‟Le Prat”, chez Paul Rivière & Saint-Crépin-de-Richemont
‟Le Prat”, chez Paul Rivière & Saint-Crépin-de-Richemont
Du samedi 4 mai au mardi 21 mai 2019
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Quel est donc ce bruit, en ce coin de nature ?
La réfection du chemin avait commencé, sans avoir été annoncée, depuis 7h00 du matin !
Pour autant ma cousine Pierrette arrivait de Lembras devant la porte pour me récupérer et nous prîmes le chemin d’Agonac.
C’est un chemin que je connais bien, je le prenais à bicyclette, depuis Chamiers, à 18 ans, en 1965, pour rendre visite à Jackie, fille de nos cousins Arlette et René. Elle gardait les vaches au-dessus de la ferme de Saigne Bœuf. Henri et Marie durent être surpris de me voir m’engager sur un si long parcours avec mes 40 kgs poids plume ! Jentou, fils aîné de Paul, plus jeune que nous, était présent ce jour-là. C’était un an avant la disparition, le 8 mai 1966, du grand-oncle Henri. Jour de terreur où je n’avais encore jamais vu ma grand-mère Clotilde, sa sœur, aussi sombre et bouleversée. Avec le recul j’ai pensé qu’ayant neuf ans de plus que lui, elle avait contribué à lui servir de seconde mère, ainsi qu’à André, plus jeune encore, lorsque sa mère et son père étaient occupés aux travaux des champs, à la métairie ‟Les Volves” du Château de la Côte, sur la commune de Biras.
Jackie nous rejoint depuis ‟Puy Henri”, commune de Brantôme.
Nous évoquons une cabane à outils du grand-oncle André dont je n’avais pas souvenir, nous recherchons l’emplacement, au-dessus du pré où paissaient les vaches et où aujourd’hui il ne serait pas difficile de rouler jusqu’en bas tant la déclivité est conséquente ! Quelques photos avec mes deux cousines, puis nous nous dirigeons vers le village.
Pierrette et Jackie à Saigne Boeuf, Agonac | Alain et Jackie à Saigne Boeuf, Agonac | |
Église et cimetière d’Agonac. Arrivé tout en haut à droite de ce cimetière, je suis instruit que la tombe de notre grand-oncle Henri, homme estimé et respecté de tous, abritait, avant qu’elle y vint reposer en décembre 2007, deux des compagnons ultérieurs de son épouse Marie. Je demeure pantois devant ce tohu-bohu mortuaire, ce night-club sépulcral. Certes, je me suis édifié hors des idées reçues et des conventions, mais là tout de même, sauf à être simplette, ce qui n’a rien d’improbable, Marie assumait le rôle de grande émancipatrice, surtout dans un village traditionnel comme Agonac.
J’en vins à envisager le jour de la Résurrection des morts où tout ce petit monde charmant se lèvera comme un seul homme pour entonner un Alléluia d’action de grâces, exempt de jambes de bois et de cols du fémur en vrille, et que malgré la jeunesse et la vigueur retrouvées de tous les hommes qu’elle connut, elle aura à demeurer chaste et pure le temps du Jugement Dernier. Je crains que contrairement à sa naissance un 15 août 1909, nous assistions non pas à une assomption mais à une descente dans le 5ème sous-sol des états infernaux ! Une punition ? Pas vraiment si on imagine le nombre de damnés masculins, sans oublier le plus légendaire de tous, l’illustre performeur, DSK ! Enfin, l’Eden dont elle n’osait même pas rêver ! La joie d’entrer pour toute éternité dans le feu de l’action…
Place de la Mairie en travaux, la maison des parents Duverneuil qui était devenue celle de leur fille Yvette et de son époux Georget. Une maison où un drame mettait fin, le même jour, à leurs vies. Suicides concertés où décision unilatérale, désespérée ou dégénérative ?
Pierrette disparaît un moment puis réapparaît !
En route pour Eyvirat par la route intérieure au village d’Agonac direction ‟Le Prat”.
