L’heureux temps du jardin, Meg et Clive Jones

 
 

 

Lundi 6 à mercredi 8 janvier 2020

 
 
 

Meg JONES
 
 
 
 

 

 

Épiphanie. Elle a choisi ce jour où le ciel est d’un bleu absolu, sous la lumière d’un soleil radieux pour rejoindre son roi. Meg a traversé le miroir terrestre ce lundi à l’aube pour rejoindre Clive. Seul l’Amour est éternel, tout le reste disparaît et s’efface. Devant la porte, s’ouvrent les premières ellébores…

 

 

Tout est venu de ma passion pour le jardin, à la fin des années 80 et au début des années 90. J’ai parcouru un peu toute la France, en quête des végétaux. J’avais quelques fournisseurs dans le Lot-et-Garonne et découvert Les Pépinières Prayssacoises, à Prayssac, dans le Lot, à une vingtaine de kilomètres de Villefranche-du-Périgord. Nous avions sympathisé avec le responsable des plants de végétaux et de rosiers, Pierre Coffre, qui, de par sa formation en Angleterre, avait une fabuleuse connaissance des raretés qu’il allait mettre en culture et populariser en ce département affectionné des anglais, qui on le sait, sont de fins connaisseurs de l’art des beaux jardins. Regrettant de ne pouvoir me consacrer plus de temps, Pierre me communiqua les références d’un de ses clients, retraité et jardinier accompli, dont le jardin en Angleterre avait eu les faveurs d’une émission spécialisée de la BBC – documentaire dont je possède une copie.

Peu après, que je fis la connaissance de Clive et de son épouse Meg.

 

Le dimanche 14 juin 1992, j’eus la frayeur de ma vie, en me rendant à une visite organisée par la Salicaire[1]. J’avais récupéré Franck aux Eyzies, et en prenant à Saint-Pompont la route de Campagnac-les-Quercy, je découvris que la maison de José Bosard avait été complètement ravagée par un incendie. Heureusement, je le vis sain et sauf chez un voisin. Visite en fin de matinée du jardin de madame Brown, et nous arrivons un peu en avance pour la visite du jardin des Jones, à Anglars-Nozac où je retrouvais Christian Castanet. L’esprit de ces lieux ne pouvait que me séduire. La route du retour fut sublime : Lamothe-Fénelon, le cingle de Monfort, La Roque-Gageac, Beynac, Saint-Cyprien. Après avoir déposé Franck aux Eyzies, j’achevais ce voyage, ravi et rêveur !

 

La première visite de Clive aux Rolphies, chargé de boutures, eut lieu le mercredi 15 juillet 1992. Son enthousiasme avait de quoi me rendre fier !

 

Le 7 octobre, entre divers travaux de plantations dont des iris, le cornus florida ‘Daybreak’ et le styrax japonica rosea, Clive me rendit visite avec Margaret Barwick et des amis américains.

 

18 octobre 1992. Le couple Margaret et David Barwick possédaient une propriété secondaire et un jardin à « Mespoules », Saint-Caprais (Lot), non loin de Villefranche-du-Périgord. David était gouverneur des Iles Caïman, Margaret y tenait une pépinière. Nous visitâmes le jardin avec la famille Coffre, Clive et Meg et quelques autres amis. Le repas se fit chez « Mimi » dont je n’ai pas conservé souvenir, puis nous vîmes le jardin dessiné par Margaret pour l’ex-demeure de « Mimi ». Quoi de mieux, pour parachever cette belle journée qu’un petit tour aux Pépinières Prayssacoises !

 

Lors des années qui suivirent, la relation avec Clive et Meg ne fit que se conforter. À les observer on était saisi par leur tendre complicité qui les faisait ressembler à des adolescents amoureux. L’empreinte du temps était brisée par cet amour. C’était un second printemps pour l’un et l’autre, Meg étant veuve et Clive douloureusement divorcé.

 

     
     
 

Jumilles, Veyrignac

Joan et Clive

 

‘La Roudie’ chez Meg & Clive, Renée Daubricourt,

Denise Robin, Émilie Dalençon, Evelyne Beauvieux

     
     
     

 

Leur propriété à Anglars-Nozac, non loin de Gourdon, lieu-dit La Roudie, était charmante et l’espace pour le jardin plein de promesses pour de futures expansions. Meg désherbait et nettoyait les massifs pendant que Clive en créait de nouveaux avec des collections de végétaux rares.

