Sur les chemins de Sainte-Victoire

Sur les chemins de Sainte-Victoire

samedi 18 avril 2009

Révision du 5 mars 2019

 
 
 
   

Paul Cézanne, La Sainte-Victoire

 
 
 

L’exemplaire que je reçois aujourd’hui 5 mars 2019 est la version des Éditions de Fallois de 2002. Ce n’est donc pas celle parue chez Juillard en 1987, que m’avait prêtée

mon amie Émilie Dalençon et qui m’avait inspiré ce texte. J’ai révisé les références des notes à partir de l’édition de Fallois.

Cet ouvrage est une méditation sur la vie, sur le temps qui passe

en compagnie d’une personnalité hors-normes.

 
 
 
 

Aujourd’hui j’ai marché sous les traversées chaudes du soleil et dans la fraîcheur de l’air sous la couverture nuageuse. Humeurs changeantes d’avril. J’écoute un extrait des entretiens qu’accordait, en 1957, l’écrivain Pierre Benoit à Paul Guimard et quelques pages du vivifiant et méditatif ouvrage de Jacqueline de Romilly, Sur les chemins de Sainte-Victoire. Pour ma mère j’avais fait l’acquisition de cette version lue sur CD MP3. Émilie, amoureuse de ces Chemins de Sainte-Victoire, m’a laissé pour un temps un bel exemplaire de la version papier parue chez Julliard, en 1987.

 

Le chapitre II, « La montée des terres rouges » m’inspire de très similaires réflexions lorsque je chemine sur les hauteurs de mon plateau à la belle saison, le regard simplement en éveil, n’écoutant que mes sensations : « Mais voilà qu’à évoquer ces bonheurs ou ces griseries, je suis prise d’un scrupule. Peut-on ainsi décrire des joies solitaires sans éprouver un doute et sans se demander si elles ne relèvent pas de quelque terrible égoïsme ? Je me promène, ravie, entre les branches ; et partout , des gens sont malheureux ; ils souffrent ; ils se déchirent ; ils sont tristes. Est-ce donc une façon de vivre que de rejeter tout ce fardeau de peines pour savourer ces joies fragiles1 ? »

 

« … Mes promenades m’apportent, à leur manière, un soutien de même nature. Elles me permettent de résister au poids de ces souffrances. Je ne parle pas des miennes : elles sont, passé un certain âge, sans importance et comme abolies. Mais avouons-le : peut-être n’aurais-je pas réussi à les abolir de la sorte si je n’avais trouvé et cultivé, au cours de ces marches, la certitude que donnent des joies à la portée de tous, et déjà, en elles-mêmes, transcendantes.

 

Oui, mes promenades sont égoïstes. Mais elles sont aussi une façon de sortir de moi-même, de regarder plus haut et plus loin. Les grands espaces vous ouvrent le cœur ; et le silence met les choses en place. Si bien que ces marches développent en moi une sorte d’ouverture, qui me donne envie de serrer contre mon cœur ceux qui sont, comme moi, de pauvres humains2. »

 

« L’égoïsme de la promenade est un détour vers l’altruisme3. »

 

Dans l’ultime chapitre de ce livre tonique et intelligent, « Aller et retour », elle nous confie : « Il est si rare de vraiment voir ! Je n’ai jamais beaucoup pratiqué la photographie… si j’emportais un appareil, c’était pour apprendre à regarder… J’apprenais ainsi à voir tout ce que la photographie perdait. Mais la venue de l’âge l’enseigne mieux encore. Elle a doublé mon attention, ma joie et jusqu’à la fierté de pouvoir encore m’en aller ainsi librement. Avec l’âge s’est épanouie ma faculté d’émerveillement4. »

 

Réflexions concordantes donc, et salutaires. L’étreinte et le rétrécissement du temps qu’impose la vieillesse, voit s’en intensifier simultanément le goût et la force, compensant en cela la dissolution qu’autorisait l’incommensurable espace qui semblait s’ouvrir devant notre jeunesse. « Serait-ce donc seulement que l’on oublie de vivre quand on croit avoir, pour cela, du temps ? Serait-ce que l’on n’apprécie bien que ce que l’on sent prêt à bientôt vous échapper5  ? » ♦

 
__________________________

1 Jacqueline de Romilly, Sur les chemins de Sainte-Victoire, Paris, Éditions de Fallois, 2002, p. 56.

2 Jacqueline de Romilly, Sur les chemins de Sainte-Victoire, Paris, Éditions de Fallois, 2002, p. 57-58.

3 Jacqueline de Romilly, Sur les chemins de Sainte-Victoire, Paris, Éditions de Fallois, 2002, p. 59.

4 Jacqueline de Romilly, Sur les chemins de Sainte-Victoire, Paris, Éditions de Fallois, 2002, p. 183.

5 Jacqueline de Romilly, Sur les chemins de Sainte-Victoire, Paris, Éditions de Fallois, 2002, p. 185.