetaille du seul enfer, bonnes âmes zélées à ternir notre droit naturel au soleil, ce qu’est bien la simple vie non obstruée par une ribambelle de fariboles qui ont continuellement mis et continuent de mettre le monde à feu et à sang et nos esprits à genoux devant d’immondes absurdités.

 

Juste pour rien, sauf le plaisir de dominer ! Et une très improbable promesse — dieu soit loué ! — d’avenir meilleur… réservée aux serviles…

Sots et misérables disciples de la peur.

Allons droit au but et reconnaissons en elle, notre seule et unique déesse, celle qui nous tient à sa merci.

 

L’ami José signe son beau Périgord. Un Périgord aimé et rêvé, choyé par ses pinceaux trempés dans nos couleurs, celle du pays où il fait bon vivre.

Cela nous devrait suffire dirait notre coreligionnaire Montaigne.

 

Carpe diem. □

 
 
 

 
 
 

Journal d’automne-hiver 2009

 
 
 

 

 

Pensées pour moi tout seul

 
 
 

Brume et douceur pour avancer dans un décor idéal d’automne.

Le frémissement du feuillage d’un bosquet de charmes me fit croire à une averse de pluie sous ce ciel gris et ouateux. Il n’y eut, au final, qu’une pluie de feuilles détachées par la modeste brise du déclin de saison.

Une ronce courbée au sol avait pris de rutilantes couleurs, comme pour s’excuser de n’être que méchante vivace des bords de chemins.

 

Je songeais à ces deux films que je découvrais hier et avant-hier, Cinq pièces faciles et Easy rider. Jack Nicholson ne manqua pas de me faire songer à Mathieu, même sourire d’enfer.

La nature de Mathieu tient plus cependant du charme pacifique et abandonné de Peter Fonda.

Même goût pour la liberté d’une vie non assujettie aux conventions bourgeoises ou à la stupidité exécrable de l’homme privé d’intelligence.

La violence des propos tenus sur les héros de ce film exceptionnel, lors de leur passage dans un bar, sur leur trajectoire par ailleurs si fluide – on y respire à pleins poumons le grand large des paysages – s’achèvera par une rossée de nuit, mortelle pour l’un. Cet acte exprime tout ce que notre frustration de n’être que de misérables bêtes serviles peut nous conduire à faire : un meurtre gratuit et abject se reproduisant sur les deux autres protagonistes de cette mémorable équipée.

Pendant la traversée des espaces d’une Amérique belle et hargneuse, je songeais au Chant de la grand-route de Whitman !

 

Quelle serait ma déconvenue si l’on parvenait à faire entrer dans le rang, à ‘conformiser’ Mathieu pour qu’il ne soit plus cet être qui plane au-dessus de la horde malsaine. Easy rider m’a surpris et émerveillé, comme je suis fasciné par le mouvement de liberté inaltérable émanant de la manière d’être de Mathieu. Est-il l’attendu Homme du Verseau ou bien le Sur-Homme de Nietzsche ?

Il voudra être le second, j’imagine.

 

Parfois nous arrivons à croire que nous pourrions nous libérer, rejeter le joug de toutes les violences sourdes qui nous assaillent…

Reste que de côtoyer ce joyau de la création est un privilège, dont j’ai claire conscience ce qui génère en moi, fait trop rare, un sentiment de gratitude envers la vie qui m’apparaît sinon sordide. □

 
 
 

1er novembre 2009

 
 
 

Les misérables laissent faire les puissants, avoue Démocrite par la voix de Michel Onfray. Mais si par exception, ils en viennent à leur briser les dents, ils seront condamnés pour violence.

 

Alors que les puissants méprisants, obscènes et répugnants sont des anges déguisés en salopards !

 

Mais nous l’avions deviné ! C’est pour cela d’ailleurs que nous sommes parfaitement soumis et lâches.

 

Le philosophe le reconnaît : mettre un terme à ces crimes de l’indifférence ne concerne personne, les imiter et prendre leur place séduit tout le monde.

Peut-être alors que les victimes sont-elles assez pitoyables pour mériter leur indécent destin ? □

 
 
 

6 novembre 2009

 
 
 

Une vieille punaise sonne à la maison.

 

En communication avec un brave parmi les braves – un inoffensif, diraient les malins – elle eut tout son temps pour secréter son message venimeux aux odeurs surannées et malveillantes.

 

« Merci pour cette merveilleuse journée… enfin merci à… l’autre… ».

L’autre est cette tourterelle qui sert de chauffeur à l’ancienne colonelle déchue !

 

Que reste-t-il à une vieille punaise ?

De s’écraser en puant comme elle vécut, en méprisant tout ! □

 
 
 

6 novembre 2009

 
 
 

 

La lumière affleurante d’automne muri de chaleur buissons et bosquet, vallons et sillons. La nostalgie des beaux jours revêt la nature déclinante d’une divine mélancolie.

 

Dehors : les dogmes, les conventions, le quand-dira-t-on ; dedans : l’Insight’ qui éclaire celui qui se trouve. □

 
 
 

9 novembre 2009

 
 
 

Morosité à devoir traverser le couloir aux grisailles vaticanes où un officiant laïque affecté au seul culte d’un soi déchu – sombre réminiscence des heures honteuses de Vichy – arbore une fausse courtoisie.

Fermente là une « brandade » que rien n’arrête sur le chemin de l’escalade et de la déglutition.