 
 
‘La Roudie’, Anglars-Nozac

de gauche à droite, Denise Robin, Émilie Dalençon,

Renée Daubricourt, Meg et Clives Jones

 
 

 

Les rencontres se multiplient. Par ailleurs je me lie avec la famille Correa, et avec Madeleine Marcoux et quelques autres artistes peintres. En 1993, je me lançais dans les Portes Ouvertes du jardin. Quelques survivants se souviennent sans doute de la Porte Ouverte du mercredi 19 mai 1993 où je faisais découvrir le jardin à mon instituteur de l’École de Plein Air et à son épouse (monsieur et madame Mougnaud), à madame et monsieur Rolland (mon professeur de philo à Bertran de Born), à madame et monsieur Combeaud (un de mes premiers directeurs). Bien entendu, étaient présents mes nouveaux amis Meg, Clive, accompagnés de Nigel et d’amis anglais, Philippe Basque (botaniste que j’avais rencontré chez Desmartis à Bergerac) et ses fils…

 

Le dimanche 10 octobre 1993, en même temps que la journée des Plantes du château de Neuvic, nous risquions une nouvelle Porte Ouverte, avec exposition de poteries, de peintures (probablement de madame Denise Lestage[2] de Montgaillard, sud Lot-et-Garonne). Mes amis Clive et Meg étaient présents, avec leur amie Barbra et madame la comtesse.

 

En effet, entre temps, le 19 août 1993, Clive m’avait présenté au comte et à la comtesse van Limburg Stirum (Joan et Menno) qui avaient une très belle demeure à Jumilles, commune de Veyrignac, non loin de la propriété des Jones. Après avoir visité le beau jardin de Joan, Meg, Clive et moi eurent les honneurs d’un repas lors duquel j’eus le grand plaisir d’apprendre que Menno avait été l’élève, en même temps que Marie-Louise von Franz[3], du grand Carl Gustav Jung[4].

 

     
     

 

Jumilles, Veyrignac   Joan & Meg, 2001
     
     
     

 

 

Je relève une nouvelle visite de Clive, le dimanche 12 septembre 1993, accompagné de Gwendoline et de deux amis anglais, Marion et Lionel.

 

Cette période fut très riche de rencontres, les relations se multipliant en permanence. Le 16 octobre nous fîmes une grande expédition en passant par ‘Jumilles’, ‘La Roudie’ et nous nous retrouvions dans la pépinière de fabuleuses raretés botaniques de Georges Gallier à Saint Nicolas de la Grave, avec Joan, Clive, Lionel Clémenceau et sa mère que j’avais amenés avec moi et dont je n’ai plus souvenir.

 

Par deux fois, une grande amie de Clive, la divine Dianne Sutton, venue d’Angleterre, nous aura honorés de sa visite.

 
 
Dianne Sutton et ses amies, Les Rolphies, 1993
 
 
 

 

La première de ces visites eut lieu le dimanche 18 juillet 1993. Clive vint au jardin accompagné de trois dames anglaises et américaines. Fait exceptionnel le chien de mes voisins s’était échappé dans les bois. C’était un très grand chien, impressionnant mais très gentil ; Eizer avait un pelage qui aurait pu le faire prendre pour un colossal Dalmatien. De retour des bois, Eizer s’engouffra dans le jardin et courut vers mes trois visiteuses. Deux disparurent effrayées tandis qu’Eizer posait ses pattes sur les épaules de Dianne, demeurée parfaitement calme et ravie de cette rencontre imprévue ! Personne ne pouvait résister à la ravissante Dianne Sutton.

 

 
 

Dianne Sutton, Marie-Hélène Douat

Bernard Panozzo, Les Rolphies, 1994

 
 
 

 

La seconde visite de Dianne date du 22 juillet 1994. Avec Marie Hélène arrivée de la veille, nous accueillions le rosiériste (aujourd’hui obtenteur reconnu) de Montpon, Bernard Panozzo, puis Clive et Dianne, ensuite le couple Dénarié, eux-mêmes créateurs d’un superbe jardin botanique à Abjac (Gironde). Un repas au jardin venait clore cette belle journée festive.

 

Grand succès pour ‘La Fête des Roses’, le dimanche 12 juin 1994, avec mes amis Clive, Meg, Sabine et Gilbert Marquézy, ma famille, Ingrid von Ramin, Aline, Bernard Panozzo… Environ 200 visiteurs ! Fantastique autant qu’épuisant !

 
 

‘La Roudie’, Anglars-Nozac

Sabine et Gilbert Marquézy avec Meg

 
 
 

 

D’autres relations s’ajoutèrent, Todd, qui faisait le tour du monde en quête d’iris botaniques dont il était collectionneur. Sabine et Gilbert Marquézy étaient des proches de Meg et Clive, qu’une étrange recherche d’absolu conduisit dans une dérive sectaire, privative de nourriture et à une disparition prématurée.