Il y a là, juste avant ‟Le Prat”, au lieu dit ‟Le Clou”, une maison, des dépendances, un passif agricole, des chiens aboyeurs et le personnage central de cette expédition Jean-Claude Aunet que les chasseurs surnomment affectueusement ‟Loulou” ! Ce fut sans doute un peu comme la rencontre entre l’écrivain Hermann Hesse et son voisin du Tessin, Mario : « En apparence il (Mario et ici Jean-Claude) est le paysan un peu rustre qui doit forcément considérer l’étranger oisif (Alain Joubert) qui se promène comme un inoffensif parasite[1]. » Parasite, je ne l’étais pas vraiment, mais sans doute inattendu, étranger, en ces lieux encore inconnus de moi. Lui, rustre peut-être car authentique, sans sur ajout ou effet de représentation, simplement lui-même et c’est tout. Les hommes de la campagne étaient comme cela du temps de mes jeunes années et j’en ai connus un grand nombre puisque mes origines plongent toutes dans le milieu paysan ; des paysans pauvres, certains n’eurent jamais de biens propres. Si j’évoque les parents de Jean-Claude, c’est parce qu’ils étaient de ces braves gens, des voisins attentifs. Louis le père qui se faisait appeler Camille et Andrea la mère que chacun, dont la famille Rivière, avait toujours connue sous le prénom de Suzanne.
Suzanne donc, qui le jour du départ de la famille Rivière du ‟Prat”, en septembre 1966, pleurait à chaudes larmes. Paul et Christiane son épouse étaient métayers de leurs oncle et tante. Le décès d’Henri frère du père de Paul, Marcel Rivière, mort assassiné en 1937, annonçait le chemin de croix de celui qui avait toute légitimité pour hériter de ce lieu. Arrivé là en 1956, Paul avait accompli un travail considérable sur cette propriété à l’abandon. C’était on l’imagine sans peine l’héritage de l’arrière-grand-père Jean Rivière et celui d’Henri, son oncle, qui ne pouvant avoir de descendance assumait celle de son frère Marcel, deux de ses enfants sur trois. L’aînée des trois enfants, Andrée, fut prise en charge et éduquée jusqu’à devenir institutrice, par Louis, frère de notre arrière-grand-mère Françoise Parcellier, épouse de Jean Rivière.
La faucheuse de Paul | Le « Prat » aujourd’hui | |
Le paysage du « Prat‘ | La charrette de Paul et sa fille | |
Ma cousine Pierrette, fille de Paul Rivière | Ma cousine Jackie, fille d’Arlette Rivière | |
De Gauche à droite Jackie, Jean-Claude, Pierrette
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Nous fîmes tous les quatre le pèlerinage du ‟Prat”, moi par un chemin détourné pour photographier une vieille faucheuse rouillée qui fut celle qu’utilisait Paul. Le secteur est doucement vallonné et d’une rare poésie, sorte de Toscane ondulante et verdoyante. Le chemin blanc est bordé de chênes, en contrebas une noyeraie plantée il y a soixante ans par Paul. Tout en discourant nous arrivons à la maison qui aujourd’hui appartient à des anglais qui y viennent à la belle saison. C’est une demeure de charme, aux volets bleu charrette. Une ancienne vigne court sur toute la longueur de sa façade. Sur l’esplanade, un énorme tilleul domine ces vallons enchantés qui déjà embaumait lors des mois de juin dans les années 50 et 60. Le vieux four dans une pièce contiguë à la maison servait à cuire la nourriture des cochons, et comme la table n’était pas toujours aussi abondante que cette jeunesse travailleuse avait d’appétit, raves, topinambours, choux-raves, pommes de terre et betteraves servaient d’appoint à cette fratrie ! C’était la vie dure de la campagne. Un poêle avec un immense tuyau chauffait tant bien que mal la chambre des enfants, un lit pour les deux garçons un autre pour les filles. Les toilettes, été comme hiver, de jour comme de nuit, étaient situées dehors ! Une vieille charrette, demeure comme vestige de ces années neuves, jeunes, dures et cependant heureuses. Je fixais avec quelques clichés le souvenir de ce temps béni.
Au retour nous évoquions l’homme si peu providentiel qui avait acquis en viager cette propriété de 52 hectares, par l’entremise semble-t-il de mon propre père. Petit fonctionnaire qui ‒ comme quelques uns de mes charmants collègues roués et profiteurs, usant de leur maigre influence ‒ eut l’outrecuidance d’ajouter à sa confortable rémunération les services gracieux de Jean-Claude, labourant, semant et récoltant pour les beaux yeux d’un marquis quelque peu sadique. En contrepartie libérale du maître de céans, étaient autorisées la cueillette des champignons et la chasse ! En évoquant cette succession imprévue et malvenue, je provoquais l’ire de Jean-Claude qui brusquement, post mortem, chercha querelle au prédateur, défrisant d’un coup, d’un seul, sa sainte mémoire !
Nous ne repartîmes pas sans partager un verre du pineau maison de Jean-Claude, l’élixir fameux de Loulou, célébré par ses amis chasseurs.
