L’Art de pablO – Une Terre Promise

 

 
 
 
   

Peindre sur le motif, l’atelier mobile de pablO © photo de l’artiste pablO

 
 

L’Art de pablO – Une Terre Promise

Jean Alain Joubert

Décembre 2018

 
 
 

 

Il a toujours été pour moi… un vrai grand artiste

qui s’inventait et se continuait lui-même sans cesse

dans la féerie de vivre et de regarder.

Et c’est cela qui est l’éternelle jeunesse…

J’ai toujours senti en lui ce silence des êtres purs,

ce rassemblement de scrupules et de délicatesses

 autour du secret même de la vie[1]

 

 
 
 

 

 
 

 

« Il suffit qu’un enfant de cinq ans… dessinât sur un album pour que quelque porte s’ouvrît dans la lumière, pour que le château se rebâtît et que l’ocre de la colline se couvrît de fleurs[2]. »

 

Un temps plus tard, en ces lieux historiques où ses pairs, maîtres de la création picturale, sont réunis et honorés, PablO y vient prendre rang.

 

Peindre, comme tout acte artistique, est une vocation, une impérieuse nécessité pour soi-même, un besoin fondamental que l’on peut croire égoïste, à ceci près que l’œuvre réalisée n’appartient plus à son auteur. Le beau naît d’une satisfaction aussi nécessaire que désintéressée. Cette vocation prend sa source dans l’éveil de la petite enfance, chemine avec son créateur jusqu’à ce que le livre de l’existence se referme. Dante assigne à chaque artiste la mission d’explorer à la fois l’enfer et le paradis. Au final l’artiste dira « J’ai oublié bien des choses inutiles. J’en ai appris d’essentielles. Peut-être ai-je appris à regarder en moi-même[3]. »

 

Artiste discret, presque secret, pablO se livre peu, mais un cœur authentique bat sous sa tunique éclaboussée des mille couleurs de l’arc-en-ciel. Son univers flamboie en une polyphonie de coloris inattendus, audacieux et cependant médités, invités au festin afin de recréer la lumière qu’un moment il perçoit comme une révélation et qu’il va s’attacher à nous retransmettre. « Je rêve ma peinture, ensuite je peins mon rêve » avouait Vincent van Gogh. Ce moment de bonheur, de communion avec l’univers, il veut qu’il devienne joie pour le regard de l’observateur qui se pose, scrute, et pour lequel tout devient ordre supérieur : les tons les plus fortuits se complètent, se chérissent pour composer une symphonie de sensations… alors cette lumière réinventée évoque l’instant volé à l’éternité.

 

 

Diderot soutient que l’art nous enseigne à percevoir dans la nature ce que notre œil ne perçoit pas dans la réalité. Nous saluons chez pablO la faculté « d’un artiste qui a entrevu au milieu des théories décevantes et de l’anarchie latente, une Terre promise où il a pu travailler avec simplicité et amour[4]. » ◊

 
 

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[1] Léon-Paul Fargue, « Bonnard », Pour la peinture, Paris, nrf Gallimard, 1955, p. 98-99.

[2] Max Jacob, Derniers poèmes en vers et en prose, Paris, Gallimard, 1961, p. 118.

[3] Roger Bissière, T’en fait pas la Marie, catalogue de l’exposition Bissière à la Galerie René Drouin, Paris, 1947.

[4] Georges Rouault, Sur l’art et sur la vie, chapitre « Noli me tangere, Cézanne », Paris, Folio essais, 2008 (Édition initiale Denoël/Gonthier, 1971), p. 55-56.

 
 
 

 

 
 
 

L’Atelier de Pablo

Jean Alain Joubert

22 août 2006

 
 
 

 

Au déclin de la force

Un feu très sombre déambule.

Paul Eluard, Après moi le sommeil[1]

 
 
 

 

 

D’un temps qui fut mien, antérieur de plus de dix ans, Pablo avait quinze ans. Il incarnait le fils idéal, l’enfant roi. Des éloignements intervinrent, sans que notre naturelle complicité en soit perdue ni même estompée. Il est des êtres qui se comprennent sans avoir à dire, les regards y suffisent.

