L’esprit bourgeois
J’appelle bourgeois
quiconque renonce à soi-même
novembre 2016, révisé 29 mai 2019
C’est un homme de droite, un temps proche de l’Action Française, catholique fervent, royaliste, l’écrivain Georges Bernanos, qui nous fait réfléchir sur un confort qui ruine tout idéal social ! Je l’avais cité dans le texte de présentation du troisième volet du Devoir de résistance[1] consacré à Roger Ranoux[2].
« Il en est peu d’entre nous qui n’aient été tentés à un moment donné de prendre, pour la paix de leur conscience, le confort et la sécurité de leur derrière. »[3]
Ainsi s’explique la « lenteur désolante du développement historique de l’humanité. » [4]
Si Léon Jouhaud[5] évoquait les « conscients » et les « inconscients », les obstacles à la liberté ont pour noms : ignorance, peur, égoïsme et mauvaise foi. Chacun de nous a une conscience au moins parcellaire des inégalités sociales criantes, des injustices gratuites et honteuses, mais nous sommes tellement préoccupés par nos petits privilèges personnels acquis ou en visée que nous renonçons en pleutres, timorés, égoïstes exemplaires que nous sommes, à nous indigner et, à plus forte raison, à nous engager dans la lutte que nous pressentons pourtant légitime. Nous sommes ainsi parfaitement dignes de la définition du « petit homme » cible de Wilhelm Reich[6]. Alors qu’il conviendrait, pour ne pas être classé au rang des larves “vichystes”, de cesser de voter pour soi-même et son petit ego mesquin.
Cet après-midi, avec une amie, nous discourions de cette gifle donnée par Georges Bernanos à nos conforts mesquins, en y associant cette réflexion redoutable du poète Léon-Paul Fargue[7] qui porte chacun de nous à réfléchir à la manière dont non pas nous devenons bourgeois – il y faut beaucoup de rapacité et d’usurpations –, mais comment nous sommes instinctivement aspirés par ce qu’il convient de nommer “l’esprit bourgeois” !
« J’appelle bourgeois quiconque renonce à soi-même, au combat et à l’amour, pour sa sécurité… »[8]
Et de nous interroger pour savoir si nous avons vraiment renoncé à tout ce qui conduit à être aspiré par cet état de déchéance intérieure, cancer de toute une société ! ♦
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[1] Roger RANOUX, « La lutte finale : Été 1944-2007 », Le Devoir de résistance (Document sonore, troisième partie), Montrem, Les Amis de la musique française, 2009. « La lutte finale, c’est aussi le travail de mémoire et l’invitation de notre jeunesse à un combat citoyen », Roger Ranoux.
[2] Roger RANOUX, né en 1921, importante figure de la Résistance en Dordogne sous le nom d’Hercule, secrétaire fédéral du PCF de Dordogne de 1947 à 1952, député communiste de 1956 à 1958, maire de Montrem de 1965-1995.
[3] Georges BERNANOS, « Réflexions sur le cas de conscience français », Le lendemain c’est vous !, Paris, Le Livre de poche/Plon, 1969, p. 120. Georges Bernanos (1888-1948), romancier, journaliste, conférencier et pamphlétaire, reçoit une éducation profondément catholique, il adhère au Cercle Proudhon conciliant royalisme et syndicalisme, à l’Action Française dont il s’écartera, prenant des positions courageuses que lui dictent sa sincérité et son humanisme. Il reste célèbre pour ses romans, Sous le soleil de Satan, La Joie, Journal d’un Curé de campagne, Les Grands cimetières sous la lune, Monsieur Ouine… Ses écrits de combat sont souvent prophétiques : Le Scandale de la Vérité, La France contre les robots, La Vérité pour quoi faire ?, Français si vous saviez…
[4] Mikhaïl Aleksandrovitch BAKOUNINE (1814-1876), La révolution libertaire, Pantin, Le Temps des Cerises, 2008, p.151-152. Bakounine est un révolutionnaire, théoricien de l’anarchisme, philosophe qui a analysé le rôle de l’État. Il pose dans ses écrits les fondements du socialisme libertaire.
[5] Léon JOUHAUD, syndicaliste français (1879-1954) de tendance libertaire, secrétaire général de la CGT de 1909 à 1947, puis fondateur et président de la CGT-FO de 1947 à son décès.
[6] Wilhelm REICH, Écoute petit homme !, Paris, Petite Bibliothèque Payot, 2002. Wilhelm Reich (1897-1957), psychiatre, psychanalyste, élève de Freud ; sa notoriété est due à son engagement en faveur de l’émancipation de la satisfaction sexuelle et de ses recherches sur « l’orgone ».
[7] Léon-Paul FARGUE (1876-1947), poète français, inlassable marcheur (Le piéton de Paris), mélancolique à la sensibilité exacerbée, le plus considérable et fascinant propriétaire de mots de la langue française.
[8] Léon-Paul FARGUE, « Il y a… », Suite Familière, Poésies, Paris, Gallimard, Collection Soleil, 1963, p. 255.