     
     
 

Un des plans d’eau du ‘Moulin de La Souloire’

Chez Marie-José Degas, 2006

 

Jumilles, 2004

Joan, Todd, Marie-José Degas

     
     
     

La plus belle de ces rencontres fut avec la belle Marie-José Degas qui habitait le ‘Moulin de La Souloire’ à Saint-Germain-du-Puch où elle exploitait des vignobles justement renommés. Marie-José possédait un jardin éblouissant. Nous en reparlerons ! Nous eûmes un repas mémorable au moulin, avec son père centenaire, Joan, Clive et Meg, le dimanche 6 février 1994.

 

 
 

Meg en 2001

Réception à Carlux, chez Mary Penny

 
 
 

 

Mille sorties autour des jardins, des invitations d’amis, d’expositions, un foisonnement… jusqu’à se retrouver avec Clive, Meg, Sabine et Gilbert (qui contestaient tout ce qui nous était présenté lors de ce gigantesque buffet) à Carlux dans la résidence secondaire de Mary Penny, secrétaire de John Major ! Mary qui disait à Meg : « Très chère, dites-moi comment dépenser mon argent, je n’ai plus d’idée ! » C’est en ces lieux, devant la fenêtre que j’ai pris cette photo de notre amie.

 

Clive avec la Société botanique du Quercy avait mis en place les ‘Journées des plantes de l’Abbaye Nouvelle’ située entre Saint-Martial-de-Nabirat et Gourdon. Je m’y suis aussi rendu au moins une fois.

 

 

 

Jusqu’en 1997, à l’occasion de mes 50 ans, nous organisâmes des festivités dont je ferai plus tard le récit. Elles furent gâchées par la vanité excessive d’une de mes relations, si bien que jusqu’à la disparition de Clive, les fêtes se raréfièrent, même si les rencontres se poursuivirent.

 

Le samedi 13 novembre 1999, fut tel un des pires jours de ma vie, un coup de tonnerre. Marie-José Degas qui avait mon nouveau numéro de téléphone, m’annonçait assez brutalement la mort de Clive, me disant que l’on essayait en vain de me joindre. Je suis bien demeuré 10 minutes abasourdi, n’y croyant pas, avant de prendre mon téléphone pour appeler Meg qui me confirma la tragique nouvelle, essaya de me réconforter, car j’étais effondré, incrédule. La cérémonie d’adieu se faisant chez nous, à Notre-Dame-de-Sanilhac, au crématorium Virgo, le lendemain 14 novembre, un dimanche en début d’après-midi, j’y vins avec ma mère et Jean-Michel. La fille de Clive, toute de rouge vêtue, officiait. J’y retrouvais Dianne Sutton venu de Londres, leurs amis Sabine et Gilbert Marquezy, Jean et Brinda Touzot. Nous étions écrasés de tristesse, sachant que ce merveilleux temps, un peu bref prenait fin. Cela me paraissait totalement injuste, Clive n’avait que 69 ans.

     
     
     
 
Hellebore au jardin   Bractées du cornus nuttallii ‘Colrigo Giant’
     
     
     

Avant ce jour fatal, j’étais venu assister, le mardi 23 février 1999, à une conférence de Clive, à Gourdon sur les ellébores, entre deux passages à la Roudie où Clive m’avait fait cadeau de semis d’ellébores et de pulmonaires. On sait, que je suis fou d’ellébores et que le jardin en est couvert. Une vraie fête pour ne jamais oublier Clive et Meg. Lors de chacune de ses visites, Clive avait un cadeau. Le dernier, à la munificente floraison de printemps, porte le nom de cornus nuttallii ‘Colrigo Giant’. Chaque année lorsqu’il est en fleur, je pense à mon ami qui n’est jamais loin !

 
 

Jumilles, Veyrignac, 2005

Joan, claire, Meg

 
 
 

 

 

Des années plus tard, le mercredi 16 mars 2005, Claire Honegger et Meg m’avaient rejoint à Jumilles pour un déjeuner chez madame la comtesse van Limburg Stirum, notre amie Joan comme elle voulait que nous l’appelions tous. Restent des photos de cette heureuse rencontre témoin du grand bonheur de Claire qui apprenait ce jour même la naissance de son petit-fils Johannes !

 