 

À vingt-sept ans aujourd’hui, je le retrouve avec la même fraîcheur d’âme, celle d’un autre gémeaux. Cela fait quelques années que j’observe son travail de peintre avec curiosité d’abord, maintenant avec attention. L’enfant magique n’a pas disparu, il se fait sensiblement Homme, fouillant l’essence de nos silences. À travers les regards de ses personnages, on le devine cherchant à pénétrer les cœurs, s’ingéniant à découvrir nos univers de rêves suspendus, filants ou perdus.

 

Pour la première fois, il donne une incarnation aux objets, aux choses. Ce phénomène de maturation m’aura inlassablement happé ; vrai déjà dans le dessin de son atelier qui nous accueille sur son site (www.atelierdepablo.com), vrai encore dans sa vue de la gare de Périgueux et de sa passerelle — unique tableau sans personnage —, vieille gare qui nous pleure son abandon.

 
 
 
   

pablO , “La passerelle de la gare de Périgueux” © pablO

 

 

Le Dernier Voyage, œuvre tragique, réaliste et poétique exprime par son contexte, par les choses, l’angoisse, la déroute humaine. De la capture du regard naquit mon émotion, forte, âpre. Arrivé au seuil des soixante ans, nul n’ignore la précarité de ses voyages, même sans deviner lequel sera l’ultime. « J’entrai dans cet état qui joue sa fin[2] », nous confie Eluard.

 
 
 
   

pablO , “Le dernier voyage” © pablO

 

 

Comment un si jeune homme passant en voiture sur les quais, à Bordeaux, a-t-il eu, en apercevant le vieil homme cheminer avec son sac sur le dos, l’impératif désir de fixer ce moment de vie en fuite ? Dans cette œuvre tout concourt, et ce me semble neuf chez cet artiste, à exprimer la fin, sa tragédie, l’amertume qui l’imprègne. Fado, dont dès lors Pablo est porteur au tréfonds. De ses origines, lui advient cette ineffable poésie faite de tendresse pour l’humain et de mélancolie face à sa tragique destinée — et devant ce tableau, nous l’observons, nous la partageons, nous la subissons.

 

Éternels vagabonds, du moins tant que nous sommes en vie.

Mais le monde est peuplé d’objets. Sur ses rivages, leur foule infinie, leur collection nous apparaît, certes, plutôt indistincte et floue[3].

 

Il faut un regard d’Homme au sens plein ou d’un poète pour dire ainsi avec une économie de touches et de couleurs, l’aventure de l’ultime voyage. La passerelle symbolise au-dessus du voyageur le chemin de vie. Ne sont visibles ni son début ni sa fin, lui donnant ainsi le sens d’un long parcours ; la régularité répétitive de sa forme pourrait exprimer une impression d’immobilité, de permanence, d’infini. L’attitude tirée vers l’avant du personnage malgré un sac un peu lourd à porter incarne le mouvement, un temps du voyage. Sous la passerelle à droite, un bloc dense et abstrait exprime le poids et l’ampleur du vécu, où seul un petit espace de lumière vient signifier le temps restant à parcourir. L’expression de fatigue, de lassitude, d’angoisse du voyageur est exprimée dans le flou des formes de gauche, instables et incertaines. Le décor ici nous conte son désarroi intérieur, sa conscience du temps expiré, la fin de son voyage terrestre.

 

Et voici un jeune artiste qui en a été saisi en un instantané et qui nous le livre avec toute la ferveur de son art. « Le poète supérieur dit ce qu’il ressent vraiment[4]… ». « L’art, en somme, est l’expression harmonieuse de la conscience que nous avons des sensations, autrement dit nos sensations doivent être exprimées de telle sorte qu’elles créent un objet qui deviendra pour d’autres une sensation.[5] »

 
 

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[1] Paul Eluard, Après moi le sommeil in Œuvres complètes, (Paris : Gallimard, La Pléiade, 1968).

[2] Paul Eluard, ibid.

[3] Francis Ponge, L’Objet, c’est la poétique in Nouveau Recueil (Gallimard).

[4] Fernando Pessoa, A. de Campos, Note au petit bonheur, in Fernando Pessoa, fragments d’un voyage immobile (Paris, Éditions Rivages, Petite Bibliothèque, 1990)

[5] Fernando Pessoa, lettre à un éditeur anglais (1916), ibid.