Jean Claude dit « Loulou » et sa bouteille de pineau maison |
Cimetière d’Eyvirat. Derrière nous la maison dans laquelle, me disait ma mère, fut élevé par la famille Nouillane, notre arrière-grand-père, Jean Rivière. Le caveau Rivière où reposent nos arrière-grands-parents, leur fille Mathilde décédée à l’âge de 15 ans pour laquelle il fut érigé, leur fils Gaston (1903-1987) et leur petite-fille Arlette (1928-2004).
Une autre tombe dépouillée dans la même allée, à l’autre extrémité, serait celle des mes arrière-grands-parents Lamaud : Jean-Léo et Catherine, née Roussarie.
La tombe de l’ex propriétaire du ‟Prat” arbore cette devise : ‟Vaincre ou mourir” ! Devant l’option qui fut la sienne, allongé sous ce gravier défraîchi nous ne pûmes que vaincre notre dégoût. Deux chrysanthèmes autrefois opulents, aujourd’hui parfaitement desséchés, vinrent orner ce lieu étroit où repose un héros vaincu !
Un déjeuner frugal et délicieux nous attendait chez la charmante Jackie, sur la route d’Angoulême, au lieu dit ‟Puy Henri”. C’est encore Brantôme faisant face à Saint-Crépin-de-Richemont. Jean-Pierre Clément, son époux possédant des notions avancées dans la construction, le couple édifia cette maison imposante, spacieuse et agréable. Chapeau ma cousine et mon très regretté cousin !
L’heure était venue de se rendre à Saint-Crépin-de-Richemont, commune où vécurent jeunes Paul et Christiane, mais surtout où Arlette contracta mariage et vécut donnant naissance à cinq enfants dont je n’ai connu que les deux aînées, Jeannine et Jacqueline, que nous avons toujours appelée Jackie.
Village de Saint-Crépin-de-Richemont |
Le village est d’un grand charme depuis le cimetière accroché à la colline. Dès l’entrée on découvre une tombe Château où repose la belle Élina que l’on voit, en photo, au bras d’André Rivière, lors du baptême de Jeantou, en 1951, devant une maison dont il sera question plus loin. Cette très belle Dame aura eu, après avoir mis ses biens en viager, la plus triste fin de vie que l’on puisse imaginer, enfermée dans sa maison et sans doute maltraitée. Dieu, si Paul et Christiane avaient pu rester là pour s’occuper d’elle ! Ce qui frappe dans ce petit cimetière en pente c’est le nombre incroyable de petites chapelles servant de caveaux, chose usuelle chez les riches, fait plus que surprenant pour un si modeste village. Après avoir vu la tombe Lavit où repose René, le père de Jackie, il suffit de traverser les rangées de tombes assez mal ordonnées pour se trouver devant un caveau royal appartenant aux Prevost de Sensac de Traversay de Laguarigue de Survilliers, vide, mais où s’inscrivent par avance tous les futurs résidents. Un caveau d’une aussi grande classe donne presque envie d’y venir se reposer ! Pour le moment ils investissent châteaux et manoir de la commune, la Barde, Richemont, Saint-Crépin et Plessac.
Nous nous déplaçons jusqu’au caveau où repose mon cousin Jean-Pierre depuis décembre 2013. En voici un que j’aurais vraiment aimé connaître, il avait une tête bien faite et des mains en or. Voici pour moi l’élite française, celle qui tout au long d’une vie, transforme, édifie et embellit. Ce caveau est d’une rare élégance, j’ai rarement vu un sépulcre qui manifeste autant d’amour, d’attention et de fidélité. Il est couvert de fleurs signifiant que l’amour perdure au-delà de la mort. Et j’acquiesce, car en ce lieu repose un homme de grande valeur. À l’arrière de la tombe, la grille en ferronnerie réalisé par le fils, Amédée, est d’une grâce absolue.
Jackie a souhaité nous conduire chez son aînée, la belle Laetitia, dans un hameau à flanc de colline, lieu-dit ‟Chanceland”. Nous y rencontrons Éric, le gendre de notre cousine. J’ai fréquenté quelques fortunés et vu des demeures splendides, mais ici ce fut l’éblouissement devant une restauration somptueuse réalisée par Éric et son beau-père, Jean-Pierre. Un lieu où rivalise à la perfection savoir-faire et bon goût. Résidence de rêve avec vue sur la campagne depuis le jardin et la piscine, surplombant bocages riants et arbres centenaires.