Clive, ex-major de l’armée Britannique, était très peu monarchiste, ce qui m’amusait et me réjouissait. Il faisait preuve d’une grande indépendance d’esprit. Sa connaissance des végétaux adaptés aux beaux jardins était encyclopédique, il possédait un goût parfait pour les associations harmonieuses. Sa modestie et sa gentillesse ajoutaient à ce savoir-faire devenu naturel et c’était une grande chance de le côtoyer lorsque l’on avait pour objectif d’édifier son propre jardin ; il se montrait toujours passionné par les réalisations des autres, on peut même dire qu’il était prompt à s’enthousiasmer et à nous donner le sentiment que nous avions le plus beau jardin du monde. Je le crois totalement sincère, comme un enfant qui joue ! Et justement lorsque survint sa mort, le jeu était fini, et rien ne justifiait pour Meg de prolonger la passion de celui qui avait fini de jouer. Elle vendit les végétaux des massifs de ce jardin, ce qui me fendit le cœur, refusant strictement de voir ce chantier de démolition où l’avidité de certains se manifesta, puis elle vendit la propriété et s’installât dans un petit logement au Vigan. Elle sut tourner la page comme après la disparition de son premier mari. Elle possédait non pas des principes philosophiques mais une manière de vivre et de penser presque orientale : le passé n’était pas sa préoccupation, il n’avait plus de réalité, seul le présent existait et elle y trouvait toujours et jusqu’au bout, malgré des difficultés d’ouïe et de vision grandissantes, son bonheur, une simple joie de vivre. La sobriété épanouie de son existence, y compris ces dernières années, m’étonnait, cela explique de toute évidence sa longévité. Elle souriait à la vie, et la vie lui souriait. Elle ne manquait jamais de par son attitude, sa grâce, de visites, de preuves d’amitiés et de mille petits bonheurs quotidiens.

 
 
 

Meg en son jardin de ‘La Roudie’, Anglars-Nozac
 
 
 

 

Ma pierre, si j’ose dire, dans sa nouvelle solitude (toute relative) fut de faire croiser son chemin avec celui de Claire Honegger, dont je savais le dévouement et l’immense empathie. Elles étaient assez proches géographiquement. Lorsque Claire devint veuve à son tour en 2003, elle fut pour Meg une source d’affection, de vigilance, de stimulation, une garantie de sécurité. La relation mère-fille qui s’instaura possédait mille vertus pour l’une comme pour l’autre. Lorsque deux belles âmes se rencontrent, il ne peut que se produire des choses magnifiques.

 

Le départ de Meg referme le ‘Livre d’Or du Temps’ de celui des jardins, des rencontres et des amitiés. Heureux de pouvoir me souvenir que je fus un des convives de ce festin, généreux privilège. Tant que je vivrais Meg, ton souvenir vivra dans la lumière de mon affection ! ♦

 

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[1] La Salicaire, Association Botanique de la Vallée de la Garonne, dont le siège est à Saint Nicolas de la Grave (82210). Création du 17 février 1989, sous l’impulsion d’un groupe d’amateurs de jardins et de collectionneurs de végétaux dits « rares et de collection », autour de Georges Gallier. Elle a pour but de rassembler des personnes s’intéressant aux plantes, aux jardins, à notre environnement végétal, à la connaissance de la flore et de la nature. Principalement implantée dans le Sud-ouest, elle organise tout au long de l’année des visites de jardins privés ou publics, des voyages d’un week-end à une semaine en France et à l’étranger, des sorties botaniques en Tarn-et-Garonne, dans les Pyrénées et l’Aude, elle propose deux bourses d’échanges au printemps et à l’automne, deux foires aux plantes par an, des ateliers.

[2] Madame Denise Lestage avait un très beau jardin à Montgaillard (47), dans les tons pastels comme ses toiles. Charme et élégance.

[3] Marie-Louise von Franz (1915-1998), psychologue suisse d’origine autrichienne, élève et collaboratrice de Carl Gustav Jung jusqu’à la disparition de ce dernier, en 1961. Elle fait partie des fondateurs historiques de la psychologie analytique.

[4] Carl Gustav Jung, médecin psychiatre suisse (1875-1961). Fondateur de la psychologie analytique et penseur influent, il est l’auteur de nombreux ouvrages. Son œuvre est liée à la psychanalyse de Freud dont il a été l’un des premiers défenseurs et dont il se sépara par la suite en raison de divergences théoriques et personnelles. Dans ses ouvrages, il mêle réflexions métapsychologiques et pratiques à propos de la cure analytique. Jung a consacré sa vie à la pratique clinique ainsi qu’à l’élaboration de théories psychologiques, mais a aussi exploré d’autres domaines des humanités : depuis l’étude comparative des religions, la philosophie et la sociologie jusqu’à la critique de l’art et de la littérature. Carl Gustav Jung a été un pionnier de la psychologie des profondeurs : il a souligné le lien existant entre la structure de la psyché (c’est-à-dire l’« âme », dans le vocabulaire jungien) et ses productions et manifestations culturelles. Il a introduit dans sa méthode des notions de sciences humaines puisées dans des champs de connaissance aussi divers que l’anthropologie, l’alchimie, l’étude des rêves, la mythologie et la religion, ce qui lui a permis d’appréhender la « réalité de l’âme ». Si Jung n’a pas été le premier à étudier les rêves, ses contributions dans ce domaine ont été déterminantes. On lui doit également, entre autres, les concepts d’« inconscient collectif », d’« archétypes », d’« individuation », de « types psychologiques », de « complexe », d’« imagination active », de « déterminisme psychique » et de « synchronicité ». (Source Wikipédia)