D’autres s’essayant en vain à se situer…

 

D’un couloir l’autre, cheminer à ses côtés – peu de mots, quelques sourires – dit le contraire. Je me vois vulnérable, mais rassuré à côté d’un Guy Moquet, d’un Jean Moulin ou d’un Roger Ranoux. Il a un camarade, incisif et maladroit, mais solide, propre et digne pour tous les autres…

 

Toute la diversité de ce monde, où en un silence parfois grinçant se côtoient l’immonde et le divin.

 

Traverser l’enfer de toutes les fausses bonnes intentions et des manœuvres perverses n’est rien si l’on sait – que même sans victoire – le juste existe, avec altérité, en peu de mots, mais haute stature.

 

Je pense à toi Yvan Crespin en ce dimanche matin, toi le premier que j’aperçus de cette race immuablement transparente et fière qui m’impressionna tant, à mes débuts, pour ne plus jamais me quitter. Aujourd’hui, je suis dans ton camp tout entier.

Alors s’il est une grâce qu’elle te soit rendue ! □

 
 
 

 

Dimanche 22 novembre 2009

 
 
 

  À cet endroit où deux vallons se croisent, le vert des pins contraste avec la rousseur des feuillages demeurant, d’autres ramures libres de tout feuillage, annoncent la grisaille de l’hiver, alors que les prairies encore verdoyantes accueillent au premier plan un chêne entièrement recouvert de la verdure d’un lierre. Un rayon illuminait le flan de la forêt, les meules de foin entassées pour l’hiver, des coqs à la crête rouge de colère fuyaient devant moi en alertant leur harde du passage d’un intrus.

 

Avec lui, j’avais cru trouver un fils idéal, or il connait le chemin et vous le montre, sans appuyer.

 

Le vent se leva, le soleil disparut et nous étions bien dans la mornitude de la fin de novembre. □

 
 
 

 
 
 

Mardi 16 février 2010

 
 
 

Le bosquet des peupliers immaculés de givre sur toute leur hauteur austère observait les vallonnements exquis et lactescents. Ultime nuit d’hiver.

Sous ce linceul de virginité, sourd et silencieux, une formidable désintégration de cette implacable hégémonie des persistantes rigueurs de la sépulcrale saison.

 

Les blessures se veulent abondantes comme une mauvaise récolte.

J’irais pleurer en silence dans le confessionnal d’aucun dieu. Race de vipère que je hais pour sa conduite fidèle à l’indifférence et à la cruauté ; dieu du Salo de Pier Paolo Pasolini, nous usant et nous mutilant dans l’infamie de ses douves.

Le vent me consolera de vos mauvaisetés insipides et constantes.

 

J’aurais pu vivre dans le vertige de Bright Star, mais la mort l’emporte sur la virginité de l’amour, mort qui aurait pu aussi être mienne, à l’âge des communiants. John Keats est parti à 25 ans avec, comme Rimbaud auquel il ressemble, d’immortels poèmes en héritage !

Toute une vie de poésie… l’amour fou en faisait partie.

 

Bien avant l’aube, les mystères du Quintette avec piano, premier opus de Marie Alexis de Castillon de Saint-Victor me remis, par ses suaves épanchements, dans les bras de Morphée, pour une heure de mieux. □

 

 
 
 

 
 
 

L’homme filant

 
 
 

30 septembre 2010

 
 
 

 

Zuzézinho tombe de l’immeuble ! C’est tout l’art de Mia Couto de nous conter pareille fable poéticosurréaliste ! « l’homme était tombant ? Ce gérondif désobéissait aux graves lois de la gravité : qui tombe est déjà tombé1… ».

 

Zuzé, il fallut se rendre à l’évidence planait dans l’air au-dessus de la ville attroupée ! « C’était sans doute dû à son existence nette qui lui donnait la légèreté requise. S’il avait été un politicien, il se serait aussitôt écrasé la gueule la première sous le poids de sa conscience2 ».

 

Ce n’était bien sûr qu’un rêve, celui de la jeune fille qui aime Zuzé, rêve partagé avec l’auteur qui est son ami : « Nous n’avions qu’à laisser voler Zuzé, il n’avait déjà plus d’endroit où tomber. Dans ce monde, il n’y a pas de refuge pour les oiseaux de ce genre. Là où il se trouve, c’est un autre ciel3 ».

 

Mon ami Bernard Novembre aurait dit « laissons tomber, la cause humaine est perdue. Nous aurons un jour les ruines que nous méritons ! » Nous zigzaguions hier sous le tiède soleil d’automne aux milieux des hydrangeas somptueux, bien qu’en terrain hostile. Ce miracle résulte des soins généreux que leur prodigue mon ami. Les tons roses et bleus égayent la base des lances souveraines, d’un vert brillant, des bambous.

 

« Terre d’Escoire », discrète clairière où s’écoulent des jours de quiétude lorsque le casque névralgique ne se fait pas prison. Luce veille avec une tendresse amoureuse sur cet espace qui échappe à la lourde gravité de notre monde désenchanté.

 

En quittant cet univers magique où encore en songeant à Cyrielle et Mathieu, deux lianes enlacées, je rêve qu’il reste à ce monde l’espoir de la beauté et de l’authenticité. □

 

1 Mia Couto, Le fil des Missangas (Paris : Éditions Chandeigne – Librairie Portugaise, 2010), p. 13s. L’homme filant est la seconde nouvelle de ce recueil en comprenant 29.

2 Ibid., p. 14.

3 Ibid., p. 18.