Nous arrivons au hameau où Jackie vécut ses jeunes années. C’est la maison de ses parents, vétuste, aux normes sobres de la campagne du temps jadis ; la façade, dans sa simplicité est de toute beauté. Ici on vivait à la dure avec une seule chambre pour les cinq enfants. Jean-Pierre avait refait la toiture ; sa disparition, en 2013, a interrompu les travaux de rénovation qui auraient fait de cette vielle demeure un bijou. L’œil d’un artiste doublé du savoir faire d’un artisan chevronné génère de la magie là où tout semble morne.
Maison de naissance de Jackie Saint-Crépin-de-Richemont |
Aujourd’hui rénovée la métairie de Paul et Christiane à Saint-Crépin-de-Richemont lieu du baptême de Jeantou Rivière |
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Baptême de Jeantou, Christiane sa mère (1951) | Élina Château, André Rivière, Christine |
Le baptême de Jeantou aux Brageots à Saint-Crépin-de-Richemont, 1951 |
De gauche à droite, Gilberte, sœur de Christiane Rivière, Yvonne ma mère, Pierrot frère de Christiane, Élina, X, Arlette Lavit premier rang mon père André Joubert, Henri Rivière, Jean-Léopold Lamaud, Christine, Christiane, Paul, Jackie et Jeannine |
Les superbes photos de 1951, en noir et blanc, sont du reporteur familial notre grand-oncle, André Rivière |
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‟Les Brageots” sont souvent orthographiés ‟Les Brajeaux” et même en mixant les deux premiers, ‟Les Brageaux”. Nous voici dans cet autre important hameau de Saint-Crépin-de-Richemont. Ce lieu où la famille Château vivait avec leurs métayers d’une manière qui leur faisait honneur. La maison de la belle Élina a été semble-t-il rasée. Il n’en reste rien. En face celle qu’occupait son frère a été restaurée, sans doute par des anglais. D’autres anglais vivent au cœur du hameau qui manifeste une certaine opulence, disons même une véritable renaissance. La demeure superbe, aujourd’hui restaurée, qu’occupait Paul, Christiane et leur fils Jentou, lieu du fameux jour de baptême, en 1951, où l’on voit en outre mon grand-père Jean-Léopold Lamaud, mon père, ma mère et ma sœur Christine, Arlette Jeannine et Jackie, la sœur et le frère de Christiane, notre grand-oncle André. Dans les années cinquante, la famille avait des liens plus étroits, qui tardivement, sont en train de se retisser.
Au retour, nous apercevons ‟Le Boulou ”, ruisseau affluent de la Dronne et le sentier de découverte des carrières de meules avec les vestiges monumentaux que sont ces ‟meulières”.
Retour par le village où je reconnais à sa sortie une usine que j’avais visitée du temps du père Léglise et de son associé ; dernières velléités de la confection et de la chaussure en Périgord, et de ces ateliers quelque peu misérables. Nous venions d’achever notre expédition sur les terres de la belle Jackie.
Après un rafraîchissement pris chez Jackie, nous rejoignons tous les trois le bourg d’Agonac. Nous ne vîmes pas le frère, âgé de plus de 90 ans, qui avait bien connu Paul Rivière lorsqu’il vivait au ‟Prat”, mais sa sœur beaucoup plus jeune qui connaissait bien ma cousine Yvette, Georget, et les vieux Rivière de Saigne Bœuf. Elle nous dressa un tableau de Marie évocateur, me rappelant de vieux souvenirs enfouis et quelques phrases empreintes de peu de sympathie de ma grand-mère Clotilde née Rivière et de ma mère. Marie, petite femme plutôt laide, aux cheveux noirs de jais et poisseux, sorte de fontaine de brillantine Roja de droguerie villageoise, utile comme lubrifiant lors de rencontres fortuites ou en cas de disette, apportant son lait 110% de matières grasses, dans le village, propulsée par un permanent feu au cul. Le nom de sorcière fut prononcé et fusa comme une révélation ! Je la revis, en ces jours de vendanges, dans le cantou, devant une énorme marmite où cuisaient toutes sortes de champignons, rouges, blancs, violets, bleus et verts, comme nous n’en mangions jamais ailleurs. Il n’y eut jamais aucun mort à la fin de ces journées festives arrosées copieusement d’une piquette qui permettait de digérer des pierres !
Ses frasques ou dérèglements hormonaux nous intéressent en réalité fort peu. Après ces extorsions indignes, aux conséquences lourdes et cruelles, nous nous octroyons le plaisir de nous foutre un peu d’elle ! Pour autant que nous importent ses convulsions de ouistiti ? Rien de plus que les impudences ‟bénalliste” de notre président astiqué et poudré. Ce qui m’apparaît inqualifiable et impardonnable vient de l’usage qu’elle fit des volontés d’Henri, disparu à 60 ans, et des biens résultant du travail de deux générations de Rivière, Henri et de son père Jean. Paul s’était installé au ‟Prat” comme métayer, avec la promesse d’Henri, son oncle qui l’avait élevé avec Arlette sa sœur, d’être l’héritier de cette propriété qui lui aurait, non pas assuré l’opulence, mais l’autonomie, l’indépendance et des années de vie supplémentaires, écarté qu’il aurait été des traitements mortifères des vignobles du Bergeracois. Ainsi, les deux enfants de son frère Marcel, disparu en 1937 dans des conditions tragiques, furent spoliés de ce qui aurait dû leur revenir, en les soustrayant à l’extrême pauvreté qu’ils eurent à subir après que deux générations de Rivière se soient tant donné de mal pour assurer une vie moins précaire aux générations suivantes. J’entends moi aussi, la terrible phrase qui me glace le sang prononcée par Paul lorsque Pierrette, sa fille, le conduisait à l’Institut Bergonié, les derniers mois de son existence : « ‟Le Prat” c’est à moi, ce sera toujours à moi ! ». J’ai tellement envie de dire, voire de crier : « Oui, Paul, ‟Le Prat”, c’est chez toi ! »
Pour autant, Jackie ‒ malgré l’extorsion d’héritage que fit subir Marie à sa mère et à son oncle, manipulée probablement par des personnes peu délicates ‒, éprouvait de l’attachement pour elle, lui rendant souvent visite. L’affection ne se commande pas. Elle est toujours bonne à prendre. Pour Pierrette, le refus de faire une attestation de métayage à Paul dont la retraite qu’il ne prit pas, approchait, était trop indigeste. Elle lui en garde rancune. Mais Marie était-elle bien en possession de toutes ses facultés, le fut-elle jamais ? Pour moi, comme pour ma mère, nous éprouvons un certain mépris pour elle d’avoir été aussi manipulable par quelques profiteurs et par ses compagnons d’infortune, car cette maison était presque un taudis. Je ne lui pardonne pas d’avoir dépouillé ses neveux, de les avoir dépossédés du fruit de leurs droits et de leur travail. Cette extorsion n’est pas digne de l’engagement qu’elle avait pris avec Henri Rivière de les protéger et de leur offrir la compensation dont les avait privés l’abandon de leur mère suivie de la mort violente de leur père.
Issues de la quatrième génération, tout comme moi, Pierrette et Jackie portent très haut le drapeau familial ; il est le fruit d’un courage invincible qui caractérise cette famille, l’une et l’autre ont réalisé avec leurs conjoints, ouvriers d’une exceptionnelle vaillance, habileté, une magnifique capacité à dépasser les contingences accablantes subies par leurs parents, grands-parents et arrière-grands-parents. Un sentiment de grande fierté m’est advenu en pensant à ce qui caractérise l’excellence chez les modestes dont nous sommes issus s’ingéniant par un travail constant à dépasser ce qui pourrait être rédhibitoire. D’autres descendants de notre génération n’y sont peut-être pas aussi bien parvenus. Je ne pensais pas en retrouvant ces deux cousines, dont je ne fus jamais proche dans les années passées, que tant d’affinités, de contentement et d’affection nous seraient accordés. Voici ce qui qualifie le plus certainement ces retrouvailles. Notre escapade aura retissé le lien familial ; unissant nos souvenirs autour d’une famille particulièrement éprouvée, d’une grande pauvreté, mais d’une détermination à toutes épreuves. On serait fier à moins !
« Je conserve ma foi en la noblesse et l’excellence de l’être humain. Je crois que la douceur et la générosité finiront par avoir raison de la grossière gloutonnerie actuelle. Et pour conclure, ma foi va à la classe ouvrière. Comme le disait un français : ‟L’escalier du temps résonne à jamais du bruit des sabots qui montent et de celui des souliers cirés qui descendent[2].” » ♦
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[1] Hermann HESSE, Tessin, « Mon voisin Mario », Genève, Éditions Metropolis, 2000, p. 180.
[2] Jack LONDON, Ce que la vie signifie pour moi, 1905, Paris, Les Éditions du Sonneur, 2006, p